Michel Audiard

"Ch'parle pas aux cons, çales instruit."

  1. LE SANG A LA TETE - GILLES GRANGIER (1956)
  2. LE ROUGE EST MIS - GILLES GRANGIER (1957)
  3. MAIGRET TEND UN PIEGE - JEAN DELANNOY (1957)
  4. LES GRANDES FAMILLES - DENYS DE LA PATELLIERE (1958)
  5. ARCHIMEDE LE CLOCHARD - GILLES GRANGIER (1958)
  6. MAIGRET ET L'AFFAIRE SAINT-FIACRE - JEAN DELANNOY (1959)
  7. RUE DES PRAIRIES - DENYS DE LA PATELLIERE (1959)
  8. UN TAXI POUR TOBROUK - DENYS DE LA PATELLIERE (1960)
  9. LES VIEUX DE LA VIEILLE - GILLES GRANGIER (1960)
  10. LE CAVE SE REBIFFE - GILLES GRANGIER (1961)
  11. LE BATEAU D'ÉMILE - DENYS DE LA PATELLIERE (1961)
  12. LE PRESIDENT - HENRI VERNEUIL (1961)
  13. LE GENTLEMAN D'EPSOM - GILLES GRANGIER (1962)
  14. UN SINGE EN HIVER - HENRI VERNEUIL (1962)
  15. LES TONTONS FLINGUEURS - GEORGES LAUTNER (1963)
  16. MELODIE EN SOUS-SOL - HENRI VERNEUIL (1963)
  17. 100.000 DOLLARS AU SOLEIL - HENRI VERNEUIL (1963)
  18. DES PISSENLITS PAR LA RACINE - GEORGES LAUTNER (1963)
  19. CARAMBOLAGES - MARCEL BLUWAL (1963)
  20. LES BARBOUZES - GEORGES LAUTNER (1964)
  21. LES BONS VIVANTS - GILLES GRANGIER & GEORGES LAUTNER (1965)
  22. LA METAMORPHOSE DES CLOPORTES - PIERRE GRANIER-DEFERRE (1965)
  23. QUAND PASSENT LES FAISANS - ÉDOUARD MOLINARO (1965)
  24. UN IDIOT A PARIS - SERGE KORBER (1966)
  25. NE NOUS FACHONS PAS - GEORGES LAUTNER (1966)
  26. LE PACHA - GEORGES LAUTNER (1968)
  27. FAUT PAS PRENDRE LES ENFANTS DU BON DIEU POUR DES CANARDS SAUVAGES - MICHEL AUDIARD (1968)
  28. LES MORFALOUS - HENRI VERNEUIL (1983)


LE SANG A LA TETE - GILLES GRANGIER (1956)




Dans le bocsif de Sidonie

FLORELLE : Faites pas attention ! Y'a un peu d'fouillis ! Le dimanche, c'est l'jour de repos, faut pas contrarier l'Seigneur ! ...

Autour de la table, dans la canfouine

FLORELLE : Ah, mes enfants n'ont pas d'conscience ! Elle s'en fout pas mal que sa pauvre mère ne puisse pas lire le soir dans son lit !
JEAN GABIN : Elle devait vous apporter des livres ?
FLORELLE : Non, mais elle devait m'apporter dix mille francs... pour pas qu'on m'coupel'électricité...

À table, chez les Mangine

HENRI CREMIEUX : Moi, je n'trouve pas Marthe tellement antipathique...
LUCIENNE GRAY : Je n'vous ai encore jamais vu trouver une femme antipathique... surtoutlorsqu'elle est vulgaire !

À la criée

GEORGETTE ANYS : À c'taux-là, combien y va nous les faire le kilo !...
JEAN GABIN : Ben, cent francs...
GEORGETTE ANYS : Cent francs !... Avant la guerre, j'en avais dix kilos pour c'prix-là!...
JEAN GABIN : Fallait en acheter, Madame Babin !...

À table, avec Mademoiselle

JEAN GABIN : Oooh, à peine !... C'matin, à la halle, on m'a traitéd'cocu, tout simplement... Je m'demandais justement où j'en étais...éh ben, Madame Babin a trouvé l'mot !... Madame Babin, c'est Titine! Vous la connaissez pas, mais c'est un drôle de personnage ! Sans la découvertedes sulfamides, elle vérolait toute la Charente !

Dans la cambuse de Dédé

PAUL FRANKEUR : Et moi, j'ai un peu forci, non ?
JEAN GABIN : Oh, ben, t'as jamais été fluet, bonhomme !
PAUL FRANKEUR : C'est vrai !... Mais la graisse a pas bouffé l'muscle !...Le “ Roi-de-la-Pince ”, tu t'souviens ?... Ha-ha... On faisait une drôle depaire, à vingt ans !... On en a dérouillé quelques uns, desgars !... Tiens, l'soir des Portoricains, chez la grosse Gaby !... Six, qu'on a foutuà la baille !... Ha ! Quelle nuit !... Qu'est-ce qu'elle est devenue, aufait...la grosse Gaby ?...
JEAN GABIN : Ah, ben, elle est morte, y'a... cinq-six ans...
PAUL FRANKEUR : La pauvre vieille... Et d'quoi, qu'elle est morte ?
JEAN GABIN : (En reluquant le pétrole que lui sert Dédé...)Ben, d'ça, tiens !
PAUL FRANKEUR : Éh ben, dis donc !... Remarque, c'est parce qu'elle a vouluarrêter d'un seul coup... Ça pardonne pas...

Accoudés, toujours dans le bordel de Drouhin

PAUL FRANKEUR : Et si j'me marre pas, c'est que ch'uis encore plus cocu qu'toi !...Ch'te dis pas ça pour t'faire des politesses... À toi, Mimile, y t'devaitrien... À moi, y m'devait tout !... Tu peux pas savoir la p'tite crapule quec'est !... Quand j'l'ai ramassé à Port-Gentil, il avait p'us un poilde sec !... Il avait chapardé dans toutes les caisses, comme ici !... Seulementlà-bas, y'a des hommes ! Pas des bourgeois !... Le Mimile, il étaitrayé du quartier blanc !... Tricard !... Y vivait dans une case d'indigène!... Quand il a su qu'j'appareillais pour La Rochelle, il est sorti d'son trou...pour me supplier... “ Si vous m'embarquez pas, j'vais mourir !... ” J'aurais vouluqu't'entende ça. À genoux, qu'il était, pour mes parler d'samère, d'ses maladies, d'ses antécédents !... Enfin, bref. Pendantla traversé, il a découvert dans la cale une cargaison d'absinthe.Il a voulu m'faire chanter... J'y ai botté l'cul !... Un autre aurait compris,mais tu peux pas savoir le vicieux qu'c'est !... À peine à terre...il a cavalé aux Douanes !... Les Diablots ont rappliqué, j'ai mêmepas pu déchargé l'bois !... Sans compter l'procès, j'vais dégusterune amende... Et j'me ferais éjecter d'la Compagnie... Alors, toi, tu ferasc'que tu voudras... mais moi, j'veux l'buter !... Ce soir, j'vais descendre àterre et ça sera pour ça... On l'retrouvera !... J'te jure qu'on l'retrouvera!...
JEAN GABIN : On l'retrouvera p't-êt' mais... moi, c'est pas ton Mimile quech'cherche !
PAUL FRANKEUR : Comme y sont ensemble, ça revient au même !... Et ch'aisoù y sont !... Enfin... où y z'étaient hier !... Au “ Bar desCharentes ” !... C'est Vittorio, tu sais, l'chauffeur, qui les a menés...La sœur de Mimile travaille là... Elle sert la limonade entre deux passes...Ah, y sont gratinés, les enfants d'Titine !...

Au Bar des Charentes

PAUL FRANKEUR : Dis donc, Titine !!!... Si y'a personne pour te fermer la gueule,moi, j'vais m'en charger !...
GEORGETTE ANYS : T'es pas encore en taule, toi !
PAUL FRANKEUR : En taule ! Si j'y vais, ça sera pas pour c'que tu crois !...
GEORGETTE ANYS : Quand t'y seras, qu'est-ce que tu veux qu'ch'te porte ?...
PAUL FRANKEUR : C'que tu porteras, ma grosse... c'est l'deuil !... Quand on chercheDédé... on l'trouve !...

Dans une casemate du port

PAUL FRANKEUR : Ah, t'es p'us c'que t'était, François ! P'us du tout!... T'as rudement changé !... Quand ch'pense à c'que t'étaisautrefois !
JEAN GABIN : Évidemment, ch'porte p'us d'culottes courtes !
PAUL FRANKEUR : En trente-six, quand t'as dérouillé l'gros Fernand,tu les portais déjà plus, tes culottes courtes !... Mais t'avais pasencore l'genre faux-col !... C'est comme ton chapeau, il est bath, t'as l'air d'unvétérinaire !...
JEAN GABIN : T'crois qu'avec ta deffe, t'as l'air d'un amiral, toi !...
PAUL FRANKEUR : Ch'te l'dirais bien, d'quoi t'as l'air... mais Titine te l'a déjàdit...
JEAN GABIN : Raymonde aussi, si tu veux tout savoir... Et j'ui ai même donnédu pognon pour ça !... J'te demande pardon, mais ch'uis devenu un bourgeois...J'ai ma chaise à l'église et d'l'or à la banque... L'propredu bourgeois, c'est d'se faire charrier... C'est toujours le bourgeois qui portele chapeau !... Tu charries l'mien, mais t'as rien vu... C'qui compte, c'est la manièrede s'en servir... Parce que figure-toi qu'j'ai l'plus beau coup d'chapeau d'la ville!... Tiens !... (Cardinaud donne un coup de galure commak...) Qu'est-ce que tu crois?... J'ai mis vingt ans à régler ça !... Et ça, c'estrien ! T'as pas vu ma gueule aux mariages ou aux enterrements !... C'est làque j'brille, parce que j'me les tape tous !... Ch'uis d'toutes les côteries!... Quand un officier dévisse son billard ou marie sa fille, ben, ch'uisd'la fête...
PAUL FRANKEUR : Et ta bonne femme ? Tu crois qu'c'est en continuant tes singeriesqu'tu vas la retrouver !...
JEAN GABIN : Et toi, t'en fais pas d'singeries ?... “ Quand on cherche Dédé,on l'trouve ! ” “ Le Roi-de-la-Pince ! ”... Et c'projet d'aller descendre Mimile,tu crois qu'c'est pas des singeries, ça !?... Avoir grimper les échelonsqu't'as grimper pour finir en taule !?... Bougre eud'connard, va...
PAUL FRANKEUR : Ça vaut mieux que d'finir comme toi !... Si t'as peur de t'salir,le bitoniot, moi, j'vais m'en charger !... Et j'te promets qu'y va la cracher, lavalda, Mimile !... J'te promets !!!

Dans la caisse

PAUL FRANKEUR : J'pense au nez qu'va faire Mimile !... Au gîte, qu'on va lessurprendre !... Au gîte !... Ah, la tête de Mimile... Avec un peu d'chance,à c't'heure-là, on va les piquer au plumard... Parce ch'te jure qu'yva entendre sonner l'réveil-matin !...

Devant le “ Petit Robinson ”

PAUL FRANKEUR : C'est vrai qu'à c'moment-là, c'est Monsieur qu'avaitla main !... Résultat, on est bredouille ! Et trente bornes à s'taper!...
JEAN GABIN : Éh ben, si ça continue, tu vas t'les taper à pinces! Parce que ch'commence à en avoir marre de ton microsillon !... Tes biceps! Les sermons ! Euh, Rigaudeau ! Bossuet ! Les Misérables ! Ça va commeça, hein !...

Dans le burlingue de Cardinaud

GEORGETTE ANYS : Vous voulez l'adresse de Mimile ?... Et vous croyez qu'j'vais vousla donner comme ça, moi, sa mère !...
JEAN GABIN : Oui.
GEORGETTE ANYS : Pourquoi ça ?...
JEAN GABIN : Éh ben, justement parce que vous êtes sa mère...Mimile a donné Drouhin à la Police, vous, vous allez m'donner Mimile...Vous êtes une famille comme ça...
GEORGETTE ANYS : Trahir mon Mimile, jamais...
JEAN GABIN : Mais si, mais si...
GEORGETTE ANYS : Avouez quand même que vos moyens sont pas propres... Qu'est-ceque vous lui voulez, d'abord, à Mimile ?
JEAN GABIN : Oh, moi, rien... Mais c'est Drouhin... Il est vachard, Drouhin...
GEORGETTE ANYS : Si j'vous dis où il est, Mimile, vous l'avertirez ?... Etvous m'ferez ensuite rendre ma licence ?
JEAN GABIN : Mais oui, Titine.
GEORGETTE ANYS : Pour ma licence, c'est sûr !?
JEAN GABIN : Ouiii, Titine.
GEORGETTE ANYS : Y sont dans l'Île de Ré, à l'“ Hôtel desTouristes ”...
JEAN GABIN : Pouvez disposer...
GEORGETTE ANYS : J'vous dégoute, hein ?
JEAN GABIN : Ça vous surprend ?

Dans l'Île de Ré

PAUL FRANKEUR : Pour m'arrêter maintenant, faudrait qu'tu m'dérouilles!...
JEAN GABIN : Et alors !
PAUL FRANKEUR : Ça serait nouveau...
JEAN GABIN : Ben, t'as la mémoire courte, mon pote !... L'autre fois, tu parlaisd'nos vingt ans... Ça devrait t'rappeler quelques coups d'pied au cul !...Chaque fois qu't'as tiré l'cordon, tu t'es fait sonné !... Parce quefinalement, t'es qu'une grande gueule ! Et pis ta gueule, moi, ch'uis encore de tailleà t'la claquer !...

Dans la piaule adultère

JEAN GABIN : Éééh oui ! Elle a un foyer... Scuse-moi, mais j'aipas été en Afrique pour faire fortune, moi... L'foyer, comme tu dis,je l'ai planté là... Douze heures de boulot par jour pendant trenteans, faut bien qu'ça serve à què'qu'chose !... Ch'ais ben qu'l'argentfait pas l'bohneur, mais... vivre dans la merde non plus, figure-toi !... Ah, monpauvre Mimile, va !...
JOSE QUAGLIO : Quoi ?... Quoi “ pauvre Mimile ” ?...
JEAN GABIN : Oh, rien... Mais j't'entends d'ici lui jurer d'l'aimer toute la vie...Seulement pour aimer toute la vie, y suffit pas d'louer une chambre à la journée!... C'est bien gentil, la tringlette, mais y'a pas qu'le p'tit frisson !... Toutça, ils l'ont dit, “ œuvre de chair... ”... Alors, y'a les gosses... Parceque finalement, c'est la norme et la logique de la vie, les gosses... Alors, pendantles entractes, ben, elles y pensent... Elles pensent aussi au Frigidaire, àla machine à laver... pis à l'armoire à linge... Parce que c'estnotre force à nous, ça, dans les foyers... l'armoire à linge!... Alors, la prochaine fois, tache d'y penser...

Sur le bac retour

JEAN GABIN : Tu t'rappelles quand on était comme ces deux-là ? Qu'onregardait la mer en rêvant d'meubles à crédit ?... Seulementl'bonheur, tu vois, ça s'paie comptant... Tiens, la preuve... Pendant douzeans, on a fait chambre commune, mais on a fait rêve à part... Pis ça,c'est d'ma faute... C'est moi qu'ai tout loupé... Ch't'ai oubliée enchemin... Alors, écoute... Maintenant qu'on l'connaît, l'parcours...ben, on va l'refaire tous les deux ensemble... Maiiis... peinards ! Comme si on avaitpassé l'permis !...


MAIGRET TEND UN PIEGE - JEAN DELANNOY (1957)



Dans sa canfouine

JEAN GABIN : Allo, l'Quatrième ?... Dites-moi, mon vieux, c't au sujet del'appel de cette nuit...
LE PLANTON DU IVEME : J'ai simplement transmis, M'sieur l'Divisionnaire... L'appelvenait de la borne vingt-huit, Quai des Célestins... Non, c'était pasun gardien, on a brisé la glace... Sans doute un témoin ?...
JEAN GABIN : Un témoin ? À six-cents mètres du lieu du crime?... Euj'voudrais bien savoir c'qu'il a dit, moi, votre témoin !... Ouais,mot pour mot...
LE PLANTON DU IVEME : Il a dit... “ Vous pouvez avertir Monsieur Maigret que le Tueurdu Marais a fait une nouvelle victime ”... C'est tout...
JEAN GABIN : Bon, ça m'suffit. Merci... (Raccroche et gamberge... Puis causeà sa femme...) Éh ben, dis donc, y'en a, sous les bigoudis... Parceque t'avais raison ! Y pavoise !... Cinq minutes après l'crime, il a eu l'culotd'me téléphoner !... Monsieur Maigret !... J'vais lui en foutre, moi,du Monsieur Maigret !...

Dans le burlingue du dirlo de la PJ

JEAN GABIN : Écoute, Camille, j'vais être franc avec toi, j'me suisjamais embarqué avec si peu d'biscuit... Mais ch'uis pressé, tu comprends,très pressé... Depuis l'premier mai, où il a tué pourla première fois, le type a recommencé le vingt juin, le dix juilletet l'deux août... Il agit par crise et les crises se rapprochent... Si on attend,on lancera l'alerte quotidienne. Alors, le... l'enquête, la routine... tu comprends,maintenant... c'est la chasse au tigre !...

Dans le burlingue des Inspecteurs, avec Mazet, le faux-coupable

JEAN GABIN : Un fou !... Ouais, tu peux saluer, va ! Tu peux être fier !...T'as pas pu résister, hein... Il a fallu qu'tu la piques, ta crise ! Il afallu qu'tu l'fasses, ton p'tit numéro ! Qu'tu cabotines !... Euh, paillasse,va !...
GUY DECOMBLE : C'est l'urgence... Si j'avais eu l'temps d'répéter...
JEAN GABIN : Éh ben, tu vas l'avoir, le temps, fais-moi confiance !... Autrou, t'entends ! Tu vas descendre au trou !... Puisque t'aimes le spectacle, onva t'offrir l'Théâtre en Rond, nous !... Allez, emmenez-le moi, qu'j'levois plus, hein !...

Dans le gourbi de Jojo-le-Tango

GERARD SETY : Hé, si vous voulez voir mes papiers !
JEAN GABIN : Oh, j'le connais ton papier !... Georges Vacher dit Jo-le-Danseur ditJojo-le-Tango, trente-sept ans, célibataire, danseur de charme... Tu vois...Bon. Alors maintenant, tu vas m'dire bien gentiment c'que t'as fait la nuit dernière...et en détail !

L'interro continue

JEAN GABIN : Une dame ?
GERARD SETY : Hé, parole d'honneur !
JEAN GABIN : Oh, ch'te crois... Alors, cette dame ? Ben, ch't'écoute...
GERARD SETY : Oh, l'histoire classique... Euh, une bourgeoise en goguette... Ellessont toutes les mêmes... Un mari qui les délaissent... Un soir, elless'offrent un whisky d'trop, et... une heure de rêve...
JEAN GABIN : Une heure de rêve ?... Enfin... Vous aviez rendez-vous ?

Conclusion du cuisinage

JEAN GABIN : Ben, dis donc, elle a pas d'chance, cette pauvre femme. Entre un mariqui la délaisse et un amant qui la déçoit. Hum ?
GERARD SETY : Ha ! Ha, j'ai pas pu la décevoir... Pour la bonne raison quegnagnagnagnagnagna (Rumine dans sa barbe...) ...
JEAN GABIN : Quoi !? Qu'est-ce que tu machonnes ?
GERARD SETY : (Murmurant...) Je dis “ j'ai pas pu la décevoir ”... pour labonne raison qu'y s'est rien passé !
JEAN GABIN : Oh, dis.
GERARD SETY : Ha, parole d'homme ! Rien. Pas ça... En dansant, elle avaitl'air drôlette, en forme et tout... C'est même elle qui m'cherchait...Et puis... une fois ici, euh... rien ! Un bout d'bois... Le coup d'la migraine...Ha, j'ai insisté, le côté calin... J'ai eu beau faire, ch'croisque gnagnagnagnagnagna (Rumine encore...) ...
JEAN GABIN : Articule, mon vieux.
GERARD SETY : (Murmurant...) Je dis “ j'ai eu beau faire ”...
JEAN GABIN : Qu'est-ce que t'as à chuchotter comme ça ?
GERARD SETY : Hooooo, j'aime mieux pas qu'ça s'ébruite, c'est pas d'laréclame !

Même endroit, le lendemain

JEAN GABIN : T'as une bonne tête, mon p'tit père, mais fais attention...
GERARD SETY : Pourquoi vous m'dites ça ?
JEAN GABIN : Parce qu'on pourrait bien t'la couper !... Ta discrétion estcelle d'un gentleman, bravo, mais elle pourrait t'coûter une inculpation d'complicité...Y s'agit d'crime... Alors, avec ton palmarès, si ça s'arrange bien,t'y va déjà d'la Relég', mais si ça s'arrange moins bien...T'y vas du cigare... Comme tu joues, je joue... Tu prends les blancs ou les noirs?...

À confesse, dans un clapier de la PJ

JEAN GABIN : Ah, vous pouvez être fière ! J'vous promets qu'y'a d'quoi!... Ça vous flattait, hein, l'côté artiste, ça vous consolaitdu père, du... du butor, du boucher ! Parce qu'il avait un métier,lui, l'pauvre imbécile !
LUCIENNE BOGAERT : Un métier...
JEAN GABIN : Madame Maurin, vous êtes un monstre... mais avant tout un monstreeud'bétise !...
LUCIENNE BOGAERT : Vous agissez comme un...
JEAN GABIN : Vous êtes vaniteuse, possessive, méchante... mais surtout,vous êtes bête ! Mais alors, bête !!!... Parce que vous l'avezabruti, votre fils !... Vous l'avez éloigné d'son père, desgosses de son âge, de tout c'qui pouvait en faire un garçon comme lesautres ! Car il n'est pas comme les autres !!! Et ça, vous l'savez aussi toutesles deux !... Demandez donc à sa femme !... Hein !?... Il avait p't-êt'des dons, l'Marcel, mais pas pour tout !... Et ça, c'est votre œuvre !...Le p'tit violon, le... le p'tit piano, la p'tite sonate, le portrait à Maman,l'amour de Maman... mais la veille de son mariage, vous deviez encore le faire dormiravec un ours en peluche !... Vous l'avez enfoncé dans son enfance. Vous enavez fait un demeuré... Chacune à sa manière, d'ailleurs, carvous, après, vous avez repris l'flambeau. Plus adoré qu'jamais, l'Marcel.Y s'était sans doute marié pour avoir la paix, pour changer d'air,mais y n'a réussi qu'à changer d'femelle !... Car elle vous l'a pris,votre Trésor !
LUCIENNE BOGAERT : Avec sa dote !
JEAN GABIN : Éééh, dame ! Y n'crache pas su'l'confort, l'Artiste!... Il a préféré l'Quai Blériot à la Rue d'Turenne...de peintre raté, il est devenu décorateur bidon, hé-hé! Quand on est doué !...


LE ROUGE EST MIS - GILLES GRANGIER (1957)


AUDIARD, SCENARISTE, “ AURAIT ” COLLABORE AUX DIALOGUES D'AUGUSTE LE BRETON


Dans le hangar, pour le partage

JEAN GABIN : Tiens, Pépito, ouvre-les... (Pepito déboucle deux caissettesau pied-de-biche...) Compte-les...
PAUL FRANKEUR : Les quinze briques y sont. L'rancard était bon.
LINO VENTURA : Ça fait combien au pied, ça ?
PAUL FRANKEUR : Éh, trois millions chacun.
JEAN BERARD : Comment ?... Trois chacun ?... Un peu mieux, oui !...
PAUL FRANKEUR : Rappelle-lui qu'y faut donner la part du gars qui nous a balancél'affaire...
JEAN BERARD : Possible, mais pas une part entière.
JEAN GABIN : Mais si, Raymond. C'tait entendu avec le gars. D'abord, c'est l'meilleurmoyen d'y boucler la gueule...
PAUL FRANKEUR : La part du mec, j'irai y porter c't après-midi.
JEAN BERARD : Éh, minute ! Qui nous prouve que tu vas l'payer. Aprèstout, y'a qu'toi qu'y l'connais !
PAUL FRANKEUR : Qu'est-ce que tu veux dire ?... Bon Dieu !... Mais vous vous méfiezd'moi, ma parole ! Qu'est-ce qui vous prend ?!... Vous oubliez qu'c'est moi qui monteles affaires !... Vous oubliez qu'c'est moi qui m'mouille le plus dans celle-ci !...Vous, vous craignez rien ! L'mec vous a jamais vu !... Tandis qu'moi ! S'y s'dégonfleet qu'y parle !...
JEAN BERARD : Que tu dis, qu'on craint rien !... Et toi aussi, tu peux t'dégonfler!... Après la frousse que tu nous as montré dans la bagnole !...
PAUL FRANKEUR : Bon Dieu, tu veux pas dire... ! (Frédo sort son calibre etbraque le Matelot...) Retire ça, Raymond, sinon... !
JEAN GABIN : Oh, dis, Frédo ! T'as des nerfs de gonzesse, ma parole !... Toutà l'heure, tu t'déballonnes ! Maintenant, tu nous braques ! Qu'est-ceque ça veut dire, ça !?...
PAUL FRANKEUR : Faut pas m'en vouloir, Louis... Ça doit être la fatigue...Ou les nerfs, comme tu dis...
JEAN GABIN : (Le Gitan sort sa lame et va rectifier Frédo...) Non, Pépito,non... (À Frédo...) T'avise plus jamais d'sortir un flingue devantnous, hein !... Pour cette fois-ci, on t'fait une fleur, mais on t'en fera pas deux! Souviens-toi d'ça !... Bon, allez. Prenez votre pognon, pis toi, Raymond,tu l'accompagneras pour assister au paiement...
JEAN BERARD : Et comment que j'vais l'accompagner !... Des fois qu'il aurait l'intentiond'nous faire jongler pour étouffer l'affaire du mec !...
JEAN GABIN : Allez, tirez-vous, nous, on passe par derrière.
JEAN BERARD : Alors, pour la fiesta d'ce soir, ça tiens toujours ?
JEAN GABIN : Oui, oui. Rancard au “ Bar des Îles ”, comme d'habitude... (Seulsavec Pépito, ils bouclent...) Qu'est-ce que tu penses de Frédo ?
LINO VENTURA : Frédo ?... Tiens...
JEAN GABIN : Bah, oui, ch'sais bien. Mais ch'pouvais pas t'laisser dessouder un hommequi s'est mouillé avec nous, quoi... Ben, pis, après tout, c'est lapremière fois qu'y craque... Pis, dis donc, éh... p't-êt' quetoi aussi tu t'déballonnerais si t'avais tout son pognon, pis son pavillonen banlieue...
LINO VENTURA : Tiens donc !
JEAN GABIN : Ben, hé ! Éh... Tu passes à ton hôtel ?
LINO VENTURA : Ah, non. Faut qu'ch'fasse un saut à la roulotte, dis !... Faitun mois qu'j'ai pas vu la Roumie et les mômes !... Faut quand même qu'j'leurlaisse un peu d'monnaie...
JEAN GABIN : Bon, ben, tu diras bonjour à ta femme...
LINO VENTURA : Ben, pourquoi qu'tu viens pas becquetter, un d'ces soirs ? Doloresnous ferait une bonne tête de mouton-là ! Hein !...
JEAN GABIN : Verra ça... Tu vas au “ Sporting ” c't après-midi ?
LINO VENTURA : Oh, merde !
JEAN GABIN : Quoi ?
LINO VENTURA : Ça m'fait penser qu'on m'a filé un coup sûr pourla quatrième, dis donc !... Allez, hop ! J'irais à ma roulotte après!
JEAN GABIN : Éh ben, moi, j'vais t'en donner un, d'coup sûr. Passe doncà la roulotte avant pour laisser un peu d'fraîche à la Roumie...
LINO VENTURA : Oooooh, on va en repalper bientôt, non ?!... Dis, l'affairede Provins, ça tient toujours ?... J'espère que Frédo va pass'déboutonner maintenant !
JEAN GABIN : Qui ?! Lui ?!... Ho, ben, il aime trop l'oseille pour ça !...Même s'y doit mouiller son caleçon, y viendra...

Dans le garage de Louis-le-Blond

JEAN GABIN : Hé... Ça m'paraît correct, mais comme tu dis...c'est lourd !
ANTONIN BERVAL : Hé ! Ch'pouvais pas m'laisser prendre de vitesse par le Maltaisqui débarquait d'Buenos Aires !... Y venait pour acheter l'terrain et faireconstruire... On aurait eu bonne mine !... Deux boîtes de nuit côte-à-côte!... Alors, tu parles d'une concurrence... Tandis que maintenant... on reste lesrois du bled... On va pouvoir s'agrandir... Hé...
JEAN GABIN : Éh, mais s'agrandir, s'agrandir... Mais ça va chercherdans les combien, ces travaux-là ?
ANTONIN BERVAL : Éééh, deux millions cinq cent mille pesos...environ, quoi...
JEAN GABIN : Vingt-cinq briques ?! Ben, d'où tu veux qu'j'les prenne !?!!...La dernière fois qu'ch'uis descendu à Caracas, ch't'en ai déjàporté dix !... Faudra qu't'attendes un peu, mon pote...
ANTONIN BERVAL : Mais enfin, l'principal, c'est qu'tu sois d'accord... Tu sais qu'tufais un bon placement... C'est comme si tu mettais du jonc en conserve !
JEAN GABIN : L'or en conserve, c'est bon pour ton ami Frédo, ça...
ANTONIN BERVAL : Hé, ce vieux “ Qu'est-ce-qu'y-dit ”... Dix piges, dis, quej'l'ai pas vu... Toujours aussi économe ?
JEAN GABIN : Oooh, y n'risque pas d'finir à la Soupe Populaire ! Il est toujoursaussi serré du morlingue, fais-lui confiance !...
ANTONIN BERVAL : Hé-hé... Et sa nana ?
JEAN GABIN : Sa nana ?... Ouuuh, la nana, alors, maintenant... elle donne dans l'respectable...Bicoque en banlieue, pantoufles au coin du feu... Messe le dimanche... Hé,tu vois l'genre !...
ANTONIN BERVAL : Éh ben, mon vieux ! Elle a bien changé !... Dans l'temps,à Frisco, elle n'était pas si bêcheuse pour éponger lesmichetons...
JEAN GABIN : Éééh, qu'est-ce que tu veux... Faut croire qu'envieillissant, on cherche tous à s'blanchir...

À table, au “ Bar des Îles ”

JEAN GABIN : Éh ben, Madame Frédo va nous faire les z'honneurs de latable !...
GABY BASSET : Et bien, Louis, mettez-vous à ma gauche... Zé, àma droite... Et Madame en face de moi... Voilà...
LA POULE DE LINO : (Encaissant une main-au-panier...) Non, mais, dites donc !...
LINO VENTURA : Ben, Raymond ?
JEAN BERARD : Elle avait d'la poussière au valseur !...
LINO VENTURA : Ouais, ben, tu feras l'ménage une autre fois, hein !
JEAN BERARD : Oh, fâche-toi pas...
JEAN GABIN : Voilà, ma belle...
GABY BASSET : (Pépito se jette sur les huîtres...) Éh ben, n'vousgênez pas ! Prenez les plus grosses !
LINO VENTURA : Dites... On est pas chez “ Maxim ”, ici, hein, Madame Frédo!
GABY BASSET : Ni dans une roulotte, Monsieur Pépito !
LINO VENTURA : Oh, Frédo ! Tu vas dire à ta gonzesse qu'elle la metteen veilleuse, hein !?!
GABY BASSET : Réponds pas, va, Frédo ! Ça vaut pas l'coup !
PAUL FRANKEUR : Hein ?
JEAN GABIN : (Clin d'œil à Zé...) V'là qu'ça part !

Dans la piaule de Pierre

JEAN GABIN : Et d'abord, pourquoi qu't'es rentré si tôt ?! Ch't'avaisdonné d'l'oseille pour aller t'amuser !...
MARCEL BOZZUFFI : J'avais pas envie d'm'amuser !... Pis j'voulais revoir Hélène!...
JEAN GABIN : T'as été revoir cette morue...
MARCEL BOZZUFFI : Ch'te défends d'l'appeler comme ça !... Et puis,j'ai une question à t'poser !... Qu'est-ce que c'est qu'cette histoire duBois d'Boulogne !...
JEAN GABIN : Ah, parce que la Mère t'a pas expliqué !... Elle t'a pasdit qu'ton Hélène, c'était une moins-que-rien ! Une peau d'saucisson! Faut qu'ça soit moi qui t'le dise !!!...
MARCEL BOZZUFFI : Réponds à ma question !!!...
JEAN GABIN : Quoi !?!... (Mornifle...) Pis ch'te défends d'courir aprèscette tordue !... Ch'te défends, tu m'entends !!!...

À la planque, après le turbin

JEAN GABIN : Éh ben, l'Mimile a eu du pif !... Les soixante ont l'air d'yêtre-là... J'me demande c'qui peut bien foutre, le Frédo, alors!
LINO VENTURA : Te frappe pas pour lui, va ! Tu l'as déjà vu louperun partage, çui-là !?... Ah, la salope ! Quand ch'pense à c'quinous a fait aujourd'hui !...
JEAN GABIN : Bon, ben, dis donc. On va s'fader la part du Matelot. Ça va nousfaire cinquante briques à trois. Ben, pis les dix autres, c'est pour l'Émile,comme convenu, quoi...
LINO VENTURA : Oh, dis !... Tu vas quand même filer une par entièreà Frédo, non !?!... À c't'ordure !...
JEAN GABIN : Qu'est-ce tu veux, c'est pas une raison pour le doubler... Pis pourla dernière fois, j'veux rester correct avec lui...
LINO VENTURA : Quoi ? Tu vas l'virer !?...
JEAN GABIN : Non... Mais moi, j'commence à prendre du bouchon... J'ai décidéd'dételer, j'en ai marre...


LES GRANDES FAMILLES - DENYS DE LA PATELLIERE (1958)



Gravissant les marches du palais Schoudler

JEAN DESAILLY : Jacqueline a parié qu'vous pousseriez jusqu'à WallStreet... Le goût du pèlerinage...
JEAN GABIN : Éh ben, elle a perdu !... En matière de finance, je suiscroyant, mais pas bigot !...

Dans la piaule du boss

JEAN GABIN : Non. C'est moi qui suis en retard, mon beau-frère étaiten train d'm'expliquer l'Amérique... Y n'y'a jamais z'été, c'estsa force !...

Dans le burlingue de Schoudler

PIERRE BRASSEUR : Mon cher cousin, je suis positivement enchanté d'tombersur toi !... Ça m'évitera d'te faire à domicile ma visite decondoléances... Crois-tu... Ce pauvre Jean... Quelle perte... Le Générallui-même en était bien frappé... J'l'avais pas vu dans c't'état-làdepuis juin quarante... Quand il avait perdu sa cantine !...

Plus avant

PIERRE BRASSEUR : Ah, voilà... Nous avons d'l'argent tous les deux. Toi, tureprésentes le Patronat, moi, l'Capitalisme... Nous votons à droite.Toi, c'est pour préserver la Famille, moi, c'est pour écraser l'Ouvrier...Dix couples chez toi, c'est une réception... chez moi, c't une partouze !...Et l'lendemain, si nous avons des boutons, toi, c'est le homard, moi, c'est la vérole!... Tiens... même la guerre... Nous n'l'avons faite ni l'un, ni l'autre...Toi, tu représentes le Héros d'l'Intérieur... et moi, l'Planqué!... Non... Avoue qu'tout ça est bourré d'injustice...
JEAN GABIN : Mon cher Lucien, je suis ravi d't'avoir revu... Maintenant, si tu veuxbien m'laisser travailler...
PIERRE BRASSEUR : Aaaaah... Travailler... Hum... Aaah, j'attendais ça... Lemaître-mot !... L'explication d'tout... Voilà quarante ans qu'tu travailleset qu'je n'fais rien !... Que tu gagnes de l'argent et qu'j'en dépense...Que tu collectionnes les présidences... et moi les aventures... Vous me haïssezparce que j'm'amuse... Vous me haïssez... et moi, j'vous emmerde !

Embrouille dans un salon du dabe

JEAN GABIN : Il est toujours gênant, devant les étrangers, de traiterson fils de morveux... Oui, de morveux !...
JEAN DESAILLY : Je n'vous permets pas !!!
JEAN GABIN : Tu n'as rien à m'permettre !... Ni à mon journal, ni chezmoi !... Pour permettre, y faut pouvoir interdire, y faut être le patron !...Et l'patron, c'est moi !... N'oublie pas qu't'es l'fils Schoudler, un point, c'esttout !... Tout c'que tu as était dans ton berceau et tout c'que tu es, c'estmoi qui l'ai payé ! Car j'ai tout payé !!!... Y compris ta sortie d'Polytechnique,ta Légion d'Honneur et ta femme !
FRANÇOISE CHRISTOPHE : Mon Père, je vous en prie !
JEAN GABIN : Quoi, mon Père ?!... Je sais qu'vous l'aimez et qu'il vous aime,mais est-ce que Jacqueline Domaignac-Laval aurait épousé l'fils d'unbalayeur !!!?... Hein !... Non ! Alors !?!... C'est comme ta guerre, je n'dis pasqu'tu l'aies pas faite...
JEAN DESAILLY : C'est heureux !...
JEAN GABIN : Oui, mais tu l'as faite dans un escadron d'fils d'Archevêques!... Avec des bottes payées par Papa !...
JEAN DESAILLY : Ah, non ! Ça suffit !... Ma blessure aussi, c'est p't-êt'vous qui l'avez payée !... Il est vrai qu'vous auriez sans doute étéprêt à l'faire... En quarante-quatre, un héros dans la famille,c'était pas du luxe !...
JEAN GABIN : Un héros ! Mais il y croit, ma parole !!!... Mais il y croit!... Dis-toi bien qu'si j'avais eu besoin d'un héros, comme tu l'laisses entendre...J'en aurais fabriqué un qui soit plus représentatif !... Un d'ceuxqui flatte les familles et qui n'emmerde personne !... Un faux !...

Dans le boudoir de la souris

L'IMPRESARIO : Cesse, je t'en prie, de dire Lulu en parlant d'ce saligaud !... Quandch'pense à c'qu'il a failli nous coûter !... Oh, mon pauvre petit...Mais en couchant avec ce monsieur, sais-tu c'que nous faisions !?!... Nous nous mettionsla Presse à dos ! Tout simplement... Et à deux jours d'une générale!!!... Et pour les journalistes, tu n'étais plus l'admirable actrice que Parisadore... Elle a un talent fou !...
BERNARD BLIER : J'en suis sûr...
L'IMPRESARIO : Mais la maîtresse entretenue d'un maniaque notoire !!!...
LA POULETTE : Maniaque ?...
BERNARD BLIER : Il n'a jamais essayé de vous entraîner à desenterrements ?
LA POULETTE : Si... 'Fin, celui d'son cousin, le poète...
BERNARD BLIER : Hum-hum... Et vous l'connaissiez, le... poète ?
LA POULETTE : Non.
BERNARD BLIER : Alors ?...
L'IMPRESARIO : Et c'n'était qu'un premier pas !... Nous aurions fini par neplus faire l'amour qu'entre Bagneux et l'Père Lachaise !... En attendant lesCatacombes !...

Dans le palace de Chantilly

JEAN DESAILLY : Cinq cents millions... Oui, Jacqueline est prête à fairele tiers de la somme... Euuuh, j'ai un ami euh, le fils des “ Huiles Logo ”, quim'assure également son concours, alors, ça nous laisse environ... deuxcents millions à trouver, quoi. C'est pas l'Pérou !...
PIERRE BRASSEUR : Oh, ben, non... Pis ça permet d'se rappeler qu'on a un p'titoncle !...
JEAN DESAILLY : Non ? Vous entreriez dans la combinaison ?!... Ah, ça, j'avouequ'j'y avais pas pensé, mais... c'est une idée ! C'est même unetrès bonne idée !...
PIERRE BRASSEUR : Ah, c'est une idée excellente ! D'ailleurs elle est d'toi!... Non, écoute, mon p'tit François... Ton père me prend déjàpour un dégénéré, ta mère pour un fou... tes onclespour un voyou... ne m'prends pas, toi, pour un imbécile !...

Conseil de Famille dans le salon du Grand Manitou

ANNIE DECAUX : Ah, non, Raoul... Pas d'leçon d'morale chrétienne...Pas vous... Essayons plutôt d'être cohérent... Isabelle s'estunie avec un homme en dehors du mariage... premier pêché... Cet hommeétant marié, elle participait donc à un adultère... deuxièmepêché... Chaque fois qu'elle couchait avec ce monsieur, était-cepour avoir un enfant ? Non, n'est-ce pas ?... Alors ?... Quelle différenceentre refuser un enfant au moment où on doit l'concevoir... et le refusersix semaines plus tard ?... Elle commettra un pêché d'plus !... Voilàtout !... Quand on est dans une série !...
JEAN GABIN : Éh ben !
LOUIS SEIGNER : Notez qu'en un sens, c'est assez cohérent...
JEAN GABIN : Tiens donc !... Vous trouvez cohérent d'préférerla Faiseuse d'Anges au notaire de famille... Vous trouvez cohérent d'chargervotre nièce d'un crime alors qu'vous pouvez lui offrir un sacrement... J'm'étonne!...
JEAN WALL : À c'point d'vue, il a raison...
LOUIS SEIGNER : Alors qui ?
JEAN GABIN : Qu'est-ce que vous penseriez d'notre vieil ami Olivier ?...
LOUIS SEIGNER : Olivier ?!... Il a l'âge de Robert !
JEAN GABIN : Y n'le paraît pas.
JEAN MURAT : Ah, ben, merci !
ANNIE DECAUX : Et vous n'craignez pas néanmoins qu'une telle union fasse...sourire ?
JEAN GABIN : Mais pas du tout... Olivier est, certes, un peu plus âgéqu'Isabelle, mais il est beaucoup plus riche... On comprendra ça trèsbien...
AIME CLARIOND : Ce que l'on comprendra moins bien, c'est la mésalliance...Une La Monnerie, même avec tache, reste une La Monnerie... Et ça compte...
JEAN GABIN : Dans sept mois, ça comptera même double !...
JEAN MURAT : En tout cas, moi, j'mets mon véto. Un véto formel... Pasau nom du prestige, j'en ai fait l'plein... Mais d'la morale... Je m'suis laissédire, en effet, que cet Olivier avait eu autrefois des mœurs...
JEAN GABIN : Robert... Hum ?... Bon !... Éh ben, puisque vous êtes tousd'accord et qu'personnellement, j'n'y vois aucune objection, nous accordons àOlivier la main d'Isabelle.
LOUIS SEIGNER : Il faudrait peut-être lui demander si...
JEAN GABIN : C'est fait.
JEAN WALL : Avoir son approbation à elle !
JEAN GABIN : Ce sera fait.
LOUIS SEIGNER : En somme, que reste-t-il à faire ?
JEAN GABIN : Le mariage... La Bénédiction aura lieu dans trois semainesen l'Église Saint-Pierre de Zürich...
AIME CLARIOND : Pourquoi en Suisse ?
JEAN GABIN : Parce que l'air y est excellent ! Vous n'allez tout d'même pasdire le contraire, non !!!

Plan de campagne dans la boutique du vieux

JEAN GABIN : Plus j'étais aimable, plus il se méfiait... J'ui auraisdonné la clef du coffre, y s'serait imaginé qu'y'avait une bombe dedans!... Décidément, la bêtise est un placement d'père defamille !... Inutile d'acheter d'l'or quand on a du Maublanc...

À la Bourse, dans l'estanco des cousins Leroy

PIERRE BRASSEUR : Et c'est moi qui passe pour un salaud... Ah, laissez-moi vous regardez!... Vous m'faites plaisir, vous m'consolez... Alors, vous bouffez à tousles rateliers... Ordures ! Fumiers !
JEAN GABIN : (Noël Schoudler s'imisce discrétement dans la case des Leroyet referme les battants...) Ferais bien d'mesurer tes paroles, Lucien... Jusqu'àprésent, tu pouvais t'permettre des écarts de langage, tu étaisriche !... Mais maintenant, y va falloir apprendre à être poli !...Je m'suis laissé dire qu't'envisageais d'venir pisser sur mes coussins, maisch'crains qu'y n'te faille y renoncer... Je regrette d'autant plus qu'nous auronsl'occasion d'te voir à la maison beaucoup plus souvent qu'autrefois... Quandtu viendras m'taper d'quelques billets d'mille... Pour ta pitance... Car fais-moiconfiance, j'te laisserai d'quoi mourir... Tout juste !... (Il ripe...)
PIERRE BRASSEUR : C'est beau, la famille !...


ARCHIMEDE LE CLOCHARD - GILLES GRANGIER (1958)



Derrière son zinc, Monsieur Grégoire, sentencieux

PAUL FRANKEUR : Il vaut mieux s'en aller la tête basse que les pieds devant...

Dans le clapier d'Archimède

JEAN GABIN : Monsieur Félix, vous allez foutre le camp ! Je n'peux pas supportervotre tronche !
JULIEN CARETTE : Il ne faut pas se fier au physique des gens !
JEAN GABIN : Avec vous, si !... Vous avez la gueule de travers et la mentalitébiscornue, vous êtes synchrone !... Allez, hop ! Du vent !... Et si àtrois, vous n'avez pas pris la porte, moi, j'vous fais prendre la fenêtre !

Accoudés au bar

LE POIVROT : C'qu'elle avait d'tocard, la Mère Grégoire, c'étaitl'humeur.
JEAN GABIN : C'est surtout l'âge... Quand t'attrapes cinquante carats, t'asbeau être aimable, ça n's'remarque plus...

Au zinc avec Monsieur Pichon, le nouveau proprio

JEAN GABIN : Oooh, mon pauvre ami ! Vous devez avoir le foie comme une champignonnière...Ch'uis sûr qu'avec un stéthoscope, on les entendrait pousser, vos granules...
BERNARD BLIER : J'vous préviens, j'aime pas ce genre d'astuce !
JEAN GABIN : C'que j'en dis, c'est pour l'avenir de Bichette.
BERNARD BLIER : Ces astuces-là aussi, j'les aime pas !... La mort, c'est sérieux.C'est pas un sujet d'plaisanterie.
JEAN GABIN : La mobilisation n'est pas la guerre, mon cher. Et ch'trouve qu'on devraitarroser la dote de Madame.
BERNARD BLIER : Oui... Et pas avec du casse-pattes ! Avec du spécial ! Dela réserve au Père Grégoire ! Ch'pensais bien qu'y'aurait uneoccasion, la voilà... (Décarrade en canfouine pour distiller la potion...)Une !... Deux !... J'vais t'en foutre, moi... D'la cirrhose... J'vais t'faire écouterpousser mes granules, moi, tiens !... Pour du spécial, ça va êtredu spécial... Ah, l'pourri !... Si j'ai l'foie en fleur, ch'ais pas en quoiy va être, l'sien... Chromé, qu'y va être !... Tout métal!... Tiens, Bec-en-Zinc !... Si t'en crèves pas, mort aux cocus !... (Retouren salle pour déguster le nectar...) Vous allez m'en dire des nouvelles.
JEAN GABIN : Qu'est-ce que c'est ?
BERNARD BLIER : Du Tafanel supérieur ! De la Réserve. Goûtez-moiça.
JEAN GABIN : Manque un peu d'moelleux... Ça doit être un coupage...Mais... il est tonique, hein ! On l'sent descendre... On l'sent même vachementdescendre, hein !... Permettez ? Il est taquin. On s'y ferait vite, hein ?...

Sur un banc public, pendant la collation

1ER HOMME-SANDWICH : Monsieur boit du vin bouché ! Non, là, j'vousjure, ça dépasse tout ! Le clochard, maintenant, voilà qu'çadonne dans l'chien d'luxe et dans l'appellation contrôlée !
2EME HOMME-SANDWICH : Moi, c'genre-là, ça m'les casse !
JEAN GABIN : Éh ben, moi, c'qui m'les casse, c'est les faux affranchis ! Lespétroleurs syndiqués, les anars inscrits à la sécuritésociale ! Ça refait la Chine, ça prend la Bastille et ça s'prostituedans des boulots d'esclave ! Ah, y sont beaux, les réformateurs du monde !...Le statisticien qui baguenaude un placard d'usurier, le Chinetoque qui propage lesdanses tropicales et l'mange-merde qui prône la gastronomie ! Ah, il est mimi,l'triumvirat !... Un beau sujet d'pendule !... Allez, viens, ma belle ! Qu'on foutele camp, qu'on voit p'us ces affreux !...


MAIGRET ET L'AFFAIRE SAINT-FIACRE - JEAN DELANNOY(1959)



Dans le couloir, devant la chambre de la dépouille

PAUL FRANKEUR : Tu crois qu'un mauvais plaisant... ?
JEAN GABIN : Oh, en matière de crime, j'ai connu des tas d'motifs... L'intérêtneuf fois sur dix... quelques fois la haine... souvent la passion... la plaisanterie,jamais !...

Raccompagnant le prêtre à la grille

MICHEL VITOLD : Nous avons eu, en effet, Madame de Saint-Fiacre et moi, un entretien...Mais je n'pense pas que le Salut des mes puisse intéresser un rapport de Police...
JEAN GABIN : C'est drôle, les idées qu'on s'fait quand on est pas aucourant... Moi, ch'pensais qu'le Salut des mes, c'était l'objet d'conversations...à voix basse, l'ambiance du confessionnal... Avec vous, ça serait plutôtles arènes, hum !... Ah, si !... J'n'écoutais pas, mais j'ai entendu! Vous deviez certainement dire de Saintes Paroles, mais en tapant du pied !... Notezqu'y'a pas d'mal à ça... On peut avoir l'esprit chrétien etl'mollet nerveux... on peut aussi chapitrer les vieilles dames en brisant des sous-verres,mais... Est-ce bien indiqué pour une cardiaque ?

Devant la cheminée, dans le salon mité

MICHEL VITOLD : Arrêtez d'boire, j'vous en prie !
MICHEL AUCLAIR : Mais pourquoi ? L'alcoolisme vous choque ?... Ch'trouve, au contraire,qu'y fait partie d'l'ensemble !... Ma mère ne vous avait jamais parléde cette fâcheuse tendance ?... Mais alors, Bon Dieu, de quoi parliez-vous!?!... La pauvre vieille passait son temps au confessionnal !... C'est quand mêmepour vous dire quelque chose !?... En dehors de griller en Enfer, de quoi avait-ellepeur !?!... Hein !?... Et bien, j'vais vous l'dire !... Elle avait peur de moi !...Peur de m'voir rappliquer parce qu'elle avait honte !... Honte !... Éh, lapauvre vieille avait honte...
JEAN GABIN : On comprend ça...
MICHEL AUCLAIR : Ah, mais, non... Vous n'y êtes pas du tout... C'étaitpas d'moi, qu'elle avait honte... C'est d'elle !... Cet argent qui passait au secrétaire,après tout, c'était mon fric !... Le patrimoine !... Elle craignaitqu'j'ui demande des comptes !... Que j'ui reproche ses écarts !... Son inconduite!... Et vous-là !... Vous deviez agiter l'grelot, hein !... Flétrirla débauche !... Monnayer les absolutions contre les mea culpa !... Les hostiescontre les secrétaires !... Éh, répondez-moi ! Dites-moi qu'cen'est pas vrai !... Mais dites-le donc !!!... Ah, non ! Vous n'sortirez pas d'iciavant qu'je sache c'qu'elle a souffert à cause de moi et... !
(Maigret intervient en reconduisant le cureton...)
JEAN GABIN : Allez, Monsieur l'curé... Allez...
MICHEL VITOLD : Je prierai pour vous.
MICHEL AUCLAIR : Pour obtenir quoi ?!... Le pardon d'ma mère ou l'créditd'la banque ?...
(Le curé referme la lourde derrière lui...)
JEAN GABIN : Ben, moi, c'est d'vous qu'j'ai honte... Vos airs sataniques et vos pavésdans l'bénitier sont p't-êt' un système de défense, maisj'vous trouve pénible...
MICHEL AUCLAIR : J'abime vos souvenirs, hein ?... Aaah, évidemment, Monsieurmon Père devait avoir plus de... Comment dirai-je ?...
JEAN GABIN : Plus d'classe...
MICHEL AUCLAIR : Éh, oui, oui, je sais, oui... J'devrais être là-hauten grand deuil, les yeux rouges, à serrer les mains d'un air accablé...(En reluquant le portrait du dabe...) C'est pourtant vrai qu'il a d'l'allure, hein?... Ah, y sont beaux, les derniers Saint-Fiacre, hein ?... Y sont frais !... Un...un ivrogne un peu escroc et... une vieille bigote qui s'envoie des gigolos !...

À la Brasserie “ Le Grand Café ”, rejoignant Arlette

JEAN GABIN : Permettez ?... (Maigret s'asseoit...) J'vous demande ça parceque ch'uis un ami d'Maurice... Y'a longtemps qu'vous l'connaissez ?
MICHELINE LUCCIONI : Ça date d'hier soir... J'étais là, touteseule, alors il a fait comme vous, y m'a offert un verre...
JEAN GABIN : Garçon.
MICHELINE LUCCIONI : Un cointreau !
JEAN GABIN : Ensuite ?
MICHELINE LUCCIONI : Oh, ben, on verra. P't-êt' une mirabelle...
JEAN GABIN : Ah, non, non, non, j'veux dire euh... ensuite euh... Maurice et vous.
MICHELINE LUCCIONI : Aaah. Ben, on a bavardé jusqu'à deux-trois heuresdu matin...
JEAN GABIN : Ici ?
MICHELINE LUCCIONI : Oh ! Ho, j'veux bien qu'ici, y'ait des banquettes et des glacesautour, mais alors... vous parlez d'une intimité !... Non, on est alléchez lui... Enfin, à l'“ Hôtel du Lion d'Or ”... Pourquoi qu'vous m'demandezça ?...
JEAN GABIN : Ah, ben, comme ça, quoi... Pour euh...
(Le lardu vient servir Madame...)
MICHELINE LUCCIONI : Et mon p'tit sucre ?
LE GARÇON : Le v'là !
MICHELINE LUCCIONI : Z'êtes de passage ?
JEAN GABIN : (Défrimant le garçon qui fait le pied-de-grue...) Ben,c't'à lui qu'faut demander ça !...

Interceptant Lucien Sabatier qui ripe avec armes et bagages

JEAN GABIN : Alors, ça y est, vous l'avez trouvé c't appartement ?Vous déménagez ?
ROBERT HIRSCH : On m'a fait comprendre que la décence voulait qu'je m'éloigne...j'm'éloigne...
JEAN GABIN : Bravo !... Mais n'confondons pas décence et imprudence, départet fuite... Vous éloignez pas trop, j'aurais sûrement des questionsà vous poser, hein...
ROBERT HIRSCH : Maître Mauléon y répondra pour moi !... Il arrivece soir !...
JEAN GABIN : Éh ben, y tombe bien !.. Demandez-lui donc de venir au Châteauà sept heures, vous aurez p't-êt' besoin d'lui...
ROBERT HIRSCH : J'n'ai aucune raison d'aller au Château à sept heures!... Aucune raison d'vous obéir !... À quel titre, d'ailleurs ?!...
JEAN GABIN : Vous avez un genre qui n'me plait pas, Lulu, mais qui pourrait plaireau Juge d'Instruction... C'est pourquoi j'vous conseille de mettre votre avocat enveilleuse et votre montre à l'heure... Hum ?...

À table, pour le règlement de comptes

JEAN GABIN : D'ailleurs la culpabilité d'un seul n'exclut pas la responsabilitéd'tout l'monde !...
PAUL FRANKEUR : Ah, là, Jules, tu vas un peu fort !...
JEAN GABIN : Bouchardon, tais-toi.
PAUL FRANKEUR : Ben, tu permets ! Tu nous mets tous dans l'bain ! J'ai tout d'mêmele droit... !
JEAN GABIN : Tu n'veux pas t'taire ?... Bon... Depuis combien d'temps savais-tu qu'tamalade était en danger d'mort permanent ?
PAUL FRANKEUR : Environ douze mois.
JEAN GABIN : À la suite de quoi ?...
MICHEL AUCLAIR : Et bien, dites-le, Bouchardon, puisqu'on vous l'demande !... Àla suite de mon télégramme de Megève... “ PRIERE ENVOYER MANDATUN MILLION CINQ PAR RETOUR – AI DU SIGNER CHEQUE SANS PROVISION – POLICE ALERTEE– TENDRESSE – SIGNE MAURICE ”... Le chèque, ça n'était pas encorevrai... La Police non plus, d'ailleurs... La vérité était pluspoétique... J'avais acheté un châlet pour faire du ski avec unejeune personne...
JEAN GABIN : Et vous avez failli tuer votre mère pour ça...
MICHEL AUCLAIR : Ah, ça n'était pas prévu... C'qui prouve lesdangers du ski, même par correspondance !...

La dégringole continue

JEAN GABIN : Qui était au courant d'sa première crise ?!
PAUL FRANKEUR : Tout l'monde !... J'avais bien recommandé prudence... ménagement! Mais va t'faire fiche ! Si tu crois qu'ça les a empêché d'continuerleur cirque !... D'un côté, on réclamait des comptes !... Celui-làqu'en promettait dans l'au-delà !... Et c'est drôle... tous les deuxà cause de l'autre d'en face !
JEAN GABIN : Mon cher Maître, il est question d'votre client.
JACQUES MOREL : Nous n'répondons pas aux vagues insinuations d'un rebouteux...
PAUL FRANKEUR : Un rebouteux !!!
JEAN GABIN : Bouchardon, assieds-toi !
MICHEL AUCLAIR : Mais oui, Bouchardon, calmez-vous... Un peu d'tenue, Messieurs...Nous sommes au Château !...

Toujours en plein suif

JEAN GABIN : Saviez qu'vous aviez un cohéritier ?...
MICHEL AUCLAIR : En effet, j'ai appris c'détail...
JACQUES MOREL : Un détail ! Monsieur l'Comte vient d'trouver l'mot juste,un détail...
JEAN GABIN : Un d'plus !... Avec votre client, s'sont justement les détailsqui sont gênants !... Car y n'appréciait pas qu'la peinture, l'critiqued'art, y connaissait aussi la musique !... Hein, Lulu ?... Trois millions deux centmille francs, la chère bienfaitrice !...
ROBERT HIRSCH : J'l'appelais Mamy !
JEAN GABIN : Bien sûr !... Et Lulu traînait Mamy chez l'notaire !...
MICHEL AUCLAIR : Moi, je n't'en veux pas d'avoir couché avec la pauvre vieille...
MICHEL VITOLD : Taisez-vous !
MICHEL AUCLAIR : Ch't'en veux d'l'avoir roulée... J'aime pas les escrocs affectueux...
ROBERT HIRSCH : Préférez le style rural !... Le genre déférent...Gautier, par exemple !

Rififi final

JEAN GABIN : Alors ?... Y reste un troisième client du “ Grand Café”... L'habitué, l'champion d'billard, le brave Émile !... C'est Arlette,une habituée elle aussi, qui l'a vu prendre le journal !... Et son compliceest celui qui vient d'quitter cette table pour retirer l'papier qui étaitlà !!!... (Maigret désigne le missel de la Comtesse et les regardsse portent sur le régisseur...)
SERGE ROUSSEAU : Mais y'a pas qu'mon père qui soit sorti !... Sabatier aussi!... Et Monsieur l'Comte !... Et... et l'autre qui s'est promené toute lasoirée !...
JACQUES MARIN : Après l'retour de Monsieur Sabatier et après celuid'Monsieur l'Comte, l'article était toujours dans l'missel.
CAMILLE GUERINI : (Le père Gautier veut détruire un bout de papelard...M'sieur l'Comte intercepte...) C'est pas nous ! On a rien fait !...
JEAN GABIN : C'est pas vous qui, depuis dix ans, rachetez les terres et les fermesen sous-main ?!
CAMILLE GUERINI : C'est pas vrai !!!...
JEAN GABIN : C'est pas vous non plus qu'avez hypothéqué l'Châteaupour cinq millions ? Parce ça aussi, j'l'ai appris chez l'notaire !... Cinqmillions, c't une bonne affaire, hein !... Tellement bonne qu'y n'fallait pas qu'lapauvre vieille revoit son fils !... Parce qu'il est p't-êt' pas brillant, l'fils,mais il aurait certainement pas laissé faire ça !...
CAMILLE GUERINI : C'est pas vrai !!!...
JEAN GABIN : Seulement voilà ! Vous n'êtes pas seulement cupides, vousêtes vaniteux !... Devenir châtelains, c'est ça qu'vous vouliez! Les Gautier d'Saint-Fiacre ! Et celui-là, l'Dauphin !... Le régisseurmodèle et l'caissier titularisé !... Les cœurs purs ! Les loyaux !...Ben, ch'uis p't-êt' pas caissier, moi, mais ch'peux tout d'même vousfaire votre compte !... Vous, dix ans d'prison !... Quant à l'autre petitecrapule, ça sera plus cher !... Viens avec moi, toi !...


RUE DES PRAIRIES - DENYS DE LA PATELLIERE (1959)



Au zinc, pour l'apéro

PAUL MERCEY : Ch'te dis pas qu'ton fils a pas gagné ! Ch'te souligne seulementqu'Martin l'a surpris au démarrage, y'a une nuance !
JEAN GABIN : Surpris, surpris ! Tu m'as l'air surpris, toi !... Tiens, quand tu causesvélo, c'est comme si moi, ch'causais élevage de poules, t'y connaisqu'dalle ! Alors !
PAUL MERCEY : Ben, j'ai tout d'même vu passer l'Tour de France pas plus tardque c't été, en haut d'l'Isoar, à part ça !...
JEAN GABIN : Oui, c'est bien c'que j'dis ! T'y connais qu'dalle, tu confonds tout!... Primo, monsieur, la Cypale, c'est pas l'Isoar ! Secundo, voir passer une course,c'est p't-êt' un spectacle, mais question bagage technique, zéro !
PAUL MERCEY : J'ai quand même vu Charly Gaul...
JEAN GABIN : Charly Gaul, Charly Gaul... Bon, c't un bon coureur, d'accord, bon,ben... Pis, dis donc, éh ! Si tu veux parler d'la route, alors ch'peux t'prendrelà-dessus, parce que j'en connais un p'tit bout !... Et pis ch'peux t'direqu'y'en a eu d'autres, des coursiers, avant M'sieur Charly Gaul ! Et pis des drôlesde coursiers !...
PAUL FRANKEUR : Pas des fantaisistes !
JEAN GABIN : Ah, oui ! Je veux !... T'as jamais entendu parler d'Monsieur Christophe,le Vieux Gaulois ! De M'sieur Alavoine ! De M'sieur Thyss ! Sieur ! Lambeau ! DeM'sieur Notia !... Et je n'parle pas d'Henri !...
PAUL MERCEY : Henri qui ?
JEAN GABIN : Oooh... Meeerde, mec !... “ Henri qui ? ”, qu'y demande, le lavedu !...Mais Henri Pelissier, Monsieur !... Pis à c't'époque-là, y avaitpas d'dérailleur !... On retournait sa roue pour le grimper, votre Isoar !...Seulement ça, c'est d'l'histoire... Ça s'apprend pas en vacances aubord des routes !...
PAUL MERCEY : Euj't'en fiche ! J'voudrais bien l'voir dans l'Isoar, moi, tiens !
JEAN GABIN : Oh, quel con, c'mec-là ! Prends-le un peu, tiens, y m'essouffle! Aaah !...
PAUL FRANKEUR : Écoute, mon vieux... On causerait politique, que tu t'paumesdans les étiquettes, on admettrait... Mais le sport, c'est un truc propre!... C'est pourquoi quand tu compares les sprinters et les grimpeurs, les pistardset les routiers, ben, tu mélanges un peu les pédales !
JEAN GABIN : Tiens ! C'est comme si t'additionnais les oiseaux avec les lévriers!... Faut pas avoir été beaucoup à l'école, non ?!...Tiens, dis donc, Gildas, donne nous donc l'der, là !
PAUL MERCEY : Non ! C'est ma tournée !... D'accord ?
PAUL FRANKEUR : C'qu'on t'a dit, c'est pour toi !... C'est pour qu'à l'avenir,si t'as à causer d'bicyclette, ben, tu débloques moins !
PAUL MERCEY : N'empêche que... ch'comprends toujours pas c'démarragesoi-disant “ voulu ”...
JEAN GABIN : Oh, merde ! Donnez-moi un vélo que j'y explique, quoi !... Tiens,donne-moi l'tien !... (Gabin enfourche une chaise à l'envers...) Oh-la-la!... Ch'te parlerais même pas du braquet qu'on pousse parce que, làencore, t'y connais qu'dalle !... Bon !... T'es aux balustrades, dans l'dernier virage...Hein ?... Et c'est toi qui mène la bricole !... Alors, évidemment,tu surveilles le mecton qu'est derrière... Comme ça... Sous les bradillons,sans avoir l'air de rien... Bon !... Et pis t'accélères un peu... Alors,l'autre marlou, derrière... faut qu'y s'décide !... Ou bien y restedans ta roue, ou bien y plonge !... Parce que s'il attend la sortie du virage, c'esttoi qu'y démarre sous l'pif !... Hein ? Alors t'accélères unpeu... Encore un p'tit peu... (Il simule le coup de flingue en tricotant des pinceaux...)
PAUL FRANKEUR : Pa-pa-pa-pa-pa-pa-pa-pa-pa-pa-pa !!!!!...

Sur un banc de la piste d'entraînement

ALFRED ADAM : Ouais. Tu peux lui serrer la main, au Père Loutrel, mon cochon! Ça y est, c'est signé !... Et pas une course... Trois !
CLAUDE BRASSEUR : Sans blague !
ALFRED ADAM : Officiel !... T'ouvres le bal dans quinze jours, à Bordeaux,le dimanche d'après, ici, et l'suivant, à Rouen... À Bordeaux,ch't'ai programmé avec Rénaldi et Fougeron... Trois matches àdeux et un match à trois.
CLAUDE BRASSEUR : Oh !... À deux ou à trois, c'est du kif !... Parceque l'Rénaldi, moi, j'me l'farcis en roue libre !
ALFRED ADAM : Tu connais un bon marchand d'freins ?... Des fois qu't'en ai besoin,ch'peux t'envoyer chez lui... Parce qu'à Bordeaux, c'est pas toi qui gagnera...C'est Rénaldi.
CLAUDE BRASSEUR : Quoi ?!!
ALFRED ADAM : Toi, tu gagneras au Parc si tu peux, l'dimanche suivant... Mais àBordeaux, c'est lui.
CLAUDE BRASSEUR : Si j'veux !
ALFRED ADAM : De toute façon... oui, tu vas un peu plus vite que Rénaldi,beaucoup plus vite que Fougeron... séparément, tu les bats, d'accord!... Mais à deux contre un... tu vas chez plumeau !... C'est pour éviterça qu'j'ai mis les choses au point... Et pis... si c'est toujours les mêmesqui gagnent, y'a jamais d'revanche !... Alors ! Hein ?... L'casse-croûte !...T'es un espoir, mon p'tit, un grand espoir... mais... Rénaldi, c'est une certitude...Il a laissé des souvenirs... Toi, tu vaux trois strapontins, Rénaldiremplit un stade... À condition d'gagner encore de temps en temps...
CLAUDE BRASSEUR : Oui, ben, il a jamais fait d'cadeaux dans sa jeunesse, lui !
ALFRED ADAM : Qu'est-ce que t'en sais ?!... Oh, puis, tu sais, si mes propositionst'plaisent pas, t'es toujours libre de les refuser !... L'amateurisme, pffft !...C'est beau, c'est pur... Tu continueras à gagner... Tous les dimanches...Des timbales et des porte-clefs... Ch'uis démocrate, moi... Un héritierd'quatre-vingt neuf... Chacun ses goûts... Si à ton usine, tu passespour un caïd, personne t'empêche de retourner !... Seulement pour Bordeaux,faut s'décider tout d'suite !... C'est oui ou merde !

Sur leur chantier

JEAN GABIN : Ben, et ton casque ?
PAUL FRANKEUR : Qu'est-ce qu'il a mon casque ?
JEAN GABIN : Il est pas fait pour être porté en sautoir, non ?!
PAUL FRANKEUR : Monsieur l'Chef de la Sécurité, excusez-moi !... Tusais c'que tu m'rappelles ?... Le Vingtième d'Artillerie, à Poitiers!... On avait un juteux aussi emmerdant qu'toi !
JEAN GABIN : Ouais, mais à c't'époque-là, t'avais vingt piges! T'as déjà plus tellement l'âge de faire l'chimpanzé,prends au moins des précautions...
PAUL FRANKEUR : J'ai l'impression qu'ton casque, toi, tu l'avais c'matin en t'réveillant...Tu tenais une sacrée muffée, hier au soir !
JEAN GABIN : Oh, dis ! Ça m'ferait mal, non !
PAUL FRANKEUR : T'as du prendre ton lit en marche !
JEAN GABIN : Tiens donc ! Tu parles ! J'ai p't-êt' bu, ch'ais pas, moi... troisp'tits blancs...
PAUL FRANKEUR : Quoi ?!
JEAN GABIN : Oh, mettons quatre... C'qui prouve qu'on peut très bien fêterun événement familial sans sombrer dans la vinasse !... Dans la vinasse...et j'ajoute dans l'porno !
PAUL FRANKEUR : Tu dis ça pour qui ?
JEAN GABIN : Oh, pour personne... Mais ça m'rappelle qu'à la premièrecommunion d'ton filleul, j'ai tout d'même été obligé d't'empêcherd'ôter ton pantalon, hein !... Tiens, dis donc, en parlant d'ton filleul, t'saisqu'y va passer professionnel.
PAUL FRANKEUR : Ben, il a raison !
JEAN GABIN : Et pis Odette, dans la photo... Un p'tit coup à la téléet pis hop, c'est parti !... Ch'te cache pas qu'ch'uis pas fâché d'lavoir quitter son magasin d'godasses, ça m'a jamais beaucoup plu... Surtoutqu'y'a pas un soir qu'y'a pas un client qu'essaie d'l'embarquer pour aller dîner!... Tandis qu'là... dans la mode et pis dans la presse... ch'crois quandmême que c'est un autre monde, hein...
PAUL FRANKEUR : Et ton troisième, le Fernand, y vise quoi ?
JEAN GABIN : Ah, çui-là, c'est autre chose.
PAUL FRANKEUR : Ça, évidemment.
JEAN GABIN : Quoi “ évidemment ” ? Qu'est-ce que ça veut dire ?
PAUL FRANKEUR : Ça veut dire que Fernand n'est pas un produit maison... Pasun Prince du Sang...
JEAN GABIN : Non, mais c'est complètement con, c'que tu dis-là !...Ch'fais pour lui comme pour les deux autres. J'en fais même plus...
PAUL FRANKEUR : Si tu veux mon avis, t'en fais même trop !... Les deux autres,tu les as retirés d'l'École à quatorze ans, çui-là,si tu pouvais, tu lui ferais faire Polytechnique !
JEAN GABIN : Ben, et alors !... Les miens, c'est moi qui les ai faits... Ch'ais c'qu'ysentent et ch'ais c'qu'y pensent... Mais l'Fernand, son père, c'étaitp't-êt' un mec très bien, mais c'était p't-êt' aussi l'dernierdes salauds !... Va donc savoir c'qu'il a dans l'crâne !... C'est pour çaqu'j'veux y mettre le plus d'choses possible, tu comprends ?... Au cas où!... Et pis pour pas qu'y soit dit qu'j'avais pas fait c'que j'devais faire !
PAUL FRANKEUR : C'est bien toi, ça !... Tu devrais faire graver des cartesde visite ! “ Henri Neveu - Homme de devoir ” !
JEAN GABIN : Oh, ça va, arrête ton tir, va.
PAUL FRANKEUR : Pourquoi pas ? C'est une branche qu'est pas tellement encombrée.

De retour au bercail

JEAN GABIN : Bon, maintenant qu'on est tous les deux, c't'histoire de mille balles,qu'est-ce que c'est ?
ROGER DUMAS : Perrault, c'est une lope !
JEAN GABIN : Oui, ben, c'est pas c'que ch'te demande !... S'y fallait “ extorquer”, comme y disent, mille balles à toutes les lopes, on aurait p'us besoind'travailler !... Écoute, Fernand. L'môme Perrault a une têteà claques, tu y'en as filé une, ça, c'est une chose !... Maisqu't'ais voulu lui piquer mille balles, ça, c'est autre chose ! Et autre choseque j'aime pas !... Y t'les devait ?... Hein ?... C'est toi qui les dois àquelqu'un ?... J'aime mieux t'dire que pour un truc pareil, avec mon père,ç'aurait été la porte !... T'as d'la veine que ça s'faitp'us !... Mais y'a un truc qui s'fait encore !... C'est l'coup de pied au cul !...Alors, c't'explication ! Ça vient ?
ROGER DUMAS : Ch'peux pas l'dire ! Même pas à toi !
JEAN GABIN : Mais, Bon Dieu, il a raison, ton dirlo !... Un antisocial, que t'es!... Et pis un drôle d'emmerdeur, en plus ! Et ça, c'est moi qui tel'dis !

Sous la tonnelle d'une guinguette, au bord de l'Oise

ROGER DUMAS : Et moi, si on me l'paye, ch'ferais un tour d'pédalo !
JEAN GABIN : Dis donc, Fernand. Tu trouve pas qu't'envoies un peu loin l'bouchon?... Ch't'ai emmené à l'Isle-Adam avec nous parce que la santéd'abord... mais si tu veux pas qu'on recause de ton livret, tu ferais mieux d'oublierl'canotage et d'te faire les poumons en silence !
ALBERT DINAN : Écoute, y fait beau, c'est dimanche, on est pas là pours'engueuler... Ch'ais pas c'qu'il a fait, mais...
JEAN GABIN : T'es-t-y parent d'élève, toi ?
ALBERT DINAN : Non.
JEAN GABIN : Bon, ben, alors, viens pas t'glisser dans ma spécialité...Parce que c'en est une !... Et une sévère, ch'te l'dis !

Dans la carrée d'Odette

MARIE-JOSE NAT : Comment ça va, toi ?... Ben, dis donc, t'as une drôlede tête.
ROGER DUMAS : Y'a d'quoi !... Ch'uis viré d'l'école !... La lettredu dirlo est arrivée c'matin, j'l'ai piquée chez la bignole, mais onest en plein dans l'provisoire !... Faudra bien qu'j'ui dise... Tu parles d'une musique!... Et si tu y disais, toi... Ben, t'es plus ficelle que moi pour ça !
MARIE-JOSE NAT : Tourne-toi pendant qu'je me change... Faut pas s'affoler, faut réfléchir.
ROGER DUMAS : J'ai fait qu'ça toute la nuit, éh... J'en ai pas fermél'œil... À la fin, j'voyais des léopards au plafond...
MARIE-JOSE NAT : Si tu veux mon avis... Regarde pas, hein !
ROGER DUMAS : Tu crois qu'j'ai la tête à ça ?... Qu'est-ce quec'est, ton avis ?
MARIE-JOSE NAT : Ben, attendre et prier l'Bon Dieu qu'Loulou gagne cet après-midi...Le vieux bichera comme un pou, on lui glissera la nouvelle à c'moment-là...
ROGER DUMAS : Ah, oui, c't une idée, ça !... Seulement ça, çarepose sur Loulou !... Pis s'y m'refait l'coup d'Bordeaux, ch'uis marron, moi !...(Entrouvrant la porte...) Éh, dis donc, P'pa !...
JEAN GABIN : Quoi ?
ROGER DUMAS : Tu crois qu'il a une chance, Loulou, tantôt ?
JEAN GABIN : Ah, si y gagne pas, j'y botte les fesses, hein !...
ROGER DUMAS : Éh ben, ch'crois qu'y'a une belle série qui s'prépare!

Dans la piaule du “ cinq-à-sept ”

MARIE-JOSE NAT : Oh, et pis, vas-y, va ! Fais ton numéro, t'es venu pour ça!... Parle-moi d'la jeunesse actuelle ! Traite-moi d'enfant dénaturée! De fille indigne !
JEAN GABIN : Oh, non... D'putain.
MARIE-JOSE NAT : Ch'te défends !
JEAN GABIN : Tu m'défends quoi ?... D'appeler les choses par leur nom, quoi! J'ai une fille qu'est une putain !
MARIE-JOSE NAT : Parfait. Puisque tu veux tout savoir, le monsieur qui est en basest mon amant ! Ça veut dire que nous couchons ensemble ! Et on est trèsheureux comme ça ! On a simplement oublié de t'demander la permissiond'l'être ! Excuse-nous, mais permets-moi d'te rappeler qu'ch'uis majeure !
JEAN GABIN : Oooh, j'le sais ! Mais lui aussi, il l'est ! Et depuis longtemps !...As-tu pris seulement la peine de l'regarder, hein ?... Regarde-moi ! Sauf le ventre,c'est pareil ! Il a mon âge ! Seulement moi, ch'uis ton père !
MARIE-JOSE NAT : Oui, bien, figure-toi qu'je l'aime !
JEAN GABIN : Tu l'aimes ?
MARIE-JOSE NAT : Parfaitement ! J'aime sa distinction !
JEAN GABIN : Oui, t'aimes surtout sa voiture et son carnet d'chèques ! Ladistinction, c'est en plus !... Seulement à ton âge, on n'couche pasavec un type de plus d'cinquante piges sous prétexte qu'il est distingué!
MARIE-JOSE NAT : Oui, et bien ch'te jure pourtant qu'ça a son charme !
JEAN GABIN : Dans un salon ou dans les affaires, peut-être, mais dans un plumard,sûrement pas !
MARIE-JOSE NAT : Oh, ch't'en prie, hein ! Si tu t'es mis dans la tête de m'vexer!
JEAN GABIN : Oh, je n'cherche pas à t'vexer ! Ch'cherche simplement àte faire comprendre c'que t'as pas compris ! Car tu ne l'as pas compris, c'est çale plus fort !
MARIE-JOSE NAT : Compris quoi ?
JEAN GABIN : Que t'es jeune et qu'il ne l'est plus, qu'il a de l'argent et qu't'enas pas, qu'tu t'vends et qu'y t'achète !... Surtout ne m'prends pas pour unPère-la-Pudeur ou pour un idiot, hein !... Ch'savais très bien qu'envenant ici, ch'te trouverais avec quelqu'un ! Mais quelqu'un d'ton âge !...Un jeunot comme ceux qu'ont l'habitude de t'accompagner le soir à la maison...
MARIE-JOSE NAT : Ah, parce que la vendeuse et le calicot, tu trouvais ça bien!?!
JEAN GABIN : La putain et l'micheton, tu trouves ça mieux, toi ?... Et puisd'abord, ça va comme ça. Tu vas faire tes valises et tu vas rentrer!
MARIE-JOSE NAT : Non !
JEAN GABIN : Quoi ?
MARIE-JOSE NAT : Non ! Tu rentres, moi, je reste ! La Rue des Prairies, c'est terminé! Parce que figure-toi qu'j'en ai marre de faire la boniche !
JEAN GABIN : La boniche de qui ?
MARIE-JOSE NAT : La tienne !... J'en ai marre de préparer la tambouille pourquatre personnes, de m'déshabiller dans la cuisine et de faire ma toilettesur l'évier !
JEAN GABIN : Ben, j'la fais bien, moi !
MARIE-JOSE NAT : Oui. Seulement toi et le progrès...
JEAN GABIN : Ah, parce que s'laver l'train dans un hôtel de passe, t'appellesça l'progrès, toi !
MARIE-JOSE NAT : Soit grossier, ça arrange tout !... Et puis ta morale, j'enai rien à foutre !... Ça fait vingt ans qu'j'voyage en troisièmeavec c'ticket-là ! Maintenant, ch'uis en première ! Et j'y reste !
(Mornifle...)
JEAN GABIN : Ça, c'est l'supplément pour les couchettes !

Dans le palace du pépé-gâteau

ROGER TREVILLE : Et en quoi puis-je vous être agréable ?
JEAN GABIN : S'il vous plaît, vous pourriez pas arrêter votre truc-là,qu'on puisse parler un peu ?
ROGER TREVILLE : Mon truc ?... Vous êtes sévère... La “ Messeen Si Mineur ” de Bach !... Mais peut-être préférez-vous autrechose ?... Je crains, malheureusement, de n'pas avoir de disques d'accordéon...Oui, pour moi, la musique s'arrête au XVIIIème...
JEAN GABIN : Écoutez, Monsieur, j'ai pas fait une heure d'autobus et d'métropour venir prendre un leçon d'solfège. Voilà, euh... Odettem'a parlé et, comme on dit, elle m'a fait part de vos intentions.
ROGER TREVILLE : Elle a bien fait... Elle vous a certainement dit que j'étaismomentanément en pleine procédure de divorce.
JEAN GABIN : Oui.
ROGER TREVILLE : Et que ma femme contrariait à plaisir mes projets.
JEAN GABIN : Oui.
ROGER TREVILLE : Peine perdue. J'aurais finalement gain de cause !... Aprèsquoi... Éh ben, si vous le permettez, et si Odette le désire toujours,nous nous marierons.
JEAN GABIN : Non.
ROGER TREVILLE : Pardon ?
JEAN GABIN : M'sieur Pédrel, vous êtes dans la pâte à papier,moi pas... Vous êtes peut-être plus intelligent qu'moi, en tout cas certainementbeaucoup plus cultivé, mais... les vieux singes connaissent les vieilles grimaceset ch'crois qu'là-dessus, on est aussi bien placé l'un qu'l'autre...Vous n'avez jamais eu l'intention d'épouser ma fille... Alors pourquoi luilaisser croire ? Ch'trouve ça moche.
ROGER TREVILLE : Je n'comprends pas.
JEAN GABIN : Si... Très bien... Odette est une enfant, elle pourrait êtrela votre, d'ailleurs... Alors, comme beaucoup d'gosses de son âge, elle estambitieuse... et devenir Madame Pédrel, Madame “ Pâte-à-Papier”, ça la tente, elle y croit...
ROGER TREVILLE : Et vous pensez que je m'paie sa tête ?
JEAN GABIN : Oui... Et comme vous vous êtes déjà payél'reste, ch'trouve que ça va comme ça...
ROGER TREVILLE : Cher monsieur, je crois que cette conversation...
JEAN GABIN : Et si c'mariage devait s'faire, j'aime mieux vous dire que çam'plairait encore moins !
ROGER TREVILLE : Ah, oui ?
JEAN GABIN : Ça vous étonne ?
ROGER TREVILLE : Un peu.
JEAN GABIN : Ah, parce que vous croyiez qu'j'étais venu pour demander réparation...L'père offensé, l'prolo susceptible... Vive Monsieur l'Maire et lafête continue... Alors-là, vous vous trompez, ch'uis pas douépour les actes de vente !... Et pis pour tout vous dire, ben, j'aime encore mieuxqu'vous soyez l'amant d'ma gamine plutôt qu'son mari, parce que ça dureramoins longtemps... Vous la quitterez un jour... Vous aurez l'beau rôle... Etvous serez regretté au lieu d'être cocu... Ben, quoi. Qu'est-ce quevous croyez ?... Hein ?... Quel âge avez-vous ?... Vous en êtes déjàau thé et aux biscottes !... Bientôt vous en serez à la camomille...
ROGER TREVILLE : Pourquoi pas à l'extrême-onction ?!... Si vous êtesvenu pour des condoléances, vous tombez un peu tôt !
JEAN GABIN : Allez. Pour bourrer l'mou au Père Neveu, vous vous levez un peutard... Voilà... Tout c'que j'avais à vous dire... Maintenant vouspouvez remettre votre messe...

Retour du paternel en canfouine

CLAUDE BRASSEUR : À table ! V'là l'patron !
MARIE-JOSE NAT : Ben, dis donc ! Elle s'est prolongée, c'te pétanque!
CLAUDE BRASSEUR : La pin-up nous a fait des nouilles... Elles vont être cramées!
JEAN GABIN : Comment des nouilles ? Ben, et mon régime du soir, alors ! Thé-biscotte,prescription médicale, j'grossis, mon p'tit !
CLAUDE BRASSEUR : Oh, ben, qu'est-ce qu'y t'prend ?
JEAN GABIN : Mais qu'est-ce que c'est qu'ça ? Pour moi, la musique s'arrêteau XVIIIème, voyons !... Ch'te préviens qu'si jamais un jour, tu m'ramènesun gosse de c'mec-là, j'le fais empailler et j'le mets sous globe ! J'veuxqu'les martiens voyent ça, hein !... (La chipie ripe en chialant...) Odette!
CLAUDE BRASSEUR : Éh ben, comme ça, c'est gagné !... Pis, situ l'sais pas encore, éh ben, moi, ch'te l'dis, tu commences à nousles casser ! Pis drôlement !
JEAN GABIN : Tiens donc ? Sans blague ?
CLAUDE BRASSEUR : Ben, un peu, oui !... Enfin, Pédrel, ça regarde Odette,de quoi qu'tu t'mêles ?
JEAN GABIN : Je m'mêle, je m'mêle ! Je m'mêle que c'est moi votredabe et qu'y faudrait pas l'oublier !
CLAUDE BRASSEUR : Mais qu'est-ce que t'avais besoin d'aller l'voir et pour lui direquoi ! Juste au moment où il parle de l'épouser ! Car il en parle,figure-toi !
JEAN GABIN : Oui, il en parle ! Je sais !
CLAUDE BRASSEUR : Ben, alors ! Tu trouves pas ça formidable, toi ?! Un destypes les plus riches de Paris ?!... Les journaux, les papiers à cigarettes?!
JEAN GABIN : M'en fous, ch'fume des toutes cousues, moi !
CLAUDE BRASSEUR : Tu penses qu'à toi ! T'es pas tout seul !... Enfin, quoi...La frangine Avenue Henri-Martin, les bagnoles, les vacances dans l'Midi... Sans compterqu'on pourrait y aller aussi, nous, dans l'Midi !
JEAN GABIN : Ben, tiens ! Hé-hé !
CLAUDE BRASSEUR : Et alors ! Qu'est-ce que tu reproches à ça ? C'estpas la bonne combine ?
JEAN GABIN : Ben, tu penses !... Pis les bonnes combines, toi, ça t'connaît,hein !... Remarque que c'est gentil, ton projet, c'est familial... Ta sœur passeà la casserole et nous à la caisse !... On la met au lit, pis nous,on fait d'la chaise longue !... Bonne combine, comme tu dis ! Signé Loulou!... Parce que ça fait deux mois qu'j'écrase, mais que j'les respired'un peu près, tes combines !... Pis en plus, tu m'prends pour un cave !...Ta course de Bordeaux, tu crois qu'j'avais pas compris, hein ?... Et l'article dans“ France-Soir ”, l'enfant-martyr, tu crois qu'j'l'avais pas lu !... Dis !...
CLAUDE BRASSEUR : Ben, si tu l'as lu, pourquoi qu'tu m'en as pas parlé ?
JEAN GABIN : Parce que ch'trouvais ça gênant, figure-toi !... Pas toi!... Aussi gênant qu'le coup d'l'enveloppe, tiens !... Ch't'avais rien demandé,moi... J'en voulais pas, d'ton pognon... Alors, qu'est-ce que t'avais besoin d'jouerles grands donateurs quand tu venais d'étouffer la moitié d'l'oseille?!... Hein !
CLAUDE BRASSEUR : Bon, bon, en admettant.... Qu'est-ce que ça prouve ?
JEAN GABIN : Ça prouve qu't'es pas seulement un truqueur, mais qu't'es aussiun p'tit con ! Parce que toute la presse avait donné le montant d'tes cachetsnoir sur blanc !
CLAUDE BRASSEUR : Ah, oui ! Ben, puisque tu l'prends comme ça, ciao ! Moi,j'vais les porter ailleurs, mes cachets ! T'aurais pas des fois la prétentiond'me foutre en pension ou d'me tirer les oreilles, non ?! Parce que moi, j'ai passél'âge ! J'm'appelle pas Fernand ! J'restais ici uniquement parce que ch'uisbon mec ! Ben, ch'te laisse dans ton deux-pièces parce que moi, ch'peux m'offrirun peu mieux qu'ça, figure-toi !... Parce que ch'uis p't-êt' truqueuret ch'uis p't-êt' con, mais ch'uis aussi Champion d'France !
JEAN GABIN : Oh, j'le sais !... Et pour les coups-fourrés, t'es mêmeChampion du Monde !


UN TAXI POUR TOBROUK - DENYS DE LA PATELLIERE (1960)



Paumés en plein désert

LINO VENTURA : Vous n'allez pas nous déballer toutes vos cartes postales,non ?!... Le couplet sur Paris, voilà deux ans qu'on en croque ! Çarevient comme du choux ! Les p'tits bistrots pas chers, les gambilles du samedi,la Place du Tertre et le Zouave du Pont de l'Alma !... Et dans cinq minutes, y ena un qui va nous sortir un ticket d'métro ou des photos d'la Foire du Trône!... Non, pour moi, tout ça, c'est râpé !... Il n'y a plus deParis !... Il y a le “ Groß Paris ”, un point, c'est marre !
CHARLES AZNAVOUR : Seriez-vous insensible à la nostalgie, Brigadier Dudu ?
LINO VENTURA : Non, mais j'aime pas penser à reculons ! J'laisse çaaux lopes et aux écrevisses !

Le long de la piste cahotante

MAURICE BIRAUD : Mon père est à Vichy... C'est un homme qui a la légalitédans l'sang... Si les Chinois débarquaient, y se ferait mandarin... Si lesNègres prenaient le pouvoir, y s'mettrait un os dans le nez... Si les Grecs...

Plantés sur le sable

MAURICE BIRAUD : Je crois, Docteur, que l'homme de Néanderthal est en trainde nous le mettre dans l'os... Un intellectuel assis va moins loin qu'un con quimarche...

Description du Brigadier Dudu

MAURICE BIRAUD : Faut pas faire attention, Théo est une brutalité dela guerre.
CHARLES AZNAVOUR : En langage clinique, on appelle ça un paranoïaque,en langage militaire, un Brigadier.

Aphorisme militaire

LINO VENTURA : Quand, dans le désert, on trouve un macchabée qu'onpeut pas identifier, on lui fouille les poches.... Si on trouve un ouvre-boîtes,c'est un British... Quand on trouve un tire-bouchon, ben, c'est un Français...

Largués dans le Sahara

LINO VENTURA : Oui, je sais, je sais, j'me suis peut-être un p'tit peu écartéd'la route... N'empêche que j'nous ai quand même sortis d'un drôlede pétrin ! Et j'vous garantie qu'on sera à El Alamein la nuit prochaine...Et dans nos plumes !
MAURICE BIRAUD : Si vous continuez sur votre lancée, Brigadier, et si monrelevé est exact, nous n'allons plus sur El Alamein, mais sur le Cap de BonneEspérance !...
CHARLES AZNAVOUR : Et ça porte des galons !
LINO VENTURA : Si tu les veux... On s'est écarté de combien ?
MAURICE BIRAUD : Oh, remarquez, je disais le Cap de Bonne Espérance pour pasvous vexez, en réalité nous fonçons vers le Pôle Sud !...
LINO VENTURA : Freine un peu, dis, tu veux... On pique Est - Nord-Est et puis çafait l'blot... On a de l'essence, de la flotte, du singe, on est à sept-centsbornes de nos lignes et on a de quoi en faire mille, c'est une balade, non !
CHARLES AZNAVOUR : Évidemment, si on oublie les avions, les blindés,les mines et autres menues broutilles...
MAURICE BIRAUD : Quand un supérieur vous invite à vous promener, monami, promenez-vous... Vous aller finir par vous faire foutre quatre jours.
LINO VENTURA : Et un jour, le Supérieur de Monsieur lui foutra son pied aucul et Monsieur fera l'étonné !...


LES VIEUX DE LA VIEILLE - GILLES GRANGIER (1960)



Au troquet, au livreur de pif

JEAN GABIN : Y z'ont, y z'ont, y z'ont qu'y sont chez eux ! Pis qu'y z'ont passél'âge de s'laisser casser les sabots par des opinions étrangèreset conifiantes ! V'là c'qu'y z'ont !...

Attablés dans le rade

JEAN GABIN : Oui, mes cadets ! C'Talon-là lui-même ! Un conscrit d'laclasse dix-sept... C'tait un vaillant aussi, çui-là !... Tiens ! Auxalentours des années douze, avec eul'Blaise, quand-t'y avait pas encore sesrhumatis', pis qu'moi, j'étais par encore verminé par l'âge...éh ben, on faisait un drôle d'équipage, avec eul'Talon !... Aussibien à la chopine qu'à la mazurka ou au pince-fesses ! Ça y'allait,la manœuvre ! Hein, dis !?!...

Devant une chopine

NOËL-NOËL : Dis donc. Entre nous. C'était une belle femme, l'AdèleTalon.
JEAN GABIN : Oooh, l'était gracieuse, mais... peau d'pêche en dehors,peau d'hareng en d'dans ! Un caractère qu'ça a pas du s'arranger, va...On va ben trouver un moyen pour les faire fâcher...

À la descente du car

GUY DECOMBLE : Ben, votre train, votre train... Fallait l'prendre, votre train !
PIERRE FRESNAY : Ah, d'mieu' en mieux ! Malpoli, par d'ssus l'marché !!!...Ah, y'a pas à dire, dans la vie, y faut toujours se fier aux apparences...Quan' un homme a un bec eud'canard, des ailes eud'canard et des pattes eud'canard...c'est un canard !!!... Et c'qu'est vrai pour les canards, l'est vrai aussi pour lesp'tits merdeux !!!
JEAN GABIN : Bravo, gars ! Bien dit, mon Baptiste !
PIERRE FRESNAY : Oooooh !
(Retrouvailles...)
GUY DECOMBLE : Dites donc, les gâteux, ch'pourrais p't-êt' vous apprendrequi ch'uis, moi !
JEAN GABIN : Pas la peine ! Baptiste vient d'nous l'dire !...

Autour d'une boutanche

JEAN GABIN : Ah, ben !... T'es-t-y pas fou complet, lundi, c'est la “ fêteaux escargots ” ! Oh, ben !
PIERRE FRESNAY : “ Aux escargots ” ?! Vous en êtes encore à ces goinfreriesd'croquants !
JEAN GABIN : Aaaaah, dis donc, Baptiste. Si t'es revenu d'Pithiviers avec une mentalitépareille, t'aurais aussi ben fait d'aller tout droit à Gouillette, hein !
PIERRE FRESNAY : Pas besoin d'tes avis, moi.
JEAN GABIN : Les “ fêtes aux escargots ”, je n'ai raté qu'cinq dansma vie. Les années quatorze, quinze, seize, dix-sept, dix-huit, quand c'étaitqu'c'est qu'j'étais aux Dardanelles, et pis qu'aux Dardanelles, y'avait pointd'escargot !!!... Ch'uis allé plus loin qu'Verdun et la Somme, moi !!! J'aipas une guerre eud'faignant !!!
NOËL-NOËL : Quoi ?!
PIERRE FRESNAY : Qui qu'a fait une guerre eud'faignant !!!
NOËL-NOËL : Oser insulter ceux qu'ont péri sous les obus ! Pendantqu'd'autres faisaient danser les moukhères ! Fi' d'garce !
JEAN GABIN : Cré vingt dieux !!! Vous n'allez tout d'même point comparervos bains d'boue à mes turqueries !!!
NOËL-NOËL : Nos bains d'boue !?!
JEAN GABIN : Sacré nom de Dieu d'Bon Dieu d'singe en boîte !!!

Dans le gourbi de Pejat

JEAN GABIN : Alors, pourquoi c'est-y qu't'à l'heure, t'as pris l'pétardquand l'Blaise et moi, on t'a parlé d'ta femme ?
PIERRE FRESNAY : Vingt dieux d'fumelle !!! Si j'étais l'directeur du choléra,y'aurait longtemps qu'è serait morte !

Dans l'arrière cour de la boutique Pejat

JEAN GABIN : Éh ben, mon cadet, sont en train d'l'herser, ton pré !...Sont en train d'y passer les émousseuses, dans ton herbe !
PIERRE FRESNAY : Ha ! Mes vieux gars, c'est ma mort... Et on les encourage, ces ravageurs!!!
NOËL-NOËL : Ben, quoi, faut bien qu'la jeunesse s'amuse...
JEAN GABIN : Ben, voyons... Sont ben mieux là qu'au bistrot. Prennent l'air...Si ch'te disais, mon Baptiste, euqu'l'année dernière, rien qu'en comptantle z'avant-centre, le z'inter, pis l'gardien d'but, qu'y z-appellent ça...éh ben, l'ont eu un tibia, une rotule eud'cassée, pis une fluxion d'poitrine...T'vas pas m'dire qu'on avait ces rendements-là avec eul'picon-citron !

Dix minutes plus tard

L'ARBITRE : J'vous préviens, messieurs, que ch'uis arbitre fédéral!
JEAN GABIN : Z'êtes-t-y anglais ?
L'ARBITRE : Ben, non !
JEAN GABIN : Bon ! Ben, pour moi, un arbitre qu'est pas anglais, c'est rien d'moinsqu'un p'tiot merdaillon en culotte courte qui joue avec un sifflet !... Allez doncmettre un pantalon long, jeune homme !

Croisant un gendarme en rideau

JEAN GABIN : Quoi c'est-y qu'y'a ?
JACQUES MARIN : J'viens d'pêter ma chaine.
JEAN GABIN : ... Oooooh, ben, c'est pas étonnant, c'est une “ Zodiac ” !
JACQUES MARIN : C'est pas une bonne marque ?
JEAN GABIN : Boh ! C'est d'la pourriture. Ben, c'est comme votre vélo. D'abord,y n'en a qu'une, de marque, c'est “ L'Hirondelle ”. Le reste, euc'est d'la merdeen tube... Là, votre clou-là, c'est... c'est d'la série... Ch'uissûr qu'ça a été monté par des Polonais... C'estpas pour médire des étrangers parce qu'y n'en a qui s'y connaissent...Les Suisses, les Italiens, sont pas bons pour la guerre, mais pour l'vélo...y s'y connaissent... Les Polonais, c'est bons soldats, mais pou'l'vélo...Pfrrr...

Rejoignant Pejat

PIERRE FRESNAY : C'que tu nous as fait, à nous deux, à Pejat, çaclasse un homme...
NOËL-NOËL : Oooooh...
PIERRE FRESNAY : Et là où ch'te classe, y'a p'us derrière toique l'chacal !... Et la méduse !...

À la rencontre

JEAN GABIN : Gendarme, si c'machin-là vous manquait d'respect, prenez votrerevolver, tirez-le comme un lapin ! Y'a pas besoin d'permis, c'est d'la destruction!
PIERRE FRESNAY : Si t'avais fait la guerre là où ça bardaitau lieu d'la faire avec les moukhères, tu saurais comment qu'on s'en débarrassaitde c'tiot-là, à Verdun...
JEAN GABIN : Oui, mais c'tiot-là, y'était des gendarmes à pied!... Y'a l'homme et l'cycliste !... Qu'y soille gendarme ou curé, un hommeen vélo, c't un homme en vélo !... Seulement ça, c'est des chosesqu'échappent... à un fonctionnaire, pis à un touche-eud'bœufs!

En goguette sur les rails

JEAN GABIN : Ah, y'a pas à dire, c'est pratique pour marcher, ton balast !
PIERRE FRESNAY : Mais ! Ç'a pas été fait pour ça...
JEAN GABIN : Ben, c'est un tort, pisqu'on y marche ! Seulement ça, les fonctionnaires,y s'en foutent, en dehors de dévorer des budgets !
PIERRE FRESNAY : Ah, si l'progrès t'défrise, t'as qu'à retournerà tes broussailles, ça marchait si bien !
NOËL-NOËL : Nous aurait fait bouffer par les loups, c'tte vieille boussole! Peuh !
JEAN GABIN : On paye des impôts, ben, pis on a l'droit de rien dire ! Fautsubir !... J'ai connu ça en Turquie, moi, sous Abdel Hamid...
PIERRE FRESNAY : Hein ?!
JEAN GABIN : Seulement, moi, les Abdel Hamid et pis les... Baptiste Talon, j'ai p'utôtenvie d'leur-z-y fout' au cul un pétard eud'quartorze juillet, comme au LouisXVI ! Vive quatre-vingt neuf !


LE CAVE SE REBIFFE - GILLES GRANGIER (1961)



Impatience affichée dans le salon

BERNARD BLIER : Parce que j'aime autant vous dire que pour moi, Monsieur Éric,avec ses costards tissés en Écosse à Roubaix, ses boutons d'manchettesen simili et ses pompes à l'italienne fabriquées à Grenoble,éh ben, c'est rien qu'un demi-sel !... Et là, ch'parle juste questionprésentation... Parce que si j'voulais m'lancer dans la psychanalyse, j'ajouteraisque c'est le Roi des Cons !... Et encore, les Rois, y z'arrivent à l'heure!... Parce que j'en ai connu, moi, mon cher Maître, des Rois... Et pis pasdes p'tits... Des Hanovre... Des Hohenzollern... Rien qu'du micheton garanti Croisades...Mais vous m'voyez-là, maintenant, mais moi, j'ai pas toujours tenu un clandé!... Vous avez pas connu la Rue du Chabanais... Soixante chambres !... Et y z'ontfilé tout ça aux P'tites Sœurs des Pauvres !... Quand j'y pense, tiens...Alors, c'est pour vous dire que votre ami Éric, ses grands airs, y peut s'lescloquer dans l'baba !...
ANTOINE BALPETRE : Mais pourquoi dites-vous “ mon ami ” en parlant d'Éric? Je lui prête de l'argent, le votre d'ailleurs, à vingt pour cent.C'est un client. Rien de plus.
BERNARD BLIER : Oui, mais vous pourriez les choisir un peu mieux !
ANTOINE BALPETRE : Mon cher, je sais que le dicton veut qu'on ne prête qu'auxriches, mais... on ne leur prête pas à vingt pour cent !... Je n'demanderaispas mieux que d'placer votre argent dans la famille Rotschild. Malheureusement...
BERNARD BLIER : Oh, mon cher Maître, j'vous en prie, hein ! Entre l'Baron Édouardet un traîne-patin comme Éric, y'a une marge !... D'ailleurs, àpropos d'marge, ch'trouve un peu baroque d'vous prêter à huit pour centdu pognon que vous faites travailler à vingt !
ANTOINE BALPETRE : Les douze pour cent de différence sont le prix de ma garantie.Avec moi, vous êtes sûr de revoir votre argent !... L'honnêteté,ça se paye...

Conseil de guerre au salon

ANTOINE BALPETRE : L'important, mon cher Éric, n'est pas tellement que voussoyez là, mais que vous y soyez avec l'argent !...
FRANCK VILLARD : Ah, ça, c'est autre chose.
BERNARD BLIER : Quoi autre chose ? Ça veut dire quoi, ça !...
ANTOINE BALPETRE : Charles, voyons, ne vous énervez pas, je vous en prie.
BERNARD BLIER : Mais pourquoi j'm'énerverais ? Monsieur joue les lointains!... D'ailleurs, ch'peux très bien lui claquer la gueule sans m'énerver!
FRANCK VILLARD : Tu reçois gentiment. C'est agréable.
BERNARD BLIER : Je reçois pour affaires ! J'donne pas des matinéesenfantines !... Alors, j'aimerais qu'on puisse causer entre adultes... V'làbientôt un an, tu nous a dit “ J'ouvre une succursale de la General Motors”... Ch't'ai prêté cinq cents tickets... J'voudrais les revoir, c'esttout... Tu les as ou tu les as pas !...
FRANCK VILLARD : Et si j'avais beaucoup mieux qu'ça... Hum ?... Vous m'parlezd'cinq cents malheureux tickets, mais moi, si j'vous amenais la fortune... L'affaire...Comme on en rencontre une dans sa vie...
(Le bellâtre croque le décor, et...)
... Le gars Mandarès s'apprêtait à balancer sur le marchépour plus d'cinq cents millions de livres sterling.
ANTOINE BALPETRE : Des sterling ? Belle monnaie. Stabilité admirable.
FRANCK VILLARD : T'as raison, y'a pas mieux... Mais... à travail d'élite...ouvrier d'élite... Mandarès avait engagé un graveur comme y'ena pas deux dans l'monde ! Un cador !
BERNARD BLIER : Mais j'dis pas qu'Mandarès soit allé au trou dans d'mauvaisesconditions ! Ch'constate qu'il y est ! C'est tout !
FRANCK VILLARD : Mandarès, oui. Mais pas l'graveur... Et l'graveur, il està ma pogne, aux ordres !... Alors, Messieurs ! C'est-y d'la conversation d'adultes,ça ?...
BERNARD BLIER : Tu l'as connu comment, c'brillant artiste ?
FRANCK VILLARD : Éh ben, à vrai dire, je l'connais pas encore...
BERNARD BLIER : Ben, tiens ! Je m'disais aussi...
FRANCK VILLARD : Mais j'ai sa souris en main !... Ça fait six mois qu'je suissur le coup !... Quand une femme a dormi laga, pardon ! Elle s'en rappelle...

Au dessert, entreprenant Solange

BERNARD BLIER : Si vous voulez mon avis, chère petite Madame, dans un ménage,quand l'homme ne ramène pas un certain volume d'oseille, l'autoritédevient, ni plus, ni moins, d'la tyrannie !... Et l'autoritaire, un simple emmerdeurprétentieux !...

Cellule de crise dans le récamier

BERNARD BLIER : L'affaire redeviendrait possible si on pouvait faire contrôlernos sterling par un spécialiste...
ANTOINE BALPETRE : Vous en connaissez un ?
BERNARD BLIER : Le meilleur !... Pis blanchi sous le harnais, hein... Trente ansd'fausse monnaie et pas un accroc... Un mec légendaire, quoi... Les gens d'lapartie l'appellent le Dabe et enlèvent leurs chapeaux rien qu'en entendantson blase... Une épée, quoi...
ANTOINE BALPETRE : S'il est aussi fortiche que tu l'dis, ce... ce Dabe, y doit avoirde gros appétits ! Combien y va encore nous piquer ?
BERNARD BLIER : Si un homme comme ça entre dans la course, ça n'a pasd'prix !... Parce qu'avec lui, y'a pas d'problème... C'est comme si on s'associaitavec la Banque d'Angleterre... Nos sterling, on pourra les montrer à Pinay!...

Dans le paradis exotique du Dabe

JEAN GABIN : Maintenant, dis donc, Charles, si t'as besoin d'quelques briques, tusais qu'ch'uis toujours un peu armé, moi.
BERNARD BLIER : Oh, non, j'en suis pas encore là. Ch'uis pas venu pour tebottiner. Quoi qu'la fraîche, elle décarre petit à p'tit et siça continue comme ça, un d'ces quatre, j'vais m'retrouver sur les jantes!...
JEAN GABIN : Bon, ben, pisque t'en est pas encore là, alors, écoute-moi...Dis-toi bien qu'tes p'tites misères, c'est rien à côtéde c'qui t'attend si tu persistes dans tes rêveries... Parce que dans l'faux-talbin,alors-là, tu vas la comprendre, ta douleur... Tu vas y laisser ta santé...Tu vas les découvrir, les vicieux... Pas ceux qu'tu connais d'habitude...Moi, ch'te parle des vrais... Ceux qu'ont les grandes dents... Y vont t'bectarèstout cru, les vilains !... Note bien qu'ch'ais pas pourquoi ch'te raconte çaparce que tu seras enchristé avant d'avoir touché une petite thune!...
BERNARD BLIER : Tu crois ?
JEAN GABIN : Ben, c't un coup sûr... Tu vaux cent contre un dans l'parcours!

Glass en pogne, avant la sieste

JEAN GABIN : Non, ça n'a pas marché !... Et pourtant, ch'pouvais croireque j'avais tous les atouts en main... Léon-le-Stéphanois, qu'étaitun vrai Rubens, m'avait gravé un cent florins plus beau qu'le vrai... J'avaistrouvé l'papier en Italie et les encres en Suisse... La bécane, j'm'étaismouillé d'sept briques... J'l'avais fait(e) venir de chez Cottenburg àLeipzig... Et encore, pour plus d'sécurité, j'l'avais fait(e) transiteren pièces détachées moitié par l'Italie, moitiépar l'Portugal... Tu peux pas savoir !
BERNARD BLIER : Oh, dis donc...
JEAN GABIN : Ben, attends, attends, c'est pas tout... En huit heures au chrono, lesdeux millions d'florins étaient tombés, la bécane démontée,la gravure détruite et tout l'papelard brûlé... Tout-tout-tout-tout!
BERNARD BLIER : Ben, alors, qu'est-ce qu'a pas marché ?
JEAN GABIN : Éh ben, devine...
BERNARD BLIER : Ton client qui t'as pas casqué ?
JEAN GABIN : Non.
BERNARD BLIER : T'a eu des ennuis avec les Perdreaux ?
JEAN GABIN : Non !
BERNARD BLIER : Alors-là, j'vois pas...
JEAN GABIN : L'di'sept juin quarante-cinq ! Ça t'dis rien, à toi, ça,l'di'sept juin quarante-cinq !... Éh ben, l'di'sept juin quarante-cinq, laBanque Royale des Pays-Bas a annoncé qu'la coupure de cent florins étaitdémonétisée et retirée d'la circulation, bloquéeen banque !... Un vanne de Madame la Reine Wilhemine. Ah, j'm'en rappellerai d'celle-là!... À cause d'elle, j'me suis farci un feu d'cheminée d'quinze-centmillions !...
BERNARD BLIER : Y z'avaient l'droit d'faire ça ?
JEAN GABIN : Pauvre con !... Le droit !... Mais dis-toi bien qu'en matièrede monnaie, les États ont tous les droits et les particuliers, aucun !...
BERNARD BLIER : ... Entre nous, Dabe... Une supposition, hein. J'dis bien une supposition...Que j'ai un graveur, du papier... et qu'j'imprime pour un milliard de biffetons...En admettant... C'est toujours une supposition, hein... En admettant qu'on soyentcinq sur l'affaire. Ça rapporterait, net, combien à chacun ?
JEAN GABIN : Vingt ans d'placard !... Les bénéfices, ça s'divise,la réclusion, ça s'additionne !...

Conclusion du Conseil d'Administration des carambouilleurs

JEAN GABIN : Depuis Adam s'laissant enlever une côte jusqu'à Napoléonattendant Grouchy, toutes les grandes affaires qui ont raté étaientbasées sur la confiance... Faire confiance aux honnêtes gens est leseul vrai risque des professions aventureuses.

Dans la cambuse de Madame Pauline

JEAN GABIN : Oui, ben, à ton âge, c'est pas la peine d'aller t'fatigueravec des allées et venues. C'que ch'uis venu t'demander, c'est l'papier d'Mandarès...T'as pas intérêt à l'garder plus longtemps, hum... Pour peu qu'laMarne monte un p'tit chouaille du côté d'ton hangard, y va onduler ets'piquer, ton papelard...
FRANÇOISE ROSAY : Y'a une porte à mon hangard !... Tout acier...
JEAN GABIN : Éh, mais une porte, ça s'ouvre... Pis y'a des malfaisants...
FRANÇOISE ROSAY : Si ch'comprends bien, tu prends la succession d'Mandarès...Du “ Coquille ”, j'en ai... Cinq rames... Total, deux briques... Et cash...
JEAN GABIN : Oh, ben, à c'blot-là, tu peux l'garder pis en faire descornets à frites !!!...
FRANÇOISE ROSAY : T'fâche pas ! On parle...
JEAN GABIN : Bon, alors, parle plus et écoute-moi, ça t'reposera !...À l'heure actuelle, sur la place, y'a plus une équipe pour le prendre,ton papelard... Alors, moi, ch't'en offre une brique... Et encore, parce que c'esttoi...
FRANÇOISE ROSAY : J'disais bien qu't'avais pas changé !... Férocecomme avant !... P't-êt' bien pire !...
JEAN GABIN : Bon, ben, alors, pisque t'es d'accord, où j'le fais prendre,ce papier ? Toujours à Joinville ?... Ch't'envoie un mec c'te semaine.
FRANÇOISE ROSAY : Et à quoi qu'j'eul'reconnaîtrais ?
JEAN GABIN : Un beau brun, avec des p'tites bacchantes... Grand... L'air con...
FRANÇOISE ROSAY : Ça court les rues, les grands cons.
JEAN GABIN : Ouais, mais çui-là, c't un gabarit exceptionnel !... Sila connerie s'mesurait, y servirait d'mètre-étalon... Y serait àSèvres... Allez, fatigue pas tes vieilles jambes, ch'connais l'chemin... Aurevoir...

Dans l'imprimerie vide

FRANCK VILLARD : M'enfin, c'est pas possible ! Y n'aurait pas oser, ce cave ! Nousfaire ça à nous !
JEAN GABIN : Faire quoi ?!... Hooolà, mais attention, Messieurs, hein ! Qu'est-cequi s'passe ?... J'ai l'impression qu'vous êtes en train d'me monter un turbin!...
BERNARD BLIER : T'es pas fou, non ?!
JEAN GABIN : Ah, non, ch'uis pas fou ! Pis pas fou du tout, même ! Seulementsi vous croyez m'faire jongler, vous aurez pas beau spiel ! C'est moi qui vous l'dit!... Et votre papier véreux-là, hein ! Qu'est-ce que c'est ? Il étaitpas dans l'inventaire ! D'où sort-y ?...
FRANCK VILLARD : Écoutez, Dabe. Ch'crois qu'y vaut mieux être franc...On voulait vous faire une surprise...
(Mornifle...)
JEAN GABIN : Et ça, c'en est une ?... M'faire une surprise ! Vous vouliezme repasser, oui ! Et avec du papelard à démaquiller, encore !... C'estpour ça qu'vous avez cloqué l'môme dans l'coup !... Seulementy s'est fait la malle avec ton talbin, l'enfant-prodige !... Alors, comme ça,y'a pas d'jaloux, on est tous repasseman !... Pour une fois qu'la Hollande me cassepas la baraque, y faut qu'ça soit un merdeux qui m'fasse marron !... Àmon âge !... Et ch'peux même pas porter plainte !... Toi, l'godand, tuvas nous mener chez lui et au trot ! Il a pas tellement d'avance, non !...


LE BATEAU D'ÉMILE - DENYS DE LA PATELLIERE(1961)



À l'aéroport

PIERRE BRASSEUR : Votre oncle a toujours z'été éminemment original!
SON NEVEU : Permettez-moi de vous rappeler que mon oncle est avant tout votre frère!
PIERRE BRASSEUR : C'est pourquoi je dis qu'c'est un original... Sinon, j'dirais qu'c'estun saligaud !

Dans la turne du frère prodigue

JACQUES MONOD : Je vous répète, Monsieur Larmentiel, que le nomméBouet est un dangereux schizophrène !... Il est saoul du matin au soir dèsqu'il est à terre !... Il partage l'existence d'une certaine Fernande Malenpin,chanteuse obscure mais prostituée notoire, qui a, parait-il, fait les beauxjours d'une sorte de beuglant nantais du nom de “ Mistigri ” !

En bordée dans un bistrot

LINO VENTURA : Alors, Tête-de-Frein, hum ! Qu'est-ce que tu dis d'ça?

Dans le clapier de Fernande

LINO VENTURA : Qu'est-ce que c'est qu'ça ?
ANNIE GIRARDOT : “ Ça ” quoi ?
LINO VENTURA : C'que t'as sur le dos-là ?
ANNIE GIRARDOT : Pourquoi, ça t'plaît pas ? J'ai pourtant pris c'qu'yavait d'mieux chez Florette...
LINO VENTURA : Éh ben, elle a du tenir un claque, ta Florette !
ANNIE GIRARDOT : Ah, ben, t'es gracieux, c'matin !
LINO VENTURA : J'ai faim !
ANNIE GIRARDOT : Éh ben, bouffe !... V'là du café... et v'làdu sucre...
LINO VENTURA : On t'a p't-êt' jamais appris qu'le sucre, ça s'sert dansun sucrier, non ! Et qu'ça s'présente avec une pince !
ANNIE GIRARDOT : Ben, v'là autre chose !
LINO VENTURA : Ah, évidemment, c'est pas chez les Larmentiel... Enfin... Oh,pis tu peux pas savoir, t'as toujours vécu avec des paumés, alors !
ANNIE GIRARDOT : Ch'te l'fais pas dire !
LINO VENTURA : C'est comme tes savates... Non, mais tu t'es pas vue, hum... Ah, tufais riche !... Si quelqu'un venait... Tu m'diras, ça fait partie d'l'ensemble,on vit dans une roulotte ! C'est pas dur !... Ah, évidemment, c'est pas MademoiselleLarmentiel qui laisse traîner son slip sur les fauteuils du salon, non, ça...Ch'cause dans l'vide, tu comprends rien, alors...
ANNIE GIRARDOT : Ouais. Ben, ch'comprends une chose, c'est qu'tu commences àm'emmerder !... Et pis pas qu'un peu !...
LINO VENTURA : Tiens ?
ANNIE GIRARDOT : Oh, mais t'as la tête qui enfle, mon bonhomme !... Pis enplus de ça, tu causes entre guillemets !... Hier, c'était l'coup del'accordéon, aujourd'hui, c'est Mademoiselle Larmentiel... Ah, ça commenceà bien faire !... Alors, depuis qu'tu vas faire des singeries chez les Brosse-à-Rebours,ch'te fais honte !... Ben, mon vieux, puisque tu t'plais tant chez les Larmentiel,amène ton lit et couche-z-y ! Moi, j'me tire !... Et dire qu'on sacrifie sacarrière à des salauds pareils !... Gros bouffi !


LE PRESIDENT - HENRI VERNEUIL (1961)



À la Chambre des Députés

JEAN GABIN : Messieurs, Monsieur le Député Chalamont vient d'évoqueren termes émouvants les victimes de la guerre... Je m'associe d'autant plusvolontiers à cet hommage qu'il s'adresse à ceux qui furent les meilleursde mes compagnons...
Au moment de Verdun, Monsieur Chalamont avait dix ans... Ce qui lui donne, par conséquent,le droit d'en parler... Étant présent sur le théâtre desopérations, je ne saurais prétendre à la même objectivité...On a, c'est bien connu, une mauvaise vue d'ensemble lorsqu'on voit les choses detrop près !... Monsieur Chalamont parle d'un million cinq cent mille morts,je ne pourrais en citer qu'une poignée, tombés tout près demoi...
J'ai honte, Messieurs... Je voulais montrer à Monsieur Chalamont que je peux,moi aussi, faire voter les morts... Le procédé est assez méprisable,croyez-moi !...
Messieurs, j'ai devant moi un très joli dossier, très complet, trèsépais, trois cents pages de bilans et de statistiques que j'avais préparéà votre intention... En écoutant Monsieur Chalamont, je viens de m'apercevoirque le langage des chiffres a ceci de commun avec le langage des fleurs... on luifait dire c'que l'on veut !... Les chiffres parlent mais ne crient jamais... C'estpourquoi ils n'empêchent pas les amis de Monsieur Chalamont de dormir. Vousme permettrez donc de préférer le langage des hommes. Je le comprendsmieux !...
Durant des années, à travers le monde, j'ai visité des mines,des camps de personnes déplacées... j'ai vu la Police charger les grévistes,je l'ai vue aussi charger des chômeurs... j'ai vu la richesse de certainescontrées, j'ai vu l'incroyable pauvreté de certaines autres... Duranttoutes ces années, je n'ai jamais cessé de penser à l'Europe...Monsieur Chalamont a passé une partie de sa vie dans une banque à ypenser aussi... Nous ne parlons forcément pas de la même Europe...
Lorsqu'il y a quelques mois, les plus qualifiés parmi les maîtres-nageursde cette assemblée sont venus me trouver pour éviter une crise de régime,j'ai pris un engagement... celui de gouverner... Or, gouverner ne consiste pas àaider les grenouilles à administrer leur mare !... Tout le monde parle del'Europe... Mais c'est sur la manière de faire cette Europe que l'on ne s'entendplus... C'est sur les principes essentiels que l'on s'oppose...
Pourquoi croyez-vous, Messieurs, que l'on demande à mon gouvernement de retirerle projet de l'Union Douanière qui constitue le premier pas vers une Fédérationfuture ?... Parce qu'il constitue une atteinte à la souveraineté nationale?... Non... Simplement parce qu'un autre projet est prêt... Un projet qui voussera présenté par le prochain gouvernement... Je peux, Messieurs, vousen énoncer d'avance le principe !...
La constitution de trusts verticaux et horizontaux, de groupes de pressions qui maintiennentsous leur contrôle non seulement les produits du travail, mais les travailleurseux-mêmes !...
On ne vous demandera plus, Messieurs, de soutenir un ministère, mais d'appuyerun gigantesque conseil d'administration !...
Si cette assemblée avait conscience de son rôle, elle repousserait cetteEurope des maîtres de forges et des compagnies pétrolières...Cette Europe, qui a l'étrange particularité de vouloir se situer au-delàdes mers, c'est-à-dire partout... sauf en Europe !... Car je les connais,moi, ces européens à têtes d'explorateurs !
UN DEPUTE : Je demande que les insinuations calomnieuses que le Présidentdu Conseil vient de porter contre les Élus du Peuple ne soient pas publiéesau Journal Officiel.
JEAN GABIN : J'attendais cette protestation... Je ne suis pas surpris qu'elle viennede vous, Monsieur Jussieu... Vous êtes, je crois, conseil juridique des aciériesKrenner ?... Je ne vous le reproche pas...
UN DEPUTE : Vous êtes trop bon !...
JEAN GABIN : Je vous reproche simplement de vous être fait élire surune liste de gauche et de ne soutenir à l'Assemblée que des projetsd'inspiration patronale !
UN DEPUTE : Il y a des patrons de gauche, je tiens à vous l'apprendre !
JEAN GABIN : Il y a aussi des poissons volants, mais ils ne constituent pas la majoritédu genre !...
La politique, Messieurs, devrait être une vocation... Elle l'est pour certaind'entre vous... Mais pour le plus grand nombre, elle est un métier... Un métierqui, hélas, ne rapporte pas aussi vite que beaucoup le souhaiteraient, etqui nécessite d'importantes mises de fonds car une campagne électoralecoûte cher ! Mais pour certaines grosses sociétés, c'est un placementamortissable en quatre ans... Et s'il advient que le petit protégése hisse à la présidence du Conseil, le placement devient inespéré...Les financiers d'autrefois achetaient des mines à Djelitzer ou à Zoa,ceux d'aujourd'hui ont compris qu'il valait mieux régner à Matignonque dans l'Oubangui et que de fabriquer un député coûtait moinscher que de dédommager un Roi Nègre !... Que devient dans tout celala notion du Bien Public ? Je vous laisse juges...
Le gouvernement maintient son projet. La majorité lui refusera la confianceet il se retirera... Il y était préparé en rentrant ici...
J'ajouterai simplement, pour quelques uns d'entre vous, réjouissez-vous, fêtezvotre victoire... Vous n'entendrez plus jamais ma voix et vous n'aurez plus jamaisà marcher derrière moi... Jusqu'au jour de mes Funérailles Nationales,que vous voterez d'ailleurs à l'unanimité... Ce dont je vous remerciepar anticipation...

Dans son bureau personnel, sentençant à Milleran, sa secrétaire

JEAN GABIN : C'est une habitude bien française que de confier un mandat auxgens et de leur contester le droit d'en user !

Sur son tracteur, interpellant le Président Beaufort

PIERRE LARQUEY : On est gouverné par des lascars qui fixent le prix de labetterave et qui ne sauraient pas faire pousser des radis !

À la grille du domaine

UN GARDIEN : J'ai donné nos noms aux journalistes. Peut-être qu'on seracité ?
ALFRED ADAM : Penses-tu ! C'est toujours les mêmes qu'on cite... Pas étonnantqu'ils soient connus...


LE GENTLEMAN D'EPSOM - GILLES GRANGIER (1962)



À la sortie de l'Hippodrome

JACQUES MARIN : Vous êtes parent avec le baron Edmond ?
JEAN GABIN : Oui, Monsieur ! J'le tiens pour mon frère et vous pour un claque-dents!... D'abord, vous souvenez-vous de nos conventions ? Que vous ai-je promis lorsquevous êtes venu mendier mes conseils ?
JACQUES MARIN : Mendier, mendier...
JEAN GABIN : Oui, Monsieur, mendier !... Que vous ai-je enseigné àpropos des rapports ?
JACQUES MARIN : Jamais un cheval à moins de dix contre un.
JEAN GABIN : Oui, Monsieur, c'est une règle chez moi. Maintenant, si vouspréférez les cotes minables, l'égalité ou du deux contreun, adressez-vous aux charlatans !
JACQUES MARIN : J'voulais pas vous vexez, mon Commandant, mais ch'pensais quand mêmeavoir le droit de...
JEAN GABIN : Mais vous n'avez aucun droit !... D'ailleurs, nous n'avons pas étudiéle cheval dans les mêmes écoles. Vous étiez à Vaugirardquand j'étais à Saumur et j'apprenais le pas espagnol pendant que vousdébitiez du saucisson sur votre étal ! Alors, brisons-là, voulez-vous! Chacun dans sa sphère... C'est pourquoi à l'avenir, je vous prieraide ne plus m'adresser la parole... Même de loin !

En rentrant par le Bois

JEAN LEFEBVRE : Ch'ais bien qu'c'est pas l'moment d'parler d'ça, mais si j'vousdisais qu'ch'connais un client hors pair, gavé d'oseille... Un restaurateur...
JEAN GABIN : Boh...
JEAN LEFEBVRE : J'vous comprends, Commandant, mais celui-là, y navigue dansl'cosmos... Y rêve de cheval toutes les nuits... Il a des hennissements auréveil... Ah, il est prêt à flamber la baraque, hein !...
JEAN GABIN : Aaah, c'est une race qui s'perd... Ben, qu'est-ce que vous attendezpour vous occuper d'lui ?
JEAN LEFEBVRE : Éh ben, c'est bête à dire, mais j'ai peur del'gâcher, peur de n'pas tout lui prendre... Voyez, c'qui manque, à notreépoque, c'est des hommes de classe. Vous, sur un parcours comme ça,vous auriez fait un malheur... Une petite association vous intéresserait pas,non ?
JEAN GABIN : J'ai horreur des mutuelles...
JEAN LEFEBVRE : Pourtant vous m'connaissez...
JEAN GABIN : Oui ! En plus !... Dites-moi, à votre avis, où les foliess'arrêteraient-elles ?
JEAN LEFEBVRE : Mais les folies d'qui ?
JEAN GABIN : De votre gargotier...
JEAN LEFEBVRE : Au prix où il affiche le ragoût, y devrait pas y'avoirde limites...

Au bigophone

JEAN GABIN : Allô, Arthur ? Ça va. Ça va même trèsbien ! J'arrive à l'instant de Chantilly et je regrette que vous n'soyez pasvenu. Une véritable féerie, mon cher... Alors, j'ai donné monaccord.
PAUL FRANKEUR : J'ai l'impression qu'on va s'régaler !
JEAN GABIN : Tout c'que ch'peux vous dire, c'est que Madame de Carmoufe a appuyésa chose à trois cent mille. Le jeu est passé à Londres chezAtton & Wilcox pour ne pas influencer la cote.
PAUL FRANKEUR : Bravo ! Au fait, comment s'appelle le gaille ?
JEAN GABIN : La jument ? Elle s'appelle Ridoxine.
PAUL FRANKEUR : Ridoxine. C'est beau, comme nom.
JEAN GABIN : Oooh, mais attendez d'voir la bête ! Une encolure de cygne etdes antérieurs droits comme un I ! Un peu le canon d'Éclipse, si vousvoyez c'que j'veux dire. Un peu nerveuse, lunatique au départ, mais... ellefinit comme une balle !
PAUL FRANKEUR : Bon, ben, ch'fonce la jouer vingt sacs gagnant, sec...
JEAN GABIN : Vous pouvez y aller... Euh... dites-moi, évidemment, j'ai eudes p'tits frais...
PAUL FRANKEUR : Commandant, vous savez bien que...
JEAN GABIN : Ah, non ! Non-non-non-non ! Pas question d'ça entre amis, voyons! Non, mettez cent louis pour moi puis ça f'ra l'affaire... Voilà...Au revoir cher ami.

Dans le troquet de Lucien

FRANCK VILLARD : Ténébreuse ?
JEAN GABIN : Oui, Monsieur. Ce matin, mademoiselle nous a montré l'chemind'la caisse... Et ça peut amener l'coup-de-deux ! Le pot ! Celui qui faitdate...
FRANCK VILLARD : Jenny ! Votre porte, Bon Dieu !...
JEAN GABIN : Oui, seulement là, c't un peu spécial. Dans la sixième,Arcan part dopé.
FRANCK VILLARD : Oh !...
JEAN GABIN : Oui, ch'uis entièrement d'votre avis, je trouve ça répugnant,c'est ignoble. Mais partant du principe que dans la vie, y'a des gens malhonnêtes,le seul moyen efficace de s'en défendre, c'est d'en profiter.
FRANCK VILLARD : Natürlich !...
JEAN GABIN : Or, j'ai été prévenu d'la chose par le premiergarçon... C't un homme qui me doit toute sa carrière... Et je saisque l'opération doit être faite à l'extrait de pissenlit guatémaltèque...Seulement... y'a un os...
FRANCK VILLARD : Aaah, j'me disais aussi...
JEAN GABIN : Le produit donne son plein effet dix minutes après l'absorption,pendant quelques minutes... Cinq en moyenne...
FRANCK VILLARD : Et alors ?
JEAN GABIN : Alors, alors ! Y faut qu'l'horaire des épreuves soit scrupuleusementrespecté. Parce que si la course part trop tôt, la tisane n'a pas l'tempsd'agir et si elle part trop tard, le cheval pique son sprint au paddock !...
FRANCK VILLARD : Oh, mais, dites donc ! Mais c'est du millimètre-seconde,ça !
JEAN GABIN : Éh, mon cher, c'est pourquoi y'a pas trente-six tactiques ! Lepaquet sur Ténébreuse et le tout sur Arcan si l'horaire est respecté!
FRANCK VILLARD : Aaah...
JEAN GABIN : Mon p'tit Lucien... Vous permettez qu'j'vous appelle mon p'tit Lucien?
FRANCK VILLARD : Oh, mais ch'permets pas, ch'préconise !
JEAN GABIN : Éh ben, mon p'tit Lucien, si tout baigne dans l'huile, on vap't-êt' voir la chose historique ! Le coup d'légende !...
FRANCK VILLARD : Very well ! J'mets l'maxi sur Ténébreuse et j'me laisseporter !... Plus cinq sacs pour vous...
JEAN GABIN : Non, non, c'est trop !
FRANCK VILLARD : Ah, non, écoutez, ça, j'y tiens ! Ça m'faitplaisir.

Vers les guichets de l'Hippodrome

FRANCK VILLARD : Faites tomber la monnaie !... Vingt mille à douze contreun, ça fait deux cent quarante mille pour le p'tit homme !... Plus vingt quatremille pour vous, mon Commandant... Alors, qu'est-ce qu'on fait ? On reporte le toutou la moitié ?
JEAN GABIN : Ne nous emballons pas.
FRANCK VILLARD : Ah, ben, alors-là, j'vous reconnais plus, mon Commandant! L'autre jour, on fonçait aux baraques coudes-au-corps !
JEAN GABIN : Éh, oui, mais l'autre jour, y s'agissait d'colmater nos pertes,aujourd'hui, y s'agit d'préserver nos gains ! La tactique n'est forcémentpas la même !...
FRANCK VILLARD : Mais si Arcan est bourré d'pissenlit, y'a pas d'risque !
JEAN GABIN : Hé... Le cheval est capricieux par nature. Et quand, par surcroît,il est toxicomane, le pire est à craindre, mon cher !...


UN SINGE EN HIVER - HENRI VERNEUIL (1962)



Dans le garni exotique, sur la falaise

JEAN GABIN : Matelot Esnault Lucien, veuillez armer la jonque, on appareille danscinq minutes !
PAUL FRANKEUR : C'est parti !
LA TAULIERE : Albert !... Oh, je vous en prie !... Vous n'allez pas z'encore toutme saloper comme l'autre fois ?!
JEAN GABIN : Madame, le droit d'navigation sur le Yang-Tsé-Kiang nous estformellement reconnu par la convention du trois août dix-huit cent quatre-vingtcinq !... Contesteriez-vous la chose ?
LA TAULIERE : Je ne conteste rien !... Je vous demande simplement de ne pas toutm'casser comme l'autre jour...
JEAN GABIN : Oooh, mais pardon !... L'autre jour, les hommes de Sun-Yan-Tsen ontvoulu jouer aux cons ! Heureusement qu'j'ai brisé la révolte dans l'œuf!... Sans barbarie inutile, d'ailleurs... On n'a coupé qu'les mauvaises têtes,la Matelot Esnault peut témoigner...
PAUL FRANKEUR : Sur l'honneur !
JEAN GABIN : Bon... Nous allons donc poursuivre notre mission civilisatrice... Etd'abord, j'vais vous donner les dernières instructions de l'Amiral Gay-Prat,rectifiées par le Quartier-Maître Quentin, ici présent !... Voilà...L'intention d'l'Amiral serait... que nous percions un canal souterrain qui relieraitle Wang-Ho au Yang-Tsé-Kiang.
PAUL FRANKEUR : Ah, le Yang-Tsé-Kiang ?... Bon !
JEAN GABIN : Je n'vous apprendrais rien en vous rappelant que Wang-Ho veut dire “Fleuve Jaune ” et Yang-Tsé-Kiang, “ Fleuve Bleu ”... Je n'sais pas si vousvous rendez compte de l'aspect grandiose du mélange... Un fleuve vert !...Vert comme les forêts, comme l'espérance... Matelot Esnault, nous allonsrepeindre l'Asie, lui donner une couleur tendre, nous allons installer l'printempsdans ce pays de merde !
LA TAULIERE : Bon... Je vois qu'vous êtes raisonnables, j'vous laisse... J'aides clients à servir, moi.
JEAN GABIN : Éééh ! Dites donc, l'Indigène ! Un peu d'tact,hein !... Parlons d'autre chose !... Parce qu'on les connaît, vos clients !La Wermacht polissonne et l'Feldwebel escaladeur !... Hein !... Et puis merde, j'vousraconterais plus rien, là !
LA TAULIERE : Chut, Albert ! Vous fâchez pas !
JEAN GABIN : Mais vous fâchez pas, vous fâchez pas ! Mais, nom de Dieud'bordel, j'vous offre des rivières tricolores, des montagnes de fleurs etdes temples sacrés et vous m'transformez tout ça en maison d'passe!... Vous plantez votre Babylone normande dans ma Mer de Chine !... Alors !... MatelotEsnault !
PAUL FRANKEUR : Oui, Chef !
JEAN GABIN : On va brûler l'village !... Où sont les grenades, que j'lesdégoupillent !...
LA TAULIERE : Monsieur Quentin !... Calmez-vous !... Je vous demande pardon !...
JEAN GABIN : Une reddition ?... Soit !... La main d'fer dans l'gant d'velours !...Matelot, à vos pagaies !
PAUL FRANKEUR : Oui, Chef !
JEAN GABIN : Attention aux roches !... Et surtout, attention aux mirages !... LeYang-Tsé-Kiang n'est pas un fleuve, c'est une avenue... Une avenue d'cinqmille kilomètres qui dégringole du Tibet pour finir dans la Mer Jaune,avec des jonques et puis des sampans d'chaque côté... Pis au milieuy'a des... des tourbillons d'îles flottantes, avec des orchidées hautescomme des arbres... Le Yang-Tsé-Kiang, camarade, c'est des millions de mètrescubes d'or et d'fleurs qui descendent vers Nankin... Et avec, tout l'long, des villes-pontonsoù on peut tout acheter... De l'alcool de riz, d'la religion, et pis des garces,d'l'opium... Ch'peux vous affirmer, Tenancière, que le fusilier-marin a étélongtemps l'élément décoratif des maisons d'thé... dansc'temps-là, on savait rire... “ Elle s'était mise sur la paille / Pourun maquereau roux et rose / C'était un juif, il sentait l'ail / Il l'avait,venant de Formose / Tirée d'un bordel de Shangaï. ”
LA TAULIERE : Oh, c'est beau !...
JEAN GABIN : C'est pas d'moi !... C'est des vapes, comme ça, qu'y m'reviennent...quand j'descends l'fleuve...
PAUL FRANKEUR : Ch'croyais qu'c'était une avenue !

Au zinc du “ Cabaret Normand ”

JEAN-PAUL BELMONDO : Dites donc, y z'ont l'air de s'coucher d'bonne heure, en face.
PAUL FRANKEUR : Aaah, parce que vous êtes descendu chez Quentin !... Ben, vousavez pas fini d'rigoler !... Avec lui, si vous avez pas soif, vous serez tout d'suiteservi !... Ch'ais même pas s'y sert encore du vin à table... Hum...Sacré Albert !... Ah, on peut dire qu'il a sauté la barrière,celui-là !... Parce que, hein ! Pardon !... Joyeux compagnon, Mesdames !...Pas snob sur le biberon, c'est moi qui vous l'dis !... Tenez, venez... On a bienrigolé, y'a quinze ans, tous les deux... Tandem terrible, connu sur la région!...
JEAN-PAUL BELMONDO : Parce que vous en fûtes ?
PAUL FRANKEUR : Comme vous dites ! Et pas manchot !... Pis un jour, crac ! Fini !P'us un verre ! L'abstinence ! Le gâtisme !... C'est depuis c'jour-làqu'il a changé... On dirait qu'y'a plus qu'le mauvais qui ressort !...

Au “ Cabaret Normand ”, un soir de vague à l'âme

JEAN-PAUL BELMONDO : Messieurs, votre accueil me bouleverse... mais n'saurait égarermon jugement... J'ai tout d'même pas mal voyagé... C'qui m'permet d'vousdire, en connaissance de cause, que votre patelin est tarte comme il est pas permis!... Et qu'il y fait un temps de merde !...
PAUL FRANKEUR : Je suppose que monsieur plaisante !
JEAN-PAUL BELMONDO : Absolument pas.
UN CLIENT : Vous savez combien y'a eu d'jours de soleil en juillet ?... Dix-sept!
JEAN-PAUL BELMONDO : Soleil de mes fesses ! Vous savez pas c'que c'est, l'soleil!... Le soleil, c'est ça !...
(Flamenco endiablé sur les tables...)
... Arrière, les esquimaux !... Je rentre seul !... Un matador rentre toujoursseul !... Plus il est grand, plus il est seul !... J'vous laisse à vos banquises! À vos igloos ! À vos pingouins !... Por favor, señora, àquelle heure le train pour Madrid ?

Sur le marché du Port

PAUL FRANKEUR : Oh, fais pas celui qui comprends pas ! Ton client-là, tonEspagnol ! Douze verres cassés, ça t'dit rien ?!
JEAN GABIN : Dis donc, toi ! Primo, ça fait quinze ans que ch't'interdis d'meparler ! Deuxio, si tu voulais pas qu'y boive, t'avais qu'à pas l'servir !
PAUL FRANKEUR : Alors-là, Monsieur Quentin, ch'te rétorque que... Primo,je l'ai viré, deuxio, des ivrognes, y'en a assez dans l'pays sans qu'tu lesfasses venir de Paris !
JEAN GABIN : Un ivrogne ?
PAUL FRANKEUR : Ah, ben, un peu, oui !... Même le Père Bardasse, quiboit quinze pastis par jour, il en revenait pas !
JEAN GABIN : Ah, parce que tu mélanges tout ça, toi ! Mon Espagnol,comme tu dis, et l'Père Bardasse !... Les Grands-Ducs et les Boit-sans-soif!...
PAUL FRANKEUR : Les Grands-Ducs ?
JEAN GABIN : Oui, Monsieur !... Les Princes de la cuite, les Seigneurs... Ceux avecqui tu buvais l'coup dans l'temps, mais qu'ont toujours fait verre à part...Dis-toi bien qu'tes clients et toi, y vous laissent à vos putasseries, lesSeigneurs !... Y sont à cent mille verres de vous !... Eux, y tutoient lesanges...
PAUL FRANKEUR : Excuse-moi, mais nous autres, on est encore capable de tenir le litresans s'prendre pour Dieu-le-Père !...
JEAN GABIN : Mais, c'est bien c'que j'vous reproche !... Vous avez le vin p'tit etla cuite mesquine... Dans le fond, vous méritez pas de boire... Tu t'demandespourquoi y picole, l'Espagnol ? C'est pour essayer d'oublier des pignoufs comme vous!...

Dans le drugstore, boxon innommable

NOËL ROQUEVERT : Ha-ha !... J'étais sûr que vous croiriez c'la...Tout l'monde croit ça !... Vous n'connaissez pas les laines du Queensland!?
JEAN-PAUL BELMONDO : Non, mais ch'connais ma fille.
NOËL ROQUEVERT : Écoutez-moi bien, Monsieur... Non seulement ce pull-overn'est pas trop grand, mais il ne peut pas l'être !... Vous n'me demandez paspourquoi ?... Parce qu'il a été tricoté sur mesure pour unenaine !!!... Oui, naturellement, Poupy Schneider, ça n'vous dit rien !...
JEAN-PAUL BELMONDO : Ma foi, non.
NOËL ROQUEVERT : Vous êtes trop jeune !... Poupy Schneider !... Il n'y'enavait qu'pour elle, dans les mondanités des années vingt !... Un millionnaireaméricain, Walter Kroutchen, l'avait vue dans un cirque et en étaittombé fou... Les grands hommes ont toujours z'aimé les p'tites femmes...Mais, à c'point-là !... Avouez qu'c'est rare !... C'est lui qui m'avaitcommandé ce pull-over d'après une maquette de Van Dongen !... Là-dessus,le krach de Wall Street, en vingt-neuf !... Le Kroutchen s'est suicidé commevous et moi, la Poupy est retournée à son cirque, et le pull-over m'estresté sur les bras !... Hé-hé... C'est pour vous dire que...c'n'est pas l'acquisition banale... Pas l'vêtement d'tout l'monde...

Dans la cave

JEAN GABIN : Aaah !... Nous y voilà !... Ma bonne Suzanne, tu viens d'commettreton premier faux-pas... Y'a des femmes qui révèlent à leursmaris toute une vie d'infidélité, mais toi... tu viens d'm'avouer touteune vie d'soupçons !... C'est pire !

Sur la plage

JEAN-PAUL BELMONDO : Qu'ce soit la Révolution ou la paella, dites-vous bienque rien de c'qui est espagnol n'est simple !... Une paella sans coquillage, c'estun gigot sans ail, un escroc sans rosette, quelque chose qui déplaîtà Dieu... Au temps d'mes amours, ch'confectionnais la paella comme personne!... Claire me reconnaissait c'talent... J'espère que mes déboiresn'm'auront pas gâter la main...

Dans la piaule des Quentin

JEAN GABIN : Écoute, ma bonne Suzanne, t'es une épouse modèle...
SUZANNE FLON : Oh...
JEAN GABIN : Mais si, t'as qu'des qualités... Et physiquement, t'es restéecomme ch'pouvais l'espérer... C'est l'bohneur rangé dans une armoire...Et tu vois, même si c'était à refaire, éh ben, ch'croisqu'ch't'épouserais d'nouveau... Mais tu m'emmerdes...
SUZANNE FLON : Albert !
JEAN GABIN : Tu m'emmerdes gentiment, affectueusement, avec amour... mais-tu-m'em-merdes!... J'ai pas encore les pieds dans l'trou mais ça vient, Bon Dieu ! Tu t'rendspas compte que ça vient ! Et plus ça vient, plus j'm'aperçoisqu'j'ai pas eu ma ration d'imprévu ! Et j'en redemande ! T'entends ! J'enredemande !
SUZANNE FLON : L'imprévu ? Qu'est-ce que ça veut dire ?
JEAN GABIN : Ah... Rien... C'est les idées d'un autre monde... Et puis, parlonsplus d'ça, tiens...
SUZANNE FLON : Parce que tu sais, si ça t'manquait vraiment, si t'y pensaistrop, tu pourrais... ch'sais pas, moi... reprendre un peu d'vin au repas... un demi-verre.
JEAN GABIN : Un demi-verre... Dis-toi bien qu'si quelque chose devait m'manquer,ce serait plus l'vin, ce serait l'ivresse...

Arrivant à la volière de l'Indigène

JEAN-PAUL BELMONDO : Dites donc, qu'est-ce que c'est qu'votre endroit ?
JEAN GABIN : Éh ben, les gourmets disent que c'est une maison d'passe et lesvicelards, un restaurant chinois !...

Rififi au “ Cabaret Normand ”

JEAN-PAUL BELMONDO : Monsieur Esnault... Si la connerie n'est pas rembourséepar les assurances sociales, vous finirez sur la paille...

Assaillant la pension de la mouflette

JEAN-PAUL BELMONDO : Ah, ben, les voilà qui s'lèvent !
JEAN GABIN : Enfin ! Ah, ben, dis donc !
JEAN-PAUL BELMONDO : Ah, ben, voilà !
JEAN GABIN : Le branle-bas-de-combat, là-dedans !... Branle-bas-de-combat,ch'te dis !... Allez, comme en quatorze ! Investissons l'ouvrage... Ben, alors, ons'fout d'nous, oui !... Mais, ma parole ! C'est l'soufflet au Sultan !... Oh, BonDieu ! Si j'avais un obusier d'trente-sept, ch'te ferais sauter ça, pis vitefait !...
JEAN-PAUL BELMONDO : Arrête !
JEAN GABIN : Quoi ?!
JEAN-PAUL BELMONDO : Y z'envoient un plénipotentiaire !
JEAN GABIN : Ah, ben, c'est pas trop tôt !
UNE SŒUR : C'est vous, Monsieur Quentin, qui faites tout c'raffut ?
JEAN GABIN : Mission exceptionnelle !
UNE SŒUR : Monsieur Quentin, j'avais cru entendre dire que vous poursuiviez une convalescencesouhaitable ! Vous devriez avoir honte !
JEAN-PAUL BELMONDO : Elle croit parler à ses gnards !
JEAN GABIN : Mais t'as raison !... Quartier-Maître Quentin, du Corps Expéditionnaired'Extrême-Orient !... On vient pour prendre livraison de la fillette de Monsieur! Et si elle n'est pas livrée dans les trois minutes, je n'répondspas des réactions du papa !
UNE SŒUR : Le papa ?
JEAN-PAUL BELMONDO : C'est moi !
UNE SŒUR : C'est nouveau, ça !
JEAN-PAUL BELMONDO : Pas tellement, non !
UNE SŒUR : Vous m'avez pourtant dit, l'autre jour, que...
JEAN GABIN : Attention, l'aiguille tourne !
LA MERE SUPERIEURE : Who are they ? What's goin' on ? What do these people want ?
JEAN GABIN : Oooooooh, mais si l'Anglais est déjà dans la place, alors,je n'm'étonne plus de rien !
LA MERE SUPERIEURE : I don't understand ? What do you mean ?
JEAN GABIN : T'vas voir comment j'les traite, moi, les Anglais !
JEAN-PAUL BELMONDO : Gaspille pas tes dons, Madame est française !
JEAN GABIN : Tiens donc ! Comme le Colonel Lawrence était arabe !... Perfidielégendaire !... Mais pas avec moi ! J'les connais, moi, tous vos trucs !
LA MERE SUPERIEURE : I do not share this gentleman opinion about England ! But mostimportant ! First, we must be certain whether this gentleman is the father of ourlittle Marie Fouquet. For the moment, gentlemen, it will be best for you to go. Wecan attempt everything tomorrow morning. And for the child's sake, I do hope thatyou will be more presentable !... Georgette, will you send them to the door, please?
JEAN-PAUL BELMONDO : Elle a dit “ à demain ”...
JEAN GABIN : Mais c'est Fachoda !
JEAN-PAUL BELMONDO : Dis donc, si on envisageait un repli ?
JEAN GABIN : Ben, pourquoi pas une retraite !... Moi, ch'trouve que c'est amenerles couleurs un peu vite !... Estafette !... Faites savoir au Chef de Poste qu'onest d'accord pour remettre l'affaire à demain, mais... demain matin, pas plus!... Et si à dix heures, la fillette n'est pas à mon P.C. avec armeset bagages, éh ben, vous entendrez parler des Hussards de la Mort !... Considérezça comme un ultimatum !
UNE SŒUR : Bien, Monsieur Quentin ! On transmettra !...


LES TONTONS FLINGUEURS - GEORGES LAUTNER (1963)



MELODIE EN SOUS-SOL - HENRI VERNEUIL (1963)



Dans un train de banlieue, sur le chemin du turbin

JEAN GABIN : (Sortant de taule et mordant les racontards des rats, Charles songe...)Les vacances à croume... C'est nouveau, ça !... Le Tour du Monde àla p'tite semaine et pis au retour, tout l'monde se file au régime “ jockey”... Ouais... Éh ben, la liberté à soixante-dix mille francspar mois, c'est pas ma pointure...

De retour dans le pavillon de Sarcelles

VIVIANE ROMANCE : Qu'est-ce que tu croyais ? Que ch'passais mes soirées dehors?... À “ Mimi Pinson ”, peut-être ?...
JEAN GABIN : Oh-la-la !... Quand y m'arrivait d'penser aux guinches, c'étaitpour me demander s'il en existait encore...
VIVIANE ROMANCE : Le guinche, ça existera toujours... C'est les vrais gambilleurs,qui ont disparu !...

Dans le salon

JEAN GABIN : Oh... Au début, j'dis pas qu'j'ai pas cafardé... Ben,pis après, j'me suis dit qu't'avais p't-êt' raison parce que, dans l'fond,tu vois, les femmes devraient pas venir au parloir... Ça fait gamberger, pisça donne des idées à la con !... Des mauvaises pensées,comme disait l'aumônier...
VIVIANE ROMANCE : Ha ! Parce que tu fréquentais l'ratichon ?
JEAN GABIN : Ben, là-bas, tout l'monde a sa p'tite crise de pureté...Les demi-sels comme les gros bras... Les gros bras d'abord, forcément...

Au paddock

VIVIANE ROMANCE : Avec vingt-quatre millions, on peut acheter une p'tite affaire...Le genre hôtel-restaurant... Tu sais, maintenant, avec le tourisme...
JEAN GABIN : Ouiii. On fait son persil en trois mois, pis l'reste du temps, c'estles vacances... Ben, méfie-toi des mirages, Ginette ! Tu peux pas savoir lenombre de pommes qui s'est fait repassé au coup du p'tit commerce !...

Insomnie dans le salon

JEAN GABIN : Ah, parce que le p'tit hôtel-restaurant, t'appelle ça l'indépendance,toi !... Alors, j'vais t'dire quelque chose... J'me suis pas tapé cinq pigesde placard pour venir piquer thune par thune l'oseille des Congés Payés!... Aussi, oh, pendant qu'tu y es, ch'pourrais m'mettre aussi aux fourneaux... Lep'tit bagne en toque blanche !
VIVIANE ROMANCE : Ho... Tu sais... Le bagne dans l'Midi... T'exagères un peu...
JEAN GABIN : Ouais, ben, c'Midi-là, c'est sept heures-minuit, alors, ch'uispas bon !... Parce que tu crois tout d'même pas qu'avec tes vingt-quatre briques,tu vas t'payer l'Négresco, non !
VIVIANE ROMANCE : Avais pas vu ça comme ça...
JEAN GABIN : Alors, écoute-moi bien... Pendant qu'tu pensais à tesp'tits commerces, moi, j'ai mis au point l'plus beau coup d'ma carrière...L'genre d'affaire que personne a jamais osé entreprendre...
VIVIANE ROMANCE : Charles, ch't'en prie, tu vas pas recommencer !
JEAN GABIN : Éh ben, dis-toi bien qu'ton Midi et ta gargotte, à côtéde c't'affaire-là, c'est des rêveries d'midinette !... Parce que moi,l'avenir... j'le vois du côté d'Canberra !... Bourrés d'pognonet inconnus... c't-à-dire honorables...

Aux bains-douches “ Les Fauvettes ”

HENRI VIRLOJEUX : (Refusant une clope tendue...) Oh, p'us jamais ! Ch'uis tricardde perlot... Et c'est pareil pour l'apéro... V'là à quoi ch'uisréduit...
JEAN GABIN : Ben qu'est-ce que t'as ?
HENRI VIRLOJEUX : Tout !... J'ai dix de tension, un million d'globules rouges quis'sont fait la malle... Et les éponges voilées qui demandent qu'àm'faire un vanne !

Irruption de Madame Léone dans le burlingue de Mario

DOMINIQUE DAVRAY : Qu'est-ce que vous maquillez, tous les deux ?!...
HENRI VIRLOJEUX : Charles me montrait les plans d'la nouvelle cabane qu'y vient d'sefaire construire à côté d'Cannes...
JEAN GABIN : On causait bâtiment, Madame...
DOMINIQUE DAVRAY : Ben, faut pas !... L'professeur l'a recommandé !... Fautplus qu'y cause, Mario !... De rien !... (Elle décarre en frappant la lourde...)
JEAN GABIN : Tu lui claques pas l'beignet ?

Toujours dans l'estanco du débris

HENRI VIRLOJEUX : Ch'crois aussi qu'tu vas être obligé d'pousser sansmoi...
JEAN GABIN : Qu'est-ce que ça veut dire ?
HENRI VIRLOJEUX : Ben, ça veut dire que j'déclare forfait...
JEAN GABIN : Non, mais, t'es pas dingue !... L'pognon est là, y'a p'us qu'àl'engourdir !...
HENRI VIRLOJEUX : Ha, je sais, je sais... Seulement, moi, ch'peux pas m'permettrede replonger... L'toubib est formel. Si je retourne au ballon, c'est la condamnationà mort !... Même le Président d'la République, y pourraitrien pour moi... Dis donc, Charles... Tu les as vus, les cimetières des Centrales?... Celui d'Poissy ? Celui d'Fontevrault ?... Y'en a du monde, là-dedans...Pis c'est pas jouissif... Tu ferais p't-êt' bien d'y penser, toi aussi...
JEAN GABIN : Bon, ben, dis donc... Reste à jouer les garçons d'bainssi ça t'amuse, mais moi, ch'plonge !... Parce que laisser traîner unpareil paquet d'oseille, c'est pas moral !...
HENRI VIRLOJEUX : Hé !... J'ai p'us les jambes, moi !...

Dans le gourbi du voyou

ALAIN DELON : Ben, on cause... T'es venue pour ça, non ?... C'est ton truc,à toi, causer... Hier, c'tait l'tabac... Intéressant... “ Francis !!!Tu fumes trop ! L'tabac, ça donne le cancer ! Tu finiras comme ton cousinAlphonse ! ”... Cousin Alphonse qu'est mort flingué à la Libération!... Hein !
GERMAINE MONTERO : N'empêche qu'il avait l'cancer du fumeur !... Et tu l'aurasaussi !
ALAIN DELON : Tu m'as répété cent fois que j'mourrai sur l'échafaud! Alors, faudrait savoir c'que tu veux !... Le microbe ou l'couperet ?!...
GERMAINE MONTERO : Dis donc, Francis ! Ça suffit, hein !... Ch'uis venue pourte parler sérieusement... Alors ?... Ta pension ?
ALAIN DELON : Ah, ben, c'est vrai, ça !... Alors, où on en est ?
GERMAINE MONTERO : À cinq mois d'retard !
ALAIN DELON : Tt-tt-tt...
GERMAINE MONTERO : Ton père trouve un peu curieux qu'à vingt-sept ans,tu sois encore à charge ! Pas toi ?
ALAIN DELON : Ah, ben, c'est à vous d'décider ! Vous êtes lestauliers !... Comment voulez-vous qu'j'vous paye ?... Au mois ?... À la semaine?... En nature ou en affection ?...
GERMAINE MONTERO : C'qui nous ferait plaisir, ce serait qu'tu travailles ! Que tumènes la vie normale d'un garçon d'ton âge !...
ALAIN DELON : Parce que la vie des mecs de mon âge, vous connaissez ça,vous !... Enfin... Tiens !... Éh ben, j'étais justement en train d'ypenser avant qu't'arrives !... On m'propose un boulot !... Dans une station-service...Place Péreire... Le pompiste est un pote...
GERMAINE MONTERO : C'est pas l'premier qu'tu rencontres !
ALAIN DELON : Pourrais pas écraser un peu ?
GERMAINE MONTERO : La dernière fois qu't'as causé avec un pompiste,t'avais même un revolver à la main !... On est bien forçéd's'en rappeler !
ALAIN DELON : Deux ans d'gnouf ! Ch'uis à jour, non !... On va m'emmerderavec ça toute ma vie ?!... “ Erreur de jeunesse ”, ça s'appelle ! Justementpour qu'on n'en cause plus !
GERMAINE MONTERO : Un jour, c'est nous qu'tu tueras ! Ton père et moi ! Dechagrin !
ALAIN DELON : Ben, comme ça, on retrouvera pas l'arme du crime !

Dans l'atelier du beauf'

MAURICE BIRAUD : Ça va comme tu veux, toi ?
ALAIN DELON : Ben, moi, ça irait si y'avait pas ta belle-mère !...Mais y'a !!!... Et y'a même de plus en plus... Ah, elle devient infernale...Ah, ben, tu connais pas la dernière ? Celle qu'elle a encore inventée!... Que je garde ton mouflet pendant qu't'iras à Mogador !... Joli, non !
MAURICE BIRAUD : Aaah, j'dis pas non... Mais alors-là, j'veux la blouse etl'voile, hein !... Ah, une nurse, c'est une nurse !... Déjà qu't'espas anglaise !... Hé-hé... Voyons. Pour en revenir à... àMogador, tu sais, y'en a qu'ça possède, hein ! Moi, alors-là,ch'uis pas... pas tellement friand, hein... “ Rio, Rio, Riooôôô,capitale du rêêêveu ”... Non ! Moi, tu vois, j'vais t'dire, questionspectacle... Ch'rais plutôt porté... sur le nu, moi !... Mayol, euh...Les Folies... 'Fin, le visuel, quoi... Non. C'est pour te dire que... si tu peuxpas garder l'môme... éh ben, j'en pleurerais pas...
ALAIN DELON : Ah, ben, ça m'arrange... Dis donc, y'a què'qu'chose quim'arrangerait bien, aussi... Tu pourrais pas m'prêter cinq sacs ?... Quatre?...
MAURICE BIRAUD : Deux, hein ! Mais pas un d'plus !... Ah, tu peux pas savoir, monvieux... Ch'uis dans une dégoulinante infernale, hein... Tiens, mon tiersprovisionnel, les taxes, la patente... sans compter l'rappel des allocations familiales,pis alors, trois clients qui s'sont tirés en vacances en m'laissant leursfactures...
ALAIN DELON : Mais... te fais pas d'bile... Ch'pense pouvoir te rendre le total assezvite... J'ai l'intention d'chercher du boulot...
MAURICE BIRAUD : De chercher ou d'trouver ?...
ALAIN DELON : Ah, non, sans char... Sérieux...
MAURICE BIRAUD : Ooofff, note... C'est pas plus bête qu'autre chose, hein ?...Maaais, sans vouloir te décourager... Euh, le boulot, c'est un truc qu'y vautmieux commencer jeune... Quand tu démarres tout môme, c'est comme sit'étais né infirme... Euh, tu prends l'pli... T'y penses p'us... Remarque...T'as p't-êt' raison d'essayer, hein ! De toute façon, dans la vie, ben,faut tout connaître...
ALAIN DELON : Et puis, si on s'intoxique, on peut toujours s'arrêter...

À l'“ Olympic Billard Club ”, Rue de la Gaîté

ALAIN DELON : Tu crains pas d't'embarquer un peu léger, non ?... Un an d'celluleavec un mec, c'est pas forcément une assurance “ tous-risques ”... Tu peuxt'gourer sur moi... Et ch'uis pas sûr d'pouvoir tenir ma place...
JEAN GABIN : Ben, moi, j'en suis sûr... Un tocard aurait dit “ oui ” tout d'suite...Les tocards sont toujours d'accord avec n'importe qui et à n'importe quelblot !...

Dans le boxon de Louis Naudin

JEAN GABIN : Il est sur quel coup, en c'moment, le héros d'la famille ?...
MAURICE BIRAUD : Ch'crois qu'y cherche un boulot... Mais pendant qu'vous y êtes,ça serait p't-êt' plus pratique d'aller y demander à lui !...Vous avez lu l'enseigne, en entrant !... “ Atelier de mé-ca-ni-que ” !...Y'a pas écrit “ bureau d'renseignements ” !
JEAN GABIN : Éh, y'a pas écrit non plus “ fermé pour cause d'emballage” et pourtant, ça pourrait bien arriver... Complicité avec des malfaiteurs...C'est prévu par le Code, ça...
MAURICE BIRAUD : Complicité d'quoi ?...
JEAN GABIN : De quoi ?... Alors, écoute-moi bien... Premièrement, tonbeau-frère va récidiver et tu l'sais... Deuxièmement, y seraitfortement question qu'tu sois dans l'coup... Et troisièmement, on parle aussid'un certain Monsieur Charles, un familier d'la Maison... Et l'palmarès deton beau-frère à côté du sien, c't un brevet d'civisme!... Alors, comme j'ai l'respect d'la famille, j'te demande pas d'balancer ton beauf',tu m'parles de Monsieur Charles et j'oublie l'reste... Qu'est-ce que t'en dis ?...
MAURICE BIRAUD : Éh, j'vous dirais bien quelque chose... mais ch'crois qu'c'estpas non plus conseillé par le Code !... Vous, c'est la famille, moi, c'estl'Code !... Alors, chacun sa religion !... Mais personne n'a jamais étéen taule... pour avoir donné une bonne recette à un copain !... Alors,ch'peux vous en indiquer une au poil, moi, d'recette !...
JEAN GABIN : Sur la façon d'aller m'faire cuire un œuf...
MAURICE BIRAUD : C'est ça !
JEAN GABIN : Ben, voyons !... Alors, écoute.... Monsieur Charles, c'est moi...J'voulais savoir c'que t'avais dans l'ventre...
MAURICE BIRAUD : Ça recommence !... J'vous dis qu'j'ai jamais entendu parlerd'Charles, de Pierre, ni d'Paul !... Le seul Charles que ch'connaisse, y crêchePlace Beauveau !... Et y répond pas aux questions, y les pose !...

Briefing en voix-off

JEAN GABIN : Ah, non !... Ça, c'est ton boulot !... Que tu deviennes poteavec le chef-électricien ou qu'tu quimpes la danseuse-étoile, pourmoi, c'est du kif !... C'qui faut... mais alors-là, absolument !... c'estqu'tu puisses grimper dans les cintres quand l'moment sera venu... Tout !... reposelà-dessus...

Au bar de la pistoche du “ Palm Beach ”, à Cannes

ALAIN DELON : D'abord, un whisky et ensuite... savoir qui-est-qui... J'me méfietoujours des impairs... Vous n'trouvez pas qu'y vaut mieux connaître son monde?
JEAN CARMET : Du monde, Monsieur, nous en avons beaucoup... Ça va êtrelong !...
ALAIN DELON : Et bien, j'ai tout mon temps !
JEAN CARMET : Ah !... Pourrais p't-êt' commencer par les dames ?...
ALAIN DELON : Hum, j'ai rien contre !
JEAN CARMET : Pour une urgence... le maillot à carreaux... Polonaise et comtesse...
DORA DOLL : Émile, s'il vous plait ! Serrvez-moi un jus d'orrange au borrdde la piscine...
JEAN CARMET : Bien, Madame la Comtesse !... Tout ça entièrement bidon...Trente mille... À débattre de gré à gré... Dîneou n'dîne pas, à volonté... J'en ai entendu les plus grands élogespar des habitués difficiles...
ALAIN DELON : Ouais... Ensuite ?
JEAN CARMET : Ensuite, euh... euh... à droite... La blonde en maillot noir-là...Non, sans intérêt, ça... Ah ! Un peu plus sur la gauche, au milieudes trois filles...
ALAIN DELON : Oui ?
JEAN CARMET : Hum, Gentina... Une ancienne Miss de... ch'ais plus quoi... Selon lesavis, ensorceleuse... ou très vache !... Tout dépend de c'qu'on cherche,hein ?... Hé-hé...
ALAIN DELON : Et ça-là... La grande blonde sur la gauche, qui vientvers nous...
JEAN CARMET : Ah... Divorcée depuis trois ans des caoutchoucs du Cameroun...
ALAIN DELON : C'est très très très très bien...
JEAN CARMET : Hum... Vous devez malheureusement la considérer comme une concurrente!...
ALAIN DELON : Ah !

Dans la tire, devant le resto à loupiotte, au bord de la flotte

CARLA MARLIER : D'abord, il ne z'achit pas d'une coucherie... Enzuite, Olaf n'estpas z'un mec...
ALAIN DELON : C'p't-êt' pas un mec, mais moi, ch'uis pas un micheton ! Et situ veux vraiment savoir c'que ch'pense... !
CARLA MARLIER : Tais-toi !
ALAIN DELON : Ben, j'en ai drôlement marre de trimballer Mademoiselle la Bêcheuse! D'lui refiler du homard grillé, d'la reconduire à sa porte su'l'coupd'minuit !
CARLA MARLIER : Raccompagne-moi tout d'zuite !
ALAIN DELON : Ch'uis pas ton chauffeur !
CARLA MARLIER : Franzis, raccompagne-moi, che n'ai plus enfie d'entendre !
ALAIN DELON : Ben, t'as qu'à t'démerder ! Personne t'empêched'aller à pinces !... (La greluche descend en claquant la portière...)Quand vous l'aurez au bout du fil, n'oubliez d'transmettre mes respects àMonsieur Nilson !
CARLA MARLIER : Che n'y manquérait pas ! Grâze à lui et àtoi, che zais maintenant ze que z'est qu'un foyou !
ALAIN DELON : Ben, comme ça, tu sauras avec qui tu sors !... Et t'avises pasd'faire du stop parce que y'a qu'les voyous qui s'arrêtent !
CARLA MARLIER : Pour tomber zur un foyou comme toi, il faudrait fraiment quéche n'ai pas de chanze !
ALAIN DELON : Ben, confidence pour confidence, des morues d'ton espèce, jefile un coup d'pied dans un bec-de-gaz, il en dégringole cinquante !

Dans la piaule du “ Carlton ”

JEAN GABIN : Les valises, ça s'défait et ça s'refait !... D'ailleurs,tu vas pouvoir faire les tiennes, on rentre dans nos foyers... J'démobilise...Parce que moi, j'aime pas les équipiers-fantômes !...
ALAIN DELON : Et pourquoi “ fantôme ”, ch'uis là, non !
JEAN GABIN : Et à quelle heure t'es là !?!... Ch't'avais pas dit d'pasbouger d'ton hôtel et d'attendre mon coup d'fil à partir de onze heures!?!...
ALAIN DELON : Ben, si, mais quand j'ai trouvé ton message, y'étaitquatre plombes !
JEAN GABIN : Tu l'as trouvé à quatre plombes parce que t'es rentréà quatre plombes !... C'est ça qu'était pas prévu !...Quand tu m'as dit qu't'étais p't-êt' un tocard, ch't'ai pas cru, maisfinalement, ch'crois bien qu'c'est toi qu'a raison !... Faut jamais contrarier lesvocations... La tienne, c'est d'piquer les bicyclettes et d'baluchonner les chambresde bonnes !

Même turne, après la tempête

JEAN GABIN : Bon, alors, écoute-moi bien... À partir de maintenant,travaille au chrono... Parce que une minute d'écart veut pas dire forcémentsoixante secondes !... Ça peut s'transformer en années d'placard !Crois-moi, j'connais la question !...

Dans l'annexe du lardu

JEAN GABIN : Éh ben, qu'est-ce que tu fous ?
MAURICE BIRAUD : Ben... Voyez bien... Je retape mon lit...
JEAN GABIN : Pourquoi tu passes pas l'aspirateur, pendant qu't'y es ! Tu t'figuresqu'j'envoie vingt sacs par jour pour que tu fasses le ménage !
MAURICE BIRAUD : Hé... J'avais l'temps... J'm'occupais...
JEAN GABIN : Ouais, ben, l'temps, maintenant, c'est moi qu'en décide !...Justement, on était en train d'en parler... Alors... En c'qui concerne l'déroulementdes opérations, j'vous préviens, hein... Pas d'initiative personnelle...Parce que ça mène régulièrement à la ratière!...

Remise de la mitraillette planquée dans le secrétaire

JEAN GABIN : Mais attention, hein !... Pas d'zèle !... Y s'agit simplementd'leur foutre le trac !...
ALAIN DELON : Ben, oui, mais tout l'monde n'a pas forcément l'trac !... Mêmede ça !... Si jamais l'garde du corps fait du schproum ?...
JEAN GABIN : Dans une situation tendue, quand tu parles fermement avec un calibreen pogne, personne ne conteste !... Y'a des statistiques là-dessus...

Depuis la salle de bains de sa carrée

ALAIN DELON : Dites ! Pendant qu'vous êtes là, Mignonne ! Y doit y avoirtrois mouchoirs et une limace bleue su'l'tabouret ! J'aimerai bien qu'tout çasoit nickel pour demain soir, hein !... Pendant qu'vous serez en mouvement, prenezdonc mille balles à côté d'la photo d'ma fiancée !

Autour du pieu

ALAIN DELON : T'tracasse pas, j'ai pas la tête dure !... Toute façon,tout ça est très clair... Ton micheton est revenu, l'hiver approche...Y'a du vison et d'l'ocelot dans l'air... Les putes ont toujours adoré lesanimaux !... J't'assure qu'c'est pas dur à comprendre...
CARLA MARLIER : Elles z'aiment peut-être auzzi les zouvenirs... Tu fiens dégâcher le zeul que ch'afais !
ALAIN DELON : Le seul ?... Hum... Ben, tu vois... Ça prouve qu'on peut êtrepucelle en tout !... Moi, j'me demandais c'qui, chez toi, n'avait pas encore servi,ben, c'était la mémoire...

Au bar du Casino du “ Palm Beach ”

DORA DOLL : (S'adressant au barman...) Lucien... Ch'crois qu'je prends un coup d'vieux...J'reconnais plus un gentleman d'un hareng !...


100.000 DOLLARS AU SOLEIL - HENRI VERNEUIL (1963)



Dans le hangar de la Betterave

LINO VENTURA : T'as déjà conduit un bahut de c'genre-là ?
REGINALD KERNAN : Non.
LINO VENTURA : Ben, moi, c'que j'en dis, après tout, hein...
JEAN-PAUL BELMONDO : Fais pas attention... Monsieur Marek est d'un naturel jaloux...Son premier amour, c'était un camion... Son second amour, un camion... Actuellement,il en train de liquider une vieille liaison un peu ferraillante... Alors, en voyantcette jeunesse, Monsieur Marek s'est imaginé des choses, c'est humain...
LINO VENTURA : Dis ! Tu veux pas l'prendre un peu parce que moi, M'sieur Rocco...y m'use, hein... Si la Betterave me demande, ch'uis sous la douche.
BERNARD BLIER : Ben, d'toute façon, on s'voit c'soir, chez Zézé.
LINO VENTURA : Qu'est-ce tu veux qu'j'aille foutre chez Zézé ?
JEAN-PAUL BELMONDO : Flambant neuf !... L'espoir de notre maison ! Notre fiertéà tous !... Monsieur va certainement arroser ça avant qu'y pleuve...Monsieur a forcément des usages...
BERNARD BLIER : Et ici, on aime ça, les usages...
REGINALD KERNAN : Ça remplace le fric ?
JEAN-PAUL BELMONDO : Si l'crédit n'existait pas, y'a longtemps qu'l'Afriqueserait morte !
BERNARD BLIER : L'ardoise de Monsieur est, pour ainsi dire, avancée...

Chez Zézé

BERNARD BLIER : Ben, tu vois... T'es déjà coté en Bourse...
REGINALD KERNAN : Alors, qu'est-ce qu'on boit ?
BERNARD BLIER : Ah, on attend Marek !
JEAN-PAUL BELMONDO : À Blima, l'Plouc est toujours en retard... Une vie privée...Un chauffeur qui s'appelait Rodriguez s'est ratatiné, y'a deux ans, dans ladescente du Djebel Zouid... Rupture de freins, une chute de trois cents mètres...On n'a jamais pu dégagé c'qui restait d'Rodriguez... Maintenant, lui,dort là-bas, dans sa ferraille... Sa veuve, elle... elle dort avec le Plouc...Les inconsolables !... C'est une des spécialités du Plouc... Des veuves,j'en ai connu une bonne demi-douzaine !... À Montélimar, Palerme...Tout ça parce qu'il aime avoir des chemises propres et des pantalons bienrepassés... C'est pas un maquereau, non... C't un maniaque...
DOUDOU BABET : Monsieur Mitch Mitch ! Parle-lui des tatanes à Rodriguez !
BERNARD BLIER : Rodriguez, comme tous les Espagnols, étaient coquets d'sespieds... Son salaire y passait, il avait au moins vingt paires de pompes !... Ety chaussait du quarante-deux... Devine combien y chausse, le Plouc ?
REGINALD KERNAN : Du quarante-deux ?
BERNARD BLIER : Non. Du quarante-trois !
REGINALD KERNAN : Faut souffrir pour être élégant...
BERNARD BLIER : Ah, peut-être, mais moi, j'aimerais pas marcher dans les grolesd'un mort !... Tiens. Moi qui t'parle, j'ai eu un pote...

Au zinc

LINO VENTURA : Tu m'diras c'que tu voudras mais Steiner... c'est quand mêmepas du franchouillard garanti pur sucre !... Hein !... Tu serais pas né unp'tit peu du côté d'Berlin ?

En rade dans le Fesh-fesh

BERNARD BLIER : Mais ma parole !... C'est l'Champion d'la ligne ! Le cador du volant!... Pardon, Monsieur... Excusez ma curiosité... Vous seriez-t-y pas ensablé,des fois ?
LINO VENTURA : Tu veux savoir ?... Éh ben, t'es même pas drôle!
BERNARD BLIER : Allez, mon gars, en avant les pelles et les tôles !... Fautaider son prochain... Qu'est-ce que tu veux ? C'est les misères de l'âge,hein !... Faut faire semblant de s'apercevoir de rien... Ce pauvre Plouc, il a lavue qui baisse, alors il roule de plus en plus à côté de la piste...On l'récupère un peu partout... Des fois en Mozambique... Des foissur la Nationale Sept... Des fois, comme c'est le cas, dans le Fesh-fesh... Alorson l'ramène en remorque pour pas qu'y perde sa place... Ben, un vieux, fautbien qu'ça mange...
LINO VENTURA : T'as fini, oui, hein !
BERNARD BLIER : Oui. Oui, oui ! Allons-y !... Alors ch'propose vingt pelletéesà la minute, c'est une bonne cadence, non ?
LINO VENTURA : On peut faire mieux...
BERNARD BLIER : Disons vingt-cinq... Mais à condition qu'l'aïeul s'arrêtedès qu'son cœur lâche ! Allez, ho !... Ho !... Ho !...

Après l'effort

BERNARD BLIER : Dis donc ! Qu'est-ce qu'y vous avait fait, l'Sourdingue, pour qu'vousl'mettiez dans c't état-là ? Il avait pas l'air content... Y m'a ditaussi qu'cette petite vache de Rocco s'trimballait avec une fille... C'est vrai ?...P't-êt' qu'y l'aura ramassée en bordure de piste...
LINO VENTURA : J'en sais rien !
BERNARD BLIER : Tiens, ça m'rappelle ma Finlandaise... Tu la connais mon histoireavec la Finlandaise ?
LINO VENTURA : Oui.
BERNARD BLIER : Éh ben, toi qui la connais pas, tu vas t'poiler !... Figure-toiqu'un jour, sur la piste d'Inssaoud, euj'tombe sur un p'tit ingénieur despétroles avec sa Land Rover en rideau... Il avait sa bonne femme avec lui-là,une grande blonde avec des yeux qui avaient l'air de rêver, pis... un sourired'enfant... Une salope, quoi. Moi, j'repère ça tout d'suite parce queles femmes, c'est mon truc...
LINO VENTURA : C'est pas comme le pelletage, hein ?!
BERNARD BLIER : Alors, aussi sec, euj'propose au p'tit ingénieur “ Si vousvoulez, j'amène votre dame à Agdid et pis j'envoie la dépanneuse.”... Le branque dis “ oui ” et me v'là barré avec la poupée...C'est pas vrai, Saïd ?
LINO VENTURA : Si, c'est vrai ! Et c'est même vachement intéressant!... Tu vas bosser un peu, dis ! Hein !
BERNARD BLIER : Une seconde, ça l'intéresse !... Hein, qu'çat'intéresse ?... Alors, sitôt partis, j'me mets à conduire d'unemain... Et v'là qu'la môme se met à faire des minauderies...T'sais, façon pudeur... Des p'tites manières de bonne femmes, quoi...Sous prétexte que Saïd était en train d'prendre un jeton !...Et à c'moment-là, on arrive dans la zone des dunes... Alors j'dis àma Finlandaise “ Est-ce que vous avez déjà vu la Rose des Sables ?” “ Non. ”, qu'è'm'fait !... Alors j'arrête le bahut et j'dis “ Voyezla dune, là-bas... Éh ben, derrière, y'a les plus belles Rosesdes Sables de tout l'Niger... ” Éh ben, elle a voulu y'aller voir...
(L'histoire se continue dans le bahutde Rocco...)
JEAN-PAUL BELMONDO : Deux heures plus tard, Mitch Mitch et sa souris sont àIkboulfri, en train d'se remonter à coups d'perniflard !... Tout àcoup, le cocu débarque, va droit sur sa femme, sans dire un mot... mais luibalance une paire de mandales à tuer un buffle !
ANDREA PARISY : Quelqu'un l'avait prévenu ?
JEAN-PAUL BELMONDO : Le sable !... Mitch, qui parle toujours trop, avait dit “ Unefois dépanné, vous suivez mes traces jusqu'à Ikboulfri. ” L'p'titingénieur avait suivi les traces jusqu'au bout... Jusqu'aux dunes... Là,c'était plus des traces de pas, qu'y avait... Ç'tait aussi clair qu'sion y avait fait voir un plumard, au mec...
ANDREA PARISY : Ça s'est terminé comment ?
JEAN-PAUL BELMONDO : Après la tarte à sa bergère, le gars auraitbien continué à jouer les hommes... Mitch a bloqué la premièrepêche et lui a dit “ Tu viens d'briller... Gâche pas tes cartes... ”
ANDREA PARISY : Et son mari n'a rien dit ?
JEAN-PAUL BELMONDO : Oh, tu sais... Quand les types de cent trente kilos disent certaineschoses, ceux d'soixante kilos les écoutent...

Dans le bahut de Plouc

REGINALD KERNAN : Qu'est-ce qu'y voulait dire par “ T'oublie les souvenirs ! ” ?...Tu vas m'répondre que ça m'regarde pas...
LINO VENTURA : C't-à-dire c'est pas particulièrement tes oignons, non,mais c'est pas non plus un secret d'État... Tout l'monde le sait, ici, alors!... À Cherfa, y'a cinq ans, j'avais un p'tit burlingue avec un hangar ettrois bahuts... C'était presque fini d'payer... Ça s'appelait “ LaSaharienne des Transports ”... Éh ben, j'ai tout paumé en une journée...
REGINALD KERNAN : Poker ?
LINO VENTURA : Ah, non, écoute, j'ai déjà tort de t'racontertout ça, mais alors, si en plus, t'ajoutes des trucs de midinettes, alors-là,c'est plus possible !... Le gars du bled qui flambe au poker, ça, c'est ducinéma !... Non, c'est plus marrant qu'ça... Un dimanche, euj'parsde Cherfa avec la Jeep pour aller acheter un Delco à Amara... J'étaisparti à six heures du matin, j'étais rentré à neuf heuresle soir, c'est t'dire si j'm'étais magné, hein !... Ben, les connardsdu bled avaient pas lambiné non plus, eux !... Y z'avaient eu l'temps d'jouerà la Révolution !... D'changer leur dictateur de droite contre leurdictateur de gauche... Le Ministre des Affaires Étrangères et l'Chefde la Police empalés... Et tout ça avait donné lieu àdes p'tites réjouissances folkloriques, c'est-à-dire mes trois camionspassés au lance-flammes et ma baraque plastiquée !... Comme on n'arrêtepas l'progrès, ben, en plus, y m'ont réquisitionné ma Jeep...Y m'restait plus qu'le Delco, quoi !... Voilà... Alors depuis, parait qu'laRépublique a repris les commandes... Que les lance-flammes ont changéd'main mais moi, ch'uis pas pressé d'aller vérifier...

En rade dans une montée du Djebel

BERNARD BLIER : Éh ! Mais j'rêve pas !... C'est l'équipe de fer!... Ben, j'disais justement à Saïd “ C'pauvre Plouc, avec les mauvaisyeux qu'il a maintenant, va bientôt falloir mettre des filets sur le bord d'laroute... pour pas qu'il aille se foutre dans l'ravin ! ”... Éh ben !... Éh!... Bravo, jeunes gens !...
LINO VENTURA : T'as une barre de remorquage ?
BERNARD BLIER : J'ai tout c'qu'y faut !... Toujours... Quand tu roules devant moi,j'emporte même un moteur de rechange !... T'arriveras p'us à m'surprendre!... Enfin, c'coup-là, on n'aura pas à creuser, c'est déjàça !... J'aime mieux qu'on t'opère en surface... Parce que parti commet'étais l'autre coup, en améliorant un peu, fallait amener les... lesspéléologues...
LINO VENTURA : Non, c'est rien... Laisse... C'qu'y faut avec lui, c'est attendrequ'il s'épuise et surtout pas mouffeter, hein... Parce que si jamais t'asle malheur de dire un mot, un seul, c'est comme si tu mettais deux thunes dans l'bastringue,ça s'arrête p'us !...

Devant le rade des amis, dans le bled-étape habituel

ANNE-MARIE COFFINET : Vendredi dernier, tu m'avais promis qu'avant d'partir, tu taperaisà ma porte... Éh ben, t'as pas du taper bien fort...
LINO VENTURA : Ben, j'allais pas réveiller toute la cambuse, hein !
ANNE-MARIE COFFINET : Réponds-moi, Plouc !
LINO VENTURA : Oooh...
ANNE-MARIE COFFINET : Dis-moi la vérité...
LINO VENTURA : Quoi !?!
ANNE-MARIE COFFINET : Est-ce que ch'uis une putain ?
LINO VENTURA : Ben... Tu couches toujours avec tout l'monde ?... Enfin, j'veux dire,euh... avec les copains, quoi...
ANNE-MARIE COFFINET : Oui.
LINO VENTURA : Et y'en a pas un, des fois, qui... qui t'aurait refiler d'l'oseille,non ?
ANNE-MARIE COFFINET : Non.
LINO VENTURA : Éh ben, alors... T'es notre petite Angèle, c'est tout...Hein ?...

Règlement de comptes en plein désert

LINO VENTURA : T'arrive cinq ans trop tard, mon pauvre Frocht... Et puis, ch't'aivu lâcher ton flingue... Tu l'as jeté à tes pieds... Oublie jamaisça !...
REGINALD KERNAN : Qu'est-ce que tu veux dire ?
LINO VENTURA : Que t'es fini !... Que t'existe plus !... Quand un mec comme toi s'dégonfle,même une seule fois, ben, c'est terminé !... Tu vas encore traînerun peu... On entendra parler d'toi, encore, dans des p'tites révolutions merdeuses...Et pis tu feras encore des p'tites saloperies, comme ça, pour la gamelle...Pis tu deviendras clodo... À Abidjan ou ailleurs... Pis un jour, ben, tu t'ferasdescendre en piquant un porte-monnaie ou pour un litre de rouge... Je te mettraisbien mon poing dans la gueule, mon pauvre Frocht, mais t'irais encore te prendreau sérieux...

En rade sur la piste, à pinces

BERNARD BLIER : Troisième service !... Dis donc, qu'est-ce que t'as fait d'tontas d'ferraille ?
LINO VENTURA : Si on te l'demande, hein !
BERNARD BLIER : Éh ben, mon vieux, y z'ont pas beau jeu avec toi, les camions!... Tu l'as enfoncé, tu l'as embourbé, pis voilà maintenantqu'tu l'as paumé !... On peut dire qu't'es un cas !
LINO VENTURA : Meeerde !!!
BERNARD BLIER : Et pis aimable, avec ça !


DES PISSENLITS PAR LA RACINE - GEORGES LAUTNER (1963)



Dans un troquet

MAURICE BIRAUD : À vous entendre, la môme Rocky, ça serait Blanchede Castille, les diamants d'la couronne ou le lingot d'or surfin ! Éh ben,pour moi, c'est rien qu'un bourrin comme les autres !
GIANNI MUSSY : Forcément, tu causes sans connaître.
MAURICE BIRAUD : Ah-ah-ah-ah-ah-ah ! Sans connaître, qu'y dit ! Ah-ah ! T'asparlé qu'de ça pendant deux ans, ch'connais l'parcours mieux qu'toi!... Les châsses de Madame, les cannes de Madame, les noix d'Madame... Ch'tedis pas qu'on s'désintéresse, moi, ch'uis curieux d'la vie, mais çafinit par lasser...

Toujours au bistrot, mais avec son âme-damnée

MAURICE BIRAUD : Dans le domaine du turf, jeune homme, y'a deux façons d'croquer.La magie ou le hasard.... J'explique. Favori sur faux ticket ou tocard sur vrai tickson...À moi, la magie m'a coûté deux ans d'placard... C'est pourquoi,aujourd'hui, j'aime mieux un mauvais cheval qu'un bon juge d'instruction !

Conseil de guerre au salon

MAURICE BIRAUD : On a perdu une bataille, hein ! On n'a pas perdu la guerre !...Alors Jacques, on l'oublie, on n'a pas l'temps d'attendre qu'y récupère...Alors, toi qu'a d'l'oreille, faut apprendre la musique.
MIREILLE DARC : La musique ? Y'a dix ans qu'j'la connais ! Je sais...
MAURICE BIRAUD : Ah, dis donc, éh ! Mollo-mollo-mollo, hein, bon !... PomChips, Jacques le Minable et Jérôme le Râcleux, y sont partisensemble. C'est pas Pom Chips qui va nous dire où !... Jacques, y parle àcôté... Alors reste le p'tit Mozart... Bon. Alors, moi, ch'fournis lasono et toi, t'ensorcelles le soliste... Mais alors, attention, hein ! Pas d'agaceries,pas d'bagatelle, hein ! Du travail sérieux !... D'ailleurs, ch't'ai étudiéesur un parcours et j'dis tu tiens la grande forme... T'as la science du train. Tudérapes pas, t'as l'rush !... Alors faut me l'confesser à l'arraché!

Débriefing, toujours au salon

MAURICE BIRAUD : Éh ben, c'est tout ?
MIREILLE DARC : C'est tout.
MAURICE BIRAUD : Et y t'a fallu un tour de cadran pour apprendre ça ?!...À c'train-là, on va s'faire repasser notre carbure !... Ah, j'la subodore,la valse-là, hein ! J'la vois venir, la malédiction ! Dis donc, toi,c'est pas l'moment d'dormir, hein !... Une visite des lieux s'impose, mais pour ça,y faudrait un motif.
MIREILLE DARC : T'as qu'à venir avec moi.
MAURICE BIRAUD : Et où ça ?
MIREILLE DARC : Y m'a invitée à sa répétition.
MAURICE BIRAUD : Aaah, tu sais qu't'es un crack. Un vrai cador, une intelligence-phare!
UN SBIRE : Moi, j'veux pas y aller ! Les maisons où y'a des morts, çaporte malheur !
MAURICE BIRAUD : Des malheurs, y peut nous en arriver qu'un ! Nous faire engourdirnotre paquet d'oseille !... Ah, moi, pour deux cents briques, hein, ch'fais du campingà la morgue ! Ah, parole !

Au guichet du PMU

MAURICE BIRAUD : Flush Royale !... Quatre-cent-vingt-et-un !... Neuf à laponte !... Belote !... Rebelote !... Et fanny !
L'EMPLOYE : Ça veut dire ?
MAURICE BIRAUD : Ça veut dire “ envoyez l'oseille ” et fissa ! Les riches,ça attend pas, ça fait des colères !
L'EMPLOYE : Ben, quoi ? Qu'est-ce que vous voulez ?
MAURICE BIRAUD : Éh ben, c'est écrit dessus !
L'EMPLOYE : Le Onze, le Cinq, le Deux ?... La dernière fois qu'on les a vu,y barbotaient dans la rivière des tribunes !

Au guichet du PMU, juste après

L'EMPLOYE : Un million sept cent quatre-vingt mille francs... Par le Sept, le Neuf,le Dix-huit... C'était drôlement difficile à trouver !
MICHEL SERRAULT : Dans le domaine du cheval, mon ami, depuis Reichhoffen, la fortunene sourit plus aux audacieux, c'est connu !... Le Tiercé exige une certainecompétence, soit, mais d'abord, et surtout, de propres qualités humaines...Honnêteté foncière, mœurs spartiates, esprit d'entreprise, mais...de la musique avant toute chose... Et peut-être aussi un peu de chance, maissi peu... Et n'oubliez jamais qu'il n'est pas nécessaire de vaincre pour persévérer...Mes amitiés autour de vous, mon cher, et à lundi prochain.

Dans sa turne

MAURICE BIRAUD : Y'a les vents contraires, la dégoulinante infernale, le poteaunoir, la scoumoune !... Mais y'a ceux qui s'effondrent et ceux qui réagissent....Et c'est pas seulement une question d'choux, mais c'est une affaire de tour de main...Et l'Jo, il l'a gardée sa paluche miracle... Sa pogne en Zéphyr...Le Rubens de la taille douce, le Léonard du composteur... Et quand j'vaisles palper, mes deux cents briques, qui c'est qui, là-haut, va l'avoir dansl'baba ?... C'est c'fumier d'Pom Chips !


CARAMBOLAGES - MARCEL BLUWAL (1963)



Dans le bureau du promu

SOPHIE DAUMIER : Ça m'fait tout drôle d'être là avec toi.Tu sais c'que ça prouve ?
JEAN-CLAUDE BRIALY : Non.
SOPHIE DAUMIER : Ben ça prouve que contrairement au crime, le travail paie...

Aux plumes

SOPHIE DAUMIER : Et puis voici mon cœur qui ne bat que pour toi... et puis tu m'asdit que tu étais las des poupées sans cervelle et que ce que tu aimaisen moi, c'était mon intelligence... et puis tu m'as emmenée àl'hôtel... C'était la première fois.
JEAN-CLAUDE BRIALY : Hein !?
SOPHIE DAUMIER : La première fois qu'on m'aimait pour mon intelligence...

Dans le bureau de Paul Martin

MICHEL SERRAULT : Trente ans d'bagne !... Et peut-être même quarantesi vous tenez l'coup !... Le mariage, mon cher, c'est le Biribi des amours !... Moi,ça fait vingt ans que j'déguste... J'me suis marié en quarante-deuxparce que ça donnait droit à un costume pure laine et une paire dechaussures en cuir. Voilà où ça mène, l'élégance...

Dans le nouveau bureau de Paul Martin

MICHEL SERRAULT : Bon, ben c'est pas tout ça mais va falloir qu'on cause unpeu tous les deux, hum ?... (À Solange...) J'ai pas dit tous les trois !!!Allez raus !!!... (Elle ripe fissa...) Dans l'bureau de votre patron, on a retrouvédes lettres anonymes... tapées à la machine... avec Baudu, c'est commesi c'était signé, c'est les Assises, le panier d'sciure...

Dans le bureau de Solange

MICHEL SERRAULT : J'enquête, j'ai tous les droits... Z'avez d'la chance, çan'a pas été tapé ici... Pour peu qu'ça rigole, c'étaitla réclusion à perpèt' !... Mais la complicité peut allerchercher vingt ans...

Dans le bureau des dactylos

MICHEL SERRAULT : Certains d'mes collègues travaillent en férocité,moi, j'ai des manières... Organdi, talons rouges, le menuet, iiihooohaaahiii-laaaliiilaaa,mais j'ai pas l'habitude de m'laisser charrier par des saucisses !!!

Dans le bureau de Paul Martin

MICHEL SERRAULT : Cher Monsieur Martin, vous qui êtes intelligent, voyez unpeu ça. La lettre “ c ” a un p'tit défaut, regardez le mot “ cocu ”...Ça tombe bien. Il aurait écrit “ salaud ” ou “ vendu ”, j'aurais pasd'indice... (Toc-toc-toc)... Was ist das ?!!

Dans le nouveau bureau de Paul Martin

MICHEL SERRAULT : Quand il s'agit de faire tomber une tête, rien n'est prématuré.Ce qui prouve la solidité d'la peine de mort, ce sont les erreurs auxquelleselle a survécu...

Dans un burlingue

MICHEL SERRAULT : C'est limpide... Daleyrac envoit la lettre anonyme, son patronla reçoit, il est désespéré, il se jette par la fenêtre,et vlan !!!... Le drame de l'homme sensible... J'en aurais fait autant...
SON ADJOINT : Pardon d'être outrecuidant, Chef. Je m'avance peut-être,mais... si par hasard, c'était quelqu'un d'autre qui avait tapé surla machine de M'sieur Daleyrac ?
MICHEL SERRAULT : Adjoint Levey, vous n'êtes pas outrecuidant, vous êtescon comme un Adjoint... Notez bien qu'c'est normal. Si vous étiez une lumière,vous n'seriez pas Adjoint, vous seriez Inspecteur...

Conclusion de la démonstration

MICHEL SERRAULT : Vous pensiez qu'l'enquête serait faite par un imbécile,manque de chance, c'est tombé sur moi...

Dans le nouveau bureau de Paul Martin

MICHEL SERRAULT : Assassin ! Assassin ! Assassin !... Je tiens l'assassin. C'n'estpas un accident, c'est un crime. J'ai l'analyse du labo. La médaille a parlé,elle a tout avoué !... Dès lors, tout est limpide... comme une sourcecoulant parmi les edelweiss... Les empreintes sur l'objet, l'objet sur le lieu ducrime... On en a raccourci pour moins qu'ça...
SOPHIE DAUMIER : Ooon... On va raccourcir qui, M'sieur l'Inspecteur ?
MICHEL SERRAULT : Beaumanoir, voyons, c'est lumineux ! Les lettres anonymes de l'horribleDaleyrac préviennent l'imbécile mari que l'affreux Beaumanoir a desrelations coupables avec l'abominable Madame Charolais... Se voyant découvertpendant la fête, l'affreux tue l'imbécile, seulement attention... Àc'moment-là, Baudu arrive, lui... déductionne, conclut, arrêteet crac... le coup'ret tombe... Qu'est-ce que vous dites de ça, jeunes gens? C'est-y d'la bonne police ?
JEAN-CLAUDE BRIALY : Monsieur de Beaumanoir a avoué ?
MICHEL SERRAULT : Ah, ben ça, c'est la meilleure !... On refuserait d'avouerà Baudu ? On ferait des ennuis à ce brave Baudu ? On forcerait Bauduà sortir ses outils ?... Ben, Baudu les sortira... Tous, tous, tous... Jawohl,Doktor Kranz !!! Faites marcher l'chauffe-bain !... Quand j'aurais fini de l'pomponner,de l'bichonner... y'aura plus d'Beaumanoir, jeune homme... Y'aura p'us qu'une bêtegluante, le monstre idéal, le coupable estampillé Baudu... Il auraassassiné tout l'bottin, buté la terre entière... Abel, Marc-Antoine,le Duc d'Enghien et le regretté Président Doumer... Toute la lyre...Je lui offrirai alors une cigarette... que je lui allumerai moi-même... Bauduest comme ça. Jugulaire-jugulaire... mais donnant-donnant... Je vais l'cravaterd'ce pas...

Dans l'ultime bureau de Paul Martin

MICHEL SERRAULT : Fripouille !!!... Petite fripouille ! J'vous y prends, hein !?On fume déjà les cigares du patron... J'vous ai fait peur ?
JEAN-CLAUDE BRIALY : Je n'savais qu'vous étiez là.
MICHEL SERRAULT : Ah, “ Je suis partout ”. C't un jeu d'mots, et remarquable... Tenez,offrez-moi un cigare.
JEAN-CLAUDE BRIALY : Ne touchez pas à ça !... N'ouvrez pas ça!... Non-non-non !
MICHEL SERRAULT : Vous n'êtes pas donnant, dites donc, vous. La dernièrefois qu'j'ai fumé un Havane, c'était dans un bunker, quand on m'a nomméPréfet d'Police le dernier jour. Les voyous à Leclerc étaientà une portée d'Moser !... (Explosion...)

Au balcon truqué

MICHEL SERRAULT : Tenez ! On vient l'chercher... Venez ! Venez, ça vaut lapeine... Ouuuh, il est superbe !... Il écume, il bave de la mousse verte !Mais venez ! Mais c'est grandiose !... Ça fume, ça pétarade! C'est juin quarante ! C'est Dunkerque !... Et un folingue, un ! Aaaaah ! (Chutedu balcon...)


LES BARBOUZES - GEORGES LAUTNER (1964)




À la réception de l'hôtel

LINO VENTURA : “ Si la pluie continue, les fraisiers seront en retard... ”
PHILIPPE CASTELLI : “ ... Mais les grenouilles seront en avance... ”

Dans le bouic funeste

LA TAULIERE : Oh, Monsieur Lagneau ! Vous n'avez pas connu les soirées dutemps d'Son Excellence !
LINO VENTURA : Croyez bien qu'je l'regrette !
LA TAULIERE : C'était pas du tout c'que vous pensez !
LINO VENTURA : Ah, ben, écoutez, Madame Pauline, faut quand même voirles choses en face !... La Chambre des Glaces, le Boudoir Chinois, les fillettesau salon, euh... dans ma jeunesse, ça s'appelait un boxon !...
LA TAULIERE : Oh, bien sûr ! Si vous jouez sur les mots !... On leur fait direc'qu'on veut, aux mots !... Pour Monsieur Bénard Shah, ma maison, c'étaitplutôt un décor... Une façon de voir qu'on n'a pas vieilli, qu'onreste... fixé dans une époque... Y pensait pas tellement galipette!... Mais plutôt... tradition !

Dans la piaule mortuaire du clandé

LINO VENTURA : Ma parole ?... Mais c'est le beau Rudolph... Le fidèle cornac...La perle des gens d'maison !
ANDRE WEBER : Vous me connaissez ?
LINO VENTURA : Tu vois, c'est ça, la gloire !... Mauvaise journée,hein... Le temps s'brouille...
ANDRE WEBER : Oui. J'ai beaucoup d'peine.
LINO VENTURA : Non, non. Ch'parle pas du point d'vue affectif, mais... du point d'vuepénal... Ch'pense à tes dix ans d'trav' par contumace.
ANDRE WEBER : Je croyais que Son Excellence...
LINO VENTURA : Son Excellence avait l'bras long, oui... Son Excellence avait obtenuune amnésie courtoise des fichiers, mais... Son Excellence est cannée!

Dans un petite auberge, en chemin

UNE SERVEUSE : Monsieur déjeune ?
LINO VENTURA : Ben, il en est question, oui. Qu'est-ce que vous avez ?
UNE SERVEUSE : Aujourd'hui, nous avons le plat d'côtes ou les paupiettes oule civet d'lapin...
LINO VENTURA : Aaah, ben, vous allez m'mettre des paupiettes en ouverture et un platd'côtes... Non, non ! Attendez... Mettez-moi d'abord un civet à la placedes paupiettes... Et puis mon plat d'côtes après, quoi... Et pis...glissez-moi une petite paupiette avec, hein ?...
NOËL ROQUEVERT : Vous prendrez bien un p'tit dessert ?
LINO VENTURA : Ouais... Vous avez des tartelettes ?
UNE SERVEUSE : Oui.
LINO VENTURA : Éh ben, tout d'suite après l'fromage, j'y goûteraibien volontiers... Pis, alors, après, ben, une p'tite bricole... C'que vousavez, quoi... Une crème renversée ou une p'tite glace, hum... Allez,mon petit, allez...

Dans un salon du Château

BERNARD BLIER : J'étais en oraison lorsque j'apprends l'affreuse nouvelle...Je bondis... Je vole... J'accours pour vous soutenir, Madame, dans la douloureuseépreuve que Dieu vous envoie... J'étais le confesseur, enfin, mieuxencore, le confident de votre admirable époux...
LINO VENTURA : Comment, mais ?... Le cher cousin s'était converti ?... Depuisquand ?
BERNARD BLIER : J'ai eu l'immense joie de ramener cette âme au Seigneur...Mais d'où vient, Monsieur, votre surprise ? Vous étiez un ami ?...Intime, peut-être ?

Dans la chambre de la veillée funèbre

FRANCIS BLANCHE : Ah ! L'odeurr du goudrron sur les quais d'Odessa !... Le vent dularrge dans les cheveux de ce pauvrre cherr Constantin !...
MIREILLE DARC : Mais ? Je croyais qu'il était né à Téhéran?
FRANCIS BLANCHE : Et alorrs ?... On chante aussi bien à Téhérranqu'à Odessa, non ?
LINO VENTURA : Oui, mais l'vent du large souffle un peu moins fort, c'est àdeux cents bornes de la mer !
FRANCIS BLANCHE : Hum... Notion bourrgeoise des distances !...

Au pied de l'escalier, à la sortie des condoléances

FRANCIS BLANCHE : Ah ! Souffrrance ! Moment pénible !
BERNARD BLIER : Mais qu'il est réconfortant de voir le courage de celle quia perdu l'être cher.
LINO VENTURA : C'est ça !... Mais moi, ch'peux vous dire que si l'moujik continueà délirer, la môme va nous prendre pour des loufs !... Et c'estpas la peine que ch'faufile dans l'Bossuet pour venir me casser la baraque !
BERNARD BLIER : La coexistence ne peut, en effet, s'concevoir qu'entre gens du mêmemonde.
LINO VENTURA : Elle peut également ne pas se concevoir du tout !

Au p'tit déj', en terrasse

BERNARD BLIER : Pourquoi ne pas poursuivre cette idée de trêve évoquéeun peu sommairement hier soir, et qui rendrait ce séjour harmonieux.
FRANCIS BLANCHE : Et le jourr venu ? Qui averrtira Borris qu'elle est rompue, latrrêve ?
LINO VENTURA : Mais monsieur l'Abbé lui-même... En t'filant une grenadedans la tronche !
CHARLES MILLOT : Ou en glizzant un zcorpion dans mon lit !
BERNARD BLIER : Oh, n'exagérons pas... On en réchappe...
CHARLES MILLOT : Pas touchours !... Léonid Botchakov, à Lima, et LiliSchmürtz, à Barzelone, y zont reztés !...
BERNARD BLIER : M'accuserait-on ?
LINO VENTURA : Mais non ! Qu'est-ce que vous allez chercher-là ?... N'empêcheque dans certaines de nos écoles, le coup du scorpion est désignéaux futurs agents sous le nom du “ Coup du Chanoine ” !...
BERNARD BLIER : Et le coup du dynamitage du Boeing ?... Avec cent quatorze activistesbélouchistanais à bord ? Est-c'qu'y porte un nom ?!...
LINO VENTURA : Jamais entendu parlé d'ça.
BERNARD BLIER : Et la liquidation du réseau Koenigsmark ?... Quarante personnesdans du mazout en flamme !... C'est rien !... M'enfin faut l'faire !... Vous m'répondrezqu'sur ces quarante personnes...
FRANCIS BLANCHE : Je ne vous rrépondrrais rrien du tout ! Je ne vous parrleplus !

Sur le plumard d'Amarante

MIREILLE DARC : Vous avez l'air soucieux.
LINO VENTURA : Ben, y'a d'quoi oui !... Y faut dire qu'ça fait jamais plaisir.
MIREILLE DARC : Qu'est-ce que j'vous ai fait ?
LINO VENTURA : Oh, vous, rien, mais... c'est tous ces autres-là... Le Ricain,les Chinois, toutes ces fatalités... Vous allez finir par me prendre pourun brutal !
MIREILLE DARC : Oooh...
LINO VENTURA : Mais si, mais si !
MIREILLE DARC : Pourquoi dites-vous ça ?
LINO VENTURA : Mais parce que ch'connais la vie, Amarante !... On juge facilementles gens sur les apparences... Voilà... Tenez... Si j'vous disais déjàqu'à treize ans, j'me suis fait virer du Lycée Jeanson d'Sailly pourun malheureux coup d'poing dans la gueule ! J'défendais un p'tit et quand-t-y...
MIREILLE DARC : Tt-tt-tt... Francis...
LINO VENTURA : Ah, parce que j'ai p't-êt' jamais pris d'coup d'poing dans lagueule !
MIREILLE DARC : Si !... Sûrement, même !... Mais pas à Jeansond'Sailly... Francis... Qui êtes vous au juste ?
BERNARD BLIER : (À l'écoute dans sa chambre, avec Boris...) Un fumieret une ordure !
FRANCIS BLANCHE : Un cafarrd abject ! Un sycophante vérreux !
LINO VENTURA : Ah, si tu savais c'que ça m'gène de t'mentir tout l'tempscomme ça...
MIREILLE DARC : Boh-boh-boh...
LINO VENTURA : Bon, ben, t'as raison, j'ai jamais été à Jeansond'Sailly, là !... Toi, par contre, dis donc, t'à-l'heure, tu m'parlaisd'l'“ Ange Rouge ”... Éh ben, tu sais où j'les ai faites, mes humanités,moi ?... Au “ Colyséum ”...
MIREILLE DARC : J'ai connu !... On y allait l'dimanche après-midi avec Lucienne...À cette époque, j'm'appelais Antoinette et Rosalène s'appelaitLucienne... C'était l'début du Cha-cha...
LINO VENTURA : Le Cha-cha !... Éh ben, ch'te plains !
MIREILLE DARC : Mais pourquoi ?
LINO VENTURA : Ben, parce que t'es née trop tard... Qu'est-ce que t'as connu?... Des contorsionnistes ?... Des voltigeurs ?... T'as jamais connu les vrais câlins!... Ah, nous, on donnait pas dans l'tropical, mais... on faisait tout çadans l'suave, “ Saint-Louis Blues ”, tango chinois...
MIREILLE DARC : Oui-oui... Emballage et hôtel tout confort !... Éh ben,figure-toi, nous, c'était pas l'genre... On y allait pour danser... Et mêmedes fois, p'utôt qu'de s'faire raccompagner, on rentrait à pince jusqu'àla Contrescarpe.
LINO VENTURA : Où ça, t'as dit ?
MIREILLE DARC : La Contrescarpe.
LINO VENTURA : Tu sais où ch'uis né, moi ?... Rue Mouffetard !
MIREILLE DARC : Oh, c'est pas vrai !
LINO VENTURA : Si !
BERNARD BLIER : Gnâââh !... Moi, ch'faisais des pâtésau Luxembourg ! Moi, au Parc Montsouris !... Y vont quand même pas remonterau biberon, non !!!
MIREILLE DARC : Dis !... Maintenant qu'on n'se ment plus, tu veux bien que ch'tepose une question ?...
LINO VENTURA : Ben, oui !
MIREILLE DARC : Est-ce que tu es marié ?
LINO VENTURA : Mais bien sûr que non, allons, voyons !... Mais dans mon métier,mon p'tit lapin, c'est pas possible... Quand c'est pas l'bateau, c'est l'avion...Toujours les valises... Un jour à Bornéo... Un jour à Shanghai...Un baiser d'Russie... Un banco à Bangkok... Une mission par-ci...
MIREILLE DARC : Une fille par-là...

P'tit déj' en canfouine

FRANCIS BLANCHE : Cherr Hans, pourrquoi vous trranspirrez ainsi ?
CHARLES MILLOT : Parze que che pense !... Che m'interroche... Ozera-t-il deszendre?
BERNARD BLIER : Qui ?... Sardanapale ?... Je l'vois plutôt hébété,vautré sur sa litière, ensuqué par le stupre... Ah, y n'f'rasurface qu'avec le couché du soleil, façon... oiseau de nuit...
FRANCIS BLANCHE : Je ne comprrends pas la petite colombe ! Pourrtant, j'étaislà !
BERNARD BLIER : Dites-moi, Rudolph, et les croissants ?
ANDRE WEBER : Pour avoir des croissants, faut aller au village !... Et j'ai pluspersonne...
CHARLES MILLOT : Les domeztiques ?... Kouic ?... Tous ?
FRANCIS BLANCHE : Les pauvres gens...
LINO VENTURA : Bonjour, messieurs !
CHARLES MILLOT : Tiens ! Notre fénérable konfrère !
FRANCIS BLANCHE : Dans le simple apparreil d'une beauté qu'on vient d'arrracherau sommeil...
BERNARD BLIER : Rassurez-nous vite, mon cher Francis... J'espère que notrecharmante hôtesse n'a pas été trop perturbée par les événementsd'cet'nuit ? Je m'permets cette question parce que je pense que... vous l'avez vueaprès nous...
FRANCIS BLANCHE : Que dit-elle de tout ça ?
LINO VENTURA : Elle dit “ Caltez, volaille ” !!!

Pique-nique à la campagne

MIREILLE DARC : Avoue tout d'même que ch'uis la Reine des Pommes !
LINO VENTURA : Mais non, mais non... Bon, alors, écoute. Voilà l'emploidu temps. Dans dix minutes, on est à l'aéroport... Dans une demi-heure,décollage... Et dans trois heures, on est à Lisbonne... Demain matin,à dix heures, tu fonces à ta banque et tu retires les papiers du coffre...À onze heures quarante, décollage... Quatorze heures, Orly... Quinzeheures, Matignon... Mes respects, Monsieur l'Ministre... Et on s'débarrassedes fafiots !... Tu vois ? Y'a qu'à pousser...
MIREILLE DARC : À l'œil ?
LINO VENTURA : Oui ! Là !... M'enfin, écoute. C'est tout d'mêmecurieux, chez toi, cette mystique de la monnaie !... Enfin, quoi !
MIREILLE DARC : Admettons qu'je fasse un don. Ch'uis folle. Bon... Mais y n'y'a p't-êt'pas une telle urgence !...
LINO VENTURA : Mais si !... Tant qu'tu possèdes ces brevets, c'est le Rifgaranti !...
MIREILLE DARC : Aaah ?
LINO VENTURA : Ben, t'en as déjà eu un p'tit aperçu, non ?...Imagine-toi qu'ça pourrait recommencer !... Les micros sous l'lit, les tueursdans l'placard, la dynamite dans la soupe !...
MIREILLE DARC : Mais si ch'uis avec toi ?
LINO VENTURA : Mais-c'est-pa-reil !... Tiens ! Si ch'flinguais les trois clowns quetu connais, comme ça, histoire d'aérer... Éh ben, dèsl'lendemain, y'en aurait trois autres en piste !...

LES BONS VIVANTS - GILLESGRANGIER & GEORGES LAUTNER (1965)




Dépression au clandé

DOMINIQUE DAVRAY : Dis pas d'bêtises, Charles... Tu cafardes, tu neurasthénises...Tu ferais mieux d'avaler une bricole.
BERNARD BLIER : Ch'uis noué !
DOMINIQUE DAVRAY : Fais pas l'enfant, ch't'ai fait battre un lait d'poule !
BERNARD BLIER : C'est gentil d'ta part, Gravosse, mais ça passerait pas...Y'a des jours où on sait même pas l'goût qu'pourraient avoir leschoses !... On voudrait s'dissoudre... Plus penser... C'est le drame de l'homme,ça !... Pas pouvoir s'arrêter d'penser...

Dans une piaule du garni

BERNARD BLIER : Ah-la-la, mon pauvre toubib, vous vous donnez bien du mal pour rien,allez... Ça va pas durer longtemps, la bonne santé... Le hasard dela rencontre avec n'importe qui, n'importe où, n'importe comment... Ah, çava être la fête aux gonos !... L'Hôpital Saint-Louis en étatd'siège !...
HENRI VIRLOJEUX : Ah, vous vous faites des illusions, va. On verra jamais tout ça...Avec leurs sulfamides et leurs antibiotiques, il est vaincu, l'péril !...Maintenant, on guérit tout dans un mois... Alors, le spécialiste, danstout ça, qu'est-ce qu'il devient, hein, vous voulez m'le dire ?
BERNARD BLIER : Alors-là, vous noircissez le tableau parce que du malade,y'en aura toujours...
HENRI VIRLOJEUX : Du malade, du malade, du malade... Qu'est-c'ça veut dire,ça, du malade ?!... Vous m'voyez, moi, après vingt ans d'médecinegalante, aller soigner les coqueluches des mômes ?!

Dans le salon principal du claque

BERNARD BLIER : Oh, ben, dis donc ! C'est pas mon jour !... Le toubib m'a regardél'blanc d'l'œil... Il a eu l'traczir !... J'ai la maladie des chefs d'entreprises! Y m'ordonne l'arrêt complet...
DOMINIQUE DAVRAY : Ben, d'toute façon, qu'on ferme sur décret ou surordonnance... Ah-ah-ah-ah !
BERNARD BLIER : J'admire la gaieté d'madame !!!
DOMINIQUE DAVRAY : Oh, te vexe pas, Gros. C'est pas avec ta santé que ch'plaisante.C'est avec les rêveries des cavettes... Tu sais pas la dernière ?...Tu sais pas c'que Solange et Mauricette m'ont annoncé ?...
BERNARD BLIER : Ah, m'pose pas d'devinettes c'matin, j'arrive pas à émerger!
DOMINIQUE DAVRAY : Ben, ces dames s'exportent ! Elles visent la carrière américaine...
BERNARD BLIER : Bravo, mes mignonnes... Vous avez du cœur... Et on peut savoir quelleAmérique vous risquez ?
SOLANGE : Du Sud, Monsieur Charles !
BERNARD BLIER : Alors-là, j'dirais même que vous avez d'la santé!
DOMINIQUE DAVRAY : Elles marchent au mirage du peso ! Du bolivar, du cruzeiro etdu cordoba !
BERNARD BLIER : J'dis pas qu'c'est pas des monnaies agréables à changer! Mais avant, faut les faire venir !... Et si vous parler pas l'espingo ou le portugais,j'vous vois pas gagnantes !
MAURICETTE : On fait une heure d'“ Assimil ” tous les soirs...
BERNARD BLIER : D'“ Assimil ”...
DOMINIQUE DAVRAY : Oooh !... Mais c'est pas dans l'“ Assimil ” que t'apprendras àreconnaître un va-nu-pieds d'un client !... Là-bas, y s'ressemblentà s'y tromper ! Tu peux, facile, virer un planteur et faire bon accueil àun désespérado !
SOLANGE : C'est vrai, Madame Blanche ?
DOMINIQUE DAVRAY : Bah ! Raconte-leur, toi, Charles ! Le voyage dans l'entrepont...
BERNARD BLIER : Aaah...
DOMINIQUE DAVRAY : Sur le bananier...
BERNARD BLIER : Oh-la-la...
DOMINIQUE DAVRAY : Notre arrivée dans la plus belle baie du monde...
BERNARD BLIER : J'avais acheté à Madame Blanche deux robes, PassageBrady... Pis pour moi, un costard de chez Alba...
DOMINIQUE DAVRAY : T'avais des lattes pointues en chevreau... De chez Bammy... L'croco,c'est venu plus tard...
BERNARD BLIER : Ouais... Ben, mes pompes toutes neuves... J'les avais à peineposées sur le quai que j'avais plus d'montre !

Au zinc du boxon

DOMINIQUE DAVRAY : Oooh... Oh, t'as l'air secoué, Grand... Et ta nénettesi sensible ? Comment est-ce qu'elle prend la chose ?
FRANCK VILLARD : Oooh !... J'ai du la mettre en clinique !... Nervous breakdown...
BERNARD BLIER : Alors t'as lourdé tout seul !
FRANCK VILLARD : Seul !... Comme un paria !... Comme un lépreux !... J'aitraversé la ville en charrette... Personne me saluait plus... Des clientsd'vingt ans !... Des notables... Des gens qu'j'avais obligé... Qui tournaientl'dos en reconnaissant ma voiture !... Un record d'ingratitude !...
BERNARD BLIER : T'entends c'qu'y dit, dis !? T'entends !?
FRANCK VILLARD : Alors j'ai préféré prendre la route... J'airemonté la Vallée du Rhône... Partout des ruines, Charles...T'entends ?... Partout... Riton d'Alès ! Le Grand Louis d'Valence ! MadameAimée ! Oooh... Une personne qui tient à Auxerre depuis quinze ans!... Tous à la rue ! Les Cadillac sous pression ! Le chemin d'l'exil ! C'estla Grande Peur, Charles !... L'An Mil !... Comme dans les bouquins d'l'École!... Ben, heureusement qu'y'en a qui tiennent le coup !... Et c'sont eux qui m'envoient.Ceux qui se rebiffent !
BERNARD BLIER : Sans indiscrétion, qui se rebiffent contre quoi ?!
FRANCK VILLARD : Contre la loi inique !... Contre les menées scélérates!... Hier soir, à Lyon, on a fondé notre Comité d'Résistance.
BERNARD BLIER : Dis, c'est pas vrai ! Tu charries !
FRANCK VILLARD : Trente-sept tauliers !... La fine fleur de la profession étaitprésente... Et un plan a été adopté à l'unanimité!
BERNARD BLIER : Mais un plan d'quoi ! Tu m'étourdis !!!
FRANCK VILLARD : Mais un plan d'action ! Suis un peu c'que j'dis !... Trois millepensionnaires montent déjà sur Paris !... Pour le défiléde revendication... De la porte Saint-Martin à la Madeleine... et j'aime mieuxt'dire qu'ça va faire du pétard !
BERNARD BLIER : À la Préfecture sûrement !...
FRANCK VILLARD : Charles...
BERNARD BLIER : Oui.
FRANCK VILLARD : Le Comité a pensé à toi comme le plus capable.
BERNARD BLIER : Capable de quoi ?
FRANCK VILLARD : De grouper les gagneuses parisiennes !... Tu devrais pouvoir enamener mille, on estime... Quatre mille manifestants, qu'ça nous ferait !...Dis, tu vois un peu ? Le lendemain ? Dans tous les canards ?
BERNARD BLIER : Tu parles, si j'vois. J'vois même mon nom en gros caractères!... Dis, tu trouves pas qu'on a assez d'emmerdements comme ça, non ?!
FRANCK VILLARD : Ah, ben, alors-là, Gros, ch'te comprends p'us !... T'es pourtantrenommé pour avoir du choux !
BERNARD BLIER : Bon. Ben, justement, j'vais t'dire c'que j'en pense, moi, de votreComité !... Vous, les hommes, vous allez descendre tout droit au placard !Y'a d'la place ! Y'a même des Présidents tout proches !
FRANCK VILLARD : Oooh, tu crois, Gros ?
BERNARD BLIER : Affiché !
FRANCK VILLARD : Alors ? Faut... faut s'dissoudre ?
BERNARD BLIER : Et rapido !... Avant les mandats pour menées subversives !
FRANCK VILLARD : Oooh... Et la Ligue des Droits de l'Homme ? Dans un cas comme ça? Elle pourrait rien ?
BERNARD BLIER : Oh, dis donc, Marcel. Tais-toi, tiens, tu m'fatigues !...
DOMINIQUE DAVRAY : Moi aussi, j'vais t'donné un conseil, Grand... Dis àtes confrères qu'y lâchent pas su'l'bitume leurs trois mille grognasses!... Parce que y'a des futés qui vont monter à l'œil !... Hum... Lesjeunots d'aujourd'hui, c'est pas la morale qui les étouffe, hein...
BERNARD BLIER : Allons, te laisse pas abattre !... On s'en sortira... On trouverabien une autre défense, quoi... L'important, c'est d'tenir...
FRANCK VILLARD : Ben, pour tenir, faut pouvoir !
BERNARD BLIER : Oh, dis donc, éh ! Ça fait dix ans qu'tu tournes àToulon... Tu vas pas m'dire que t'es raide, non !
FRANCK VILLARD : Éh ben, si, Charles !... Parce qu'à moi, y m'ont faitl'maximum !... Maintenant, y lourdent les taules, mais avant, y z'avaient rouvertles tripots !... Comme si c'était plus moral !... Total, avec mon goûtpour le carton, éh ben, ch'uis sur les jantes ! Tondu à blanc !
DOMINIQUE DAVRAY : Malgré ta Bérézina, t'as p't-êt' pasperdu ton bel appétit ?... J'ai dressé un buffet... Y'a du caviar etdu saumon fumé... Et même un lait d'poule, si l'cœur t'en dit...

En pâmoison devant une croûte

UNE PENSIONNAIRE : Y ressemble à mon père !... Et celui-là àmon grand-père !... Oh, dites, monsieur Charles, çui-là y ressembleà mon père !
BERNARD BLIER : Oooh, et l'zouave, y ressemble pas à ta sœur, non ?!!... Ah,celle-là, alors !... Les images, les poupées... Elle suce pas son pouce,des fois, non ?...

Dans un petit salon de la casbah

FRANCK VILLARD : Quand une patrie vous traite comme elle nous traite, éh ben,y'a pas à insister... Y'a pas à s'attarder, ni à espérerdes jours meilleurs... Faut aller s'défendre hors des frontières...
UNE PENSIONNAIRE : Vous z'avez p't-êt' raison, M'sieur Marcel.
FRANCK VILLARD : Y'a pas d'peut-être !... C'est une certitude !... Hum... Tahiti.Tu connais ?... Hum... Les palmiers... Le lagon... Tra-ou-la-ou-la... Ah, dis donc,mais une mignonne comme toi, là-bas, mais c'est la ruine du micheton !...Et attention !... Quand j'dis micheton, faut s'entendre !... Rien qu'de l'atomisteet du haut fonctionnaire !... Tiens, un pronostic... On s'barre tous les deux, hum...T'amènes Clara, ta pote, puisque t'as l'air de pas pouvoir t'en séparer...Éh ben, dans deux piges, t'es taulière et elle sous-maq' !... C'estpas un programme chatoyant ? Hein ?
BERNARD BLIER : Tu l'entends rouler !
FRANCK VILLARD : Les Tuhamotu !...Ça vaut pas la Rue Godot, comme avenir ?
DOMINIQUE DAVRAY : Comment est-ce que tu l'appelles, ton bled féerique, Marcel?... Répète un peu, pour voir ?... Si c'est aussi chouette que tu l'dis,j'devrais p't-êt' reprendre du service !
FRANCK VILLARD : Oh, excuse, Gravosse... Je m'faisais du sous-titre... Allez, pardonnez-moi,les gosses... Je... j'extrapolais dans la fiction rose... J'me prolongeais...

Dans le hall du chabanais

BERNARD BLIER : Ben, messieurs, tout ça, c'est du passé ! De l'imagerieancienne !... La joie n'est p'us d'ce monde !... La maison est fermée, etj'doute que vous en trouviez une d'ouverte !
JACQUES LEGRAS : Ah, mais alors ?... À quoi ça va servir, maintenant,le Salon de l'Auto ?
BERNARD BLIER : Ben, faudra l'faire à Abidjan !... Ou à Hong Kong !...Parce que c'est là-bas qu'le touriste ira porter ses devises, maintenant !...Et encore, ch'parle du connaisseur !... De l'homme de goût !... Parce que levacancier style “ plein air ”, le genre romano, alors-là, on facilite, hein!... On flatte tous ses vices !... La pêche sous-marine, les châteauxd'sable, Honolulu à La Varennes, toutes les conneries, quoi !... Au pays d'Descartes!... J'vous laisse juge !...

À la barre du Tribunal

BERNARD BLIER : J'aurais pas du venir... J'm'engourais qu'on allait encore évoquerdes tristesses... Ben, la lanterne d'accord, j'l'ai donnée à Lucette...J'm'excuse, M'sieur l'Président, j'veux dire à Madame la Baronne...Et ça, je l'regrette pas parce que personne la méritait plus qu'elle!... Mais... Vous décrire les circonstances, M'sieur l'Président, ça,c'est... c'est revivre tout l'calvaire...
L'ASSESSEUR : Il était dans la résistance ?
PIERRE BERTIN : Alors ?!...
BERNARD BLIER : Vingt-cinq années d'labeur, M'sieur l'Président !...De jour, comme de nuit !... Entre quatre murs, comme à la trappe !... Toujourssur la brèche... Et l'œil à tout !... L'espérance d'une vieillessetranquille... Et puis, tout d'un coup... Le trait de plume !... Le décretscélérat qui abolit la propriété !... Et une fois àla rue, qu'est-ce qu'y devient le pauvre homme, hein ?... Une proie !... Tous lescannibales qui lui secouent son carbure... Ah, entre les chacals de la Bourse, lesvautours de l'immobilier et les requins du placement industriel, c'est le grand régal!... Elles ont beau spiel, les éconocroques ! Vous voyez d'ici l'carnage,M'sieur l'Président !... L'homme à terre, piétiné, qu'onachève... Et encore... L'homme est taillé pour la lutte... Mais lapauvre femme !... Hein ?... La pauvre femme !... La mienne, c'est bien simple, elles'est mise à s'momifier, M'sieur le Président !... À s'momifier! Jour après jour... Un chagrin pire qu'un cancer...
UNE EX-PENSIONNAIRE : Madame se meurt ?
BERNARD BLIER : Madame est morte !
TOUTES : Oooooh !
PIERRE BERTIN : Ils ont de la culture...
BERNARD BLIER : Tenez ! Madame est morte !... Vous qui l'avez connue les filles,vous pouvez dire si c'était pas une méritante !... Y m'l'ont butée,ma P'tite Reine...

Cuisiné par le baveux

DARRY COWL : Labergerie...
BERNARD BLIER : Monsieur Labergerie !... C'est pas moi qui suis dans l'box, c'estvotre client !
DARRY COWL : Monsieur Labergerie, pouvez-vous nous dire en quelle circonstance vousavez connu la plaignante et surtout, étant donné l'admiration que vouslui portez et que vous avez exprimée tout à l'heure avec beaucoup despontanéité, quelle a été la nature exacte de vos...euh... relations ?... Ah-ah-ah !... Y chancelle...
BERNARD BLIER : Je peux lui répondre ?
PIERRE BERTIN : Mais... je ne saurais trop vous le recommander !
BERNARD BLIER : J'ai toujours, Maître, préconisé l'respect etexigé les bonnes façons, ah... Alors, j'avertis !... Vous bonnissezencore une seule médisance sur une dame et moi, j'vous fait une têteà la décarrade ! Et vous allez comprendre que Charles-l'Élégant,faut encore se l'farcir !

Témoignage de Madame la Baronne, la plaignante

ANDREA PARISY : Ch'peux pas l'reconnaître, j'l'ai jamais vu !
PIERRE BERTIN : Comment, comment, comment ?!... Vous appelez en témoignageun personnage que vous ne connaissez pas ?
ANDREA PARISY : Holà, pardon !... M'sieur Marcel, il a une réputation! C'est l'homme de légende !...
PIERRE BERTIN : Ah, oui ? Vraiment ?
ANDREA PARISY : Sa maison d'Toulon, “ Le Grand Huit ”, vous n'avez pas connu ?
PIERRE BERTIN : Ah, non. Je regrette. C'était bien ?
ANDREA PARISY : Exemplaire !... Mobilier de style... Avec souvent la piècerare... C'est simple, on v'nait visiter son salon du bout du monde, m'sieur l'Président! D'Australie ! D'Nouvelle-Zélande !... Même de Reims, où y z'avaientpourtant l'“ Palais Oriental ” !
BERNARD BLIER : Un joyau, monsieur l'Président !... Avec un parc àla française, un théâtre de verdure... Une copie Trianon, quoi...

Tentative d'interpellation sur le trottoir

LOUIS DE FUNES : Vous n'avez même pas pu rentrer dans la Douane !... Mêmepas dans la Douane ! Ça c'est une performance !... Alors, Mademoiselle estavec moi ! Ça suffit ! Allez !
ALBERT REMY : Bon, ben, j'm'excuse, Monsieur Haudepin... Bonne nuit, ha-ha !
LOUIS DE FUNES : Qu'est-ce que ?... Mais qu'est-ce que ça veut dire ce “ bonnenuit ” ?... Venez ici vous ! Venez ici !... Passeriez-vous du discourtois au salace?
ALBERT REMY : Au sale quoi ?

Cosette au dessert, dans la salle à manger de Haudepin

MIREILLE DARC : Papa buvait... Maman buvait... Y s'tabassaient terrible... La maisonétait un enfer, vous n'pouvez pas savoir c'que c'est...
LOUIS DE FUNES : J'ai lu Zola...
MIREILLE DARC : En quarante-trois, Papa a été fusillé par lesAllemands...
LOUIS DE FUNES : Aaah...
MIREILLE DARC : Il avait déserté d'la L.V.F....
LOUIS DE FUNES : Ah, oui, c'est...
MIREILLE DARC : En quarante-cinq, Maman a été tondue et jetéeen prison... Je m'suis retrouvée seule pour élever mes trois p'titsfrères... J'avais douze ans et j'ai commencé à connaîtreles hommes...
LOUIS DE FUNES : Oh-la-la-la-la-la-la...
MIREILLE DARC : Je n'sais pas si votre Monsieur Zola parle de ça...
LOUIS DE FUNES : Lui, peu. Mais alors, Eugène Sue, énormément...Non, c'est... Non, mais, ça fait rien, continuez...
MIREILLE DARC : Une aventure malheureuse... Un grand amour déçu...La poupée qu'on jette... Puis la pente fatale... La noce, quoi... J'ai unpeu improvisé jusqu'au jour où j'ai rencontré Marcelo... Ah,lui, c'était un perfectionniste, y m'a fait faire mes classes... Le “ PalaisOriental ” à Brest, le “ Panier Fleuri ” à Toulon, le Topol d'abord,puis la Madeleine... Si j'avais la santé, à l'heure qu'il est, ch'raisp't-êt' aux Champs-Élysées !... Mais un soir qu'il neigeait etqu'ch'faisais des grâces devant la Brasserie Weber...
LOUIS DE FUNES : Oui, attendez... Un jeune homme est sorti... Il vous a glisséune boule de neige dans l'dos... Et vous avez attrapé une fluxion de poitrine...
MIREILLE DARC : Comment vous l'savez ?
LOUIS DE FUNES : Victor Hugo !


LA METAMORPHOSE DES CLOPORTES - PIERRE GRANIER-DEFERRE(1965)



Dans la planque de Gertrude

FRANÇOISE ROSAY : Je récapitule. Les deux bouteilles garnies, le détendeuret vingt mètres de tuyaux pour trois cents tickets... Moyennant quoi, je garantietrois heures de boulot à trois mille degrés.
GEORGES GERET : Tu récapitules, tu garanties, t'es un peu chouette !... Primo,un homme de ma classe n'a jamais eu besoin d'trois heures pour déboucler uncoffiot ! Deuxio, vu le monstre auquel je m'attaque, trois mille degrés, c'està peine tiède !... Ah, je n'te cache pas qu'j'espérais trouver,chez toi, autre chose que d'la quincaille !
FRANÇOISE ROSAY : T'espérais quoi ?!... Arsène Lupin en douzevolumes ?!... Le Rayon Vert ?!... La baguette magique ?!
GEORGES GERET : Le nouveau bec à azote gazifié...
FRANÇOISE ROSAY : ... C'est p't-êt' de ça, qu'monsieur veut causer!
GEORGES GERET : Oh, merde !
FRANÇOISE ROSAY : Heureuse de t'l'entendre dire !... Mais ça, c'estpas l'outil d'n'importe qui pour le prix d'n'importe quoi !... Ça, c'est unebrique !... Et sans l'carburant !
GEORGES GERET : Oh, merde, alors !
FRANÇOISE ROSAY : Tu t'répètes un peu !
GEORGES GERET : Comprends-moi bien, Gertrude... Si j'avais débuté dansla vie avec du matériel pareil, Onassis et moi, on causerait d'puissance àpuissance !... Malheureusement, j'débute pas ! Ch'rais même plutôtsur le point d'raccrocher...
FRANÇOISE ROSAY : C'est drôle, j'm'étais laissée direque c'était fait... Qu't'avais tourné hareng, qu'tu vivais des dames...Ça va pas comme tu veux ?
GEORGES GERET : Disons qu'je fais un tour d'honneur !
FRANÇOISE ROSAY : Qu'est-ce que c'est, ta folerie ?
GEORGES GERET : Un Winter-Winter cinquante trois !
FRANÇOISE ROSAY : Tu crains pas d'viser un peu haut ?
GEORGES GERET : Un Winter-Winter bourré à craquer ! Et des branquestellement confiants qu'y z'ont supprimé l'système d'alarme !
FRANÇOISE ROSAY : Ho-ho... D'la provocation !... Mais achtung, môme!... Le Winter-Winter, c'est du spécial !... Molybdène et titane !...L'alliage infernal !... La diablerie !

À la case d'Alphonse

LINO VENTURA : Écoute, Edmond, ch't'aime bien, mais quand tu t'imagines quel'Rouquemoute va débrider un Winter-Winter, alors-là, permets-moi d'tedire que tu déconnes à gros bouillons !... Ton môme Arthur, ch'préfèremême pas en parler, ça m'foutrait d'l'urticaire !
CHARLES AZNAVOUR : Ch'te dis qu'le coup est catalogué !... V'là desmois qu'on l'mijote ! Y'a p'us qu'à pousser !
LINO VENTURA : C'est ça !... Éh ben, poussez sans moi !... Dis donc,maintenant qu'c'est oublié, tu peux m'le dire... Ça s'jouait sur combien,votre singerie ?

Traversant la rue, gambergeant

LINO VENTURA : Seulement avec le Rouquemoute à la barre et l'Arthur commeserre-frein, les cents briques, on est pas prêt d'les voir !

De retour à son bocal, gambergeant toujours

LINO VENTURA : D'un autre côté, faut voir les choses... Dès qu'onaime le confort, c'est fou c'que l'oseille peut filer vite... Le tailleur, le loyer,les brèmes... On est entouré d'voleurs !... Et ch'compte pas les dames...Si ch'continue à les enjamber au Claridge et à les goinfrer chez Lasserre...

Devant une croûte, dans la guitoune d'Alphonse

LINO VENTURA : Ah, y'm'plaisait !... Oh, puis la bavouille, faudrait pas vendre...Avec la dégoulinante boursière, les forces frappeuses et la furie congolaise,ça prend d'la valeur tous les jours...
CHARLES AZNAVOUR : Tu vas en tirer combien, tu crois ?
LINO VENTURA : Oh, trois-quat' briques, il en vaut dix... Tonton donne toujours lamoitié, mais comme ch'uis pressé, ben, y donnera l'tiers.
CHARLES AZNAVOUR : Tu veux qu'j'aille lui parler dans l'nez, à c'pédoque?
LINO VENTURA : Ah, non, toi, tu vas rester ici !... Tonton, c'est un timide et lesnouvelles têtes, ça... ça l'noue !

À la crèche d'Arthur

LINO VENTURA : C'est pourtant vrai qu't'as évolué !... T'es devenuintrépide... Moi aussi, j'ai changé...
MAURICE BIRAUD : Éh ben, ça s'remarque pas !
LINO VENTURA : Ch'uis d'venu irrascible !...
(Mornifle...)
... J'ai dérouillé d'quatre briques et morflé d'cinq ans dansvos farces et attrapes !

Dans le gourbi du Rouquemoute

PIERRE BRASSEUR : Y réclame des comptes, ce salaud !... Mais pas devant l'jugede paix !... Moi, j'm'en tire avec un peu d'monnaie, enfin, des miettes, mais toi,s'y t'entreprend, t'auras plus qu'à rembiner avec Léone ou vendre deslacets dans la rue...
GEORGES GERET : Oui. Ben, dis pas des choses comme ça. Depuis qu'j'ai un peud'pognon, faudrait m'payer pour faire le mac !


QUAND PASSENT LES FAISANS - ÉDOUARD MOLINARO (1965)



Au clapier de Hyacinthe

CLAIRE MAURIER : Éh, heureusement qu'Monsieur Barnard est passé...Tu m'avais laissée sans un sou... Tu lui dois soixante mille francs...
BERNARD BLIER : Ah, oui ? Et d'quoi ?
CLAIRE MAURIER : Ça...
BERNARD BLIER : Qu'est-ce que c'est ?
CLAIRE MAURIER : Ben, c'est notre luminaire...
BERNARD BLIER : Ça, un luminaire ? Et une lanterne de fiacre, qu'est-ce quec'est, pauvre andouille !?!!!
DANIEL CECCALDI : Camus ?
BERNARD BLIER : Mais qu'est-ce que vous voulez, ch'peux pas supporter la bétise,c'est plus fort que moi, ça m'révulse... Que t'envisages d'accrocherça dans notre gentilhommière, c'est déjà joli ! Maisl'plus beau, c'est qu'tu laisses escroquer Monsieur l'Directeur !!! Là, tupeux êt' fière !!!...
DANIEL CECCALDI : Ah, pas d'confusion, mon ami. C'est vous qui êtes z'escroqué.
BERNARD BLIER : Parce que vous croyez qu'ça arrange les choses !?!... Et peut-onsavoir qui a livré ça ? Qui a osé ?
CLAIRE MAURIER : Un p'tit bonhomme... à l'air triste... tu as du le croiser...
BERNARD BLIER : Oh, nom de Dieu, l'voyou... Oh, j'me disais bien qu'l'avais déjàvu... Ah, l'escarpe...

Dans le hall du claque de Baudu

BERNARD BLIER : Et vous avez des enfants !...
JEAN LEFEBVRE : Vous n'le saviez pas ?!... Vous n'savez p't-êt' pas qu'lesenfants de voleur mangent comme les autres ?!... Plutôt plus...
BERNARD BLIER : Vous n'allez pas m'dire que vos p'tits boulimiques ont bouffépour soixante mille balles depuis hier, non !?!!
JEAN LEFEBVRE : Non.
BERNARD BLIER : Ah, bon !
JEAN LEFEBVRE : Mais... j'ai réglé les fournitures scolaires, les loyersen retard... et l'boucher. J'ai même pas eu assez pour payer l'gaz...
BERNARD BLIER : Vous êtes vraiment le rongeur malfaisant, le termite de démonstration!!!

Dans le salon de Baudu

JEAN LEFEBVRE : J'ai p't-êt' un p'tit planning à vous proposer... Latête et les jambes !... C'est ça, ma formule... Moi, ch'uis un vraipur-sang, un race(u)r ! Oh, de là, ch'uis un peu faiblard. Mais, bien drivé,ch'connaitrais pas mes limites, hein !... À nous deux, M'sieur Hyacinthe,on ravagerait l'épargne...
BERNARD BLIER : Baudu, vous m'faites peur...
JEAN LEFEBVRE : On ravagerait l'épargne !
BERNARD BLIER : Vous m'faites toucher du doigt une vérité bien déprimante.La poursuite du crime ne paye pas. V'là vingt ans que j'végète.Mais ça va changer ! Je romps les amarres ! Je brise les chaînes ! Ha...Les honnêtes gens ont prouvé leur ingratitude, tant pis pour eux...Ils ont libéré le Génie du Mal. Une intelligence au servicedu crime... Y vont la sentir passée !!!

Conclusion du conseil de guerre Hyacinthe - Arsène

BERNARD BLIER : Arsène !!! Arsène !... Le signe que j'attendais, lefeu vert, les forces occultes sont avec nous... Ça va faire mal... Chèrepetite Madame, si vous voulez me confier la masse de manœuvre, c'est du mille contreun affiché !

Dans le bureau

BERNARD BLIER : Oui, mais alors... quoi vendre ?
PAUL MEURISSE : Éééh, voilà... Il y a seulement cinqminutes, je vous aurais dit du terrain mais... voyez-vous, un homme d'expériencene devrait jamais s'égarer dans le concret. Il est cent fois plus facile demorceler le cosmos à l'usage des claustrophobes que vendre du terrain àBarbizon... L'abstrait, messieurs ! L'abstrait reste l'âme des affaires. Jen'ai vendu que ça pendant vingt ans. Un palmarès de légende,des références... inattaquables... Mis à part le Traitéd'Versailles, toute l'encyclopédie de la fiction marloupine sort d'ici !...Les mines de Phoscao d'Oubangui, le parking géant des Galapagos, le métrode la Cordillière des Andes, toute la lyre, quoi !
BERNARD BLIER : Évidemment à côté d'ça, nos p'titesbreloques...
PAUL MEURISSE : Mmmh, cette médaille est un porte-bonheur, messieurs, puisqu'ellevous a mené jusqu'à moi. Car avec moi, messieurs, vous allez apprendrele métier !
(Barouf dans le burlingue de la secrétaire...)
UN DES PIGEONS : (À travers la lourde...) Ça suffit, hein ! annoncez-nousà votre patron ! Le voyou est là, nous l'savons !...
PAUL MEURISSE : Mmmh, je vais vous faire accéder aux spéculations supérieures,aux envoûtements aurifères, à la poésie des chiffres...Bagages !...
UN AUTRE PIGEON : (Toujours du bureau de la frangine...) Ouvrez, ça va vouscoûtez très cher ! Qu'est-ce que vous attendez ? Qu'on enfonce la porte?!
JEAN LEFEBVRE : Vous pourriez p't-êt' les calmer ?
BERNARD BLIER : Je sais pas, leur dire un p'tit mot gentil ?
PAUL MEURISSE : Non. Je préfère vous donner votre première leçon...Dans les Bérézina, pas de bassesse, pas de compromis... Le mépris...

Au grelot

PAUL MEURISSE : Biedermann, vous êtes mon Vergennes ! Mon Talleyrand ! Noustouchons z'au but. Nous vivons z'un moment d'Histoire. Les Soviets tiennent les promessesdes Tsars !

Dans la gare désaffectée

CLAIRE MAURIER : C'matin encore, tu m'as dit “ tout baigne dans l'huile ”...
BERNARD BLIER : Aaaaah, beeen, éh, c'est... c'est d'la dialectique !... Çaveut dire qu'en principe... c'est dans la fouille... M'enfin y peut toujours y'avoirune gourette en final... Et ça... tous les experts te l'diront...

Sur les marches du Palais de la rouleuse

PAUL MEURISSE : Petits misérables...
JEAN LEFEBVRE : Y va tout d'même pas nous engueuler... Y va pas oser, non ?!
PAUL MEURISSE : Vous avez raison, pourquoi m'indignerais-je ?... Tout c'làest fatal... Un homme de ma qualité ne s'acoquine pas impunément avecdes... claquedents... J'ai voulu vous hisser vers la grandeur, vous m'avez entraînerdans votre cloaque. Je n'vous en veux pas, les hommes sont ce qu'ils sont... Pointd'amertume... Adieu. Je vais z'essayer de vous oublier.
JEAN LEFEBVRE : Nous, on aura du mal.
BERNARD BLIER : Mais des empaquetés comme vous, ça court pas les rues!!!
PAUL MEURISSE : L'injure ! Pfffff... Y n'manquait plus qu'ça... Merci, messieurs...
BERNARD BLIER : Ah, non ! Un peu court, jeune homme ! Des explications !
JEAN LEFEBVRE : Oui ! Milady était soi-disant tordue d'votre tronche. Folled'amour ! On croyait qu'vous l'aviez à votre pogne !
PAUL MEURISSE : Je l'croyais aussi... Alors-là, voyez-vous, messieurs, c'estle fatum, l'impondérable, la sorcière aux dents vertes... Hummm...Dans la vie, quand l'injustice s'abat sur un homme...


UN IDIOT A PARIS - SERGE KORBER (1966)



Au bistrot

MICHELINE LUCCIONI : Ah, La Fleur, tu m'convulses !... Tu penses quand mêmepas à quitter l'métier ! Une courageuse comme toi ! Que ch'cite enexemple tout l'temps !
DANY CAREL : C'est l'métier qui nous fait la paire, ma pauvre Lucienne !...Dévoré tout rond par la télé !...
MICHELINE LUCCIONI : Elle fait tant d'tort que ça, tu crois, la télé?
DANY CAREL : Du tort ?... Mais l'homme de maintenant, dès qu'y sort d'sonbureau, c'est pour foncer devant son poste !... Pis tout l'intéresse, ce con!... Tiens, pendant l'Tournoi des Cinq Nations-là, comme y z'appellent...tu vois encore un client, l'samedi soir, dans la rue ?... Pis quand c'est pas l'rugby,c'est l'vélo !... Quand c'est pas l'vélo, c'est Longchamp !... Ah,non, hein, l'micheton d'aujourd'hui, c'est p'us avec nous autres qu'y s'envoie enl'air, c'est avec Couderc, Chapatte et Zitrone !...

Meeting des Forts-des-Halles

BERNARD BLIER : Monsieur Graffouillères, vous êtes z'un meneur !...Une grève-surprise ? Bravo... Trente tonnes de barbaque sur le carreau alorsqu'on crève de faim à Chandernagor ? Hourra... Monsieur Graffouillères,vous êtes z'un meneur et vos p'tits camarades des inconscients !... Vous semblezoublier, en effet, mes amis, que vous n'êtes que des salariés, c'est-à-direles êtres les plus vulnérables du monde capitaliste !... Des chômeursen puissance !... Le chômage... Hum !... Le chômage et son cortègede misères... Y avez-vous pensé ?... Finie, la p'tite auto... Finies,les vacances au Crotoy... Fini, l'Tiercé... C'est pourquoi, mes amis, si vousavez des revendications d'salaire à formuler, vous m'adressez une note écriteet j'la fous au panier et on n'en parle plus, nous sommes bien d'accord ?

Dans le burlinguede Dessertine

BERNARD BLIER : Tu vois, je suis parti de rien... Aujourd'hui, on m'appelle l'Empereurde la Viande... On m'craint et on a raison... Tu peux pas savoir c'que j'leur enfais baver... J'les mène au knout... Tous... Parce que tu comprends, y'a nous,les P'tits d'l'Assistance, pis y'a les autres, les inutiles, les surnuméraires...Entre eux et nous, pas d'quartier, c'est la Guerre Sainte... Faudra qu'ças'termine dans un bain d'sang...

En conclusion

BERNARD BLIER : Allez, va, mon P'tit... Et n'oublie pas, hein... Si tu es dans l'ennui,tu reviens aux Halles et tu m'demandes... Parce que moi, les tourmenteurs d'Anciens,j'les étrille, j'les tisonne, j'les émascule... J'leur réduisla tête...

Dans le tacos

ANDRE POUSSE : Ça commence bien, les fous sont lâchés !... J'vaisvous dire un truc, moi ! Si j'étais les Poulets... Les vioques, les infirmes,tous les mecs nases... À la poubelle !... Enfin, p'us d'permis, quoi !...Et çui-là, il est pas beau ?!... Deutschland, ça m'étonnepas... Je vais vous dire autre chose... C'qui congestionne, c'est l'surplace... Lemec qui roule vite, même si y repasse un connard de temps en temps, c'est pasgrave... Ça dégage... T'avance, toi, pédé !... Nederland,ça m'étonne pas... C'est pas un crime de voir ça ?... Et l'autre-là...À quoi qu'y pense... Affole-toi, éh, Viande-à-Pneu ! Peigne-moumoute!... Voyez-vous, Monsieur, dès qu'on prend le volant, on est entouréque d'saloperies...

Au Commissariat de Police :

BERNARD BLIER : Cet individu s'appelle Monsieur Goubi !... C't un garçon remarquable!... Les Blousons Noirs prolifèrent, les assassins pullulent, Paris devientla capitale du crime, mais qui emprisonne-t-on ? Les Assistés !... Vous !Un ancien Chasseur-Alpin ! Un ancien Diable Bleu !... J'vous chasse de ma mémoire,Monsieur Pingeon...

Au troquet avec Lucienne

DANY CAREL : Alors, écoute-moi bien... Après cinquante piges, c'estla chute en piqué... Et dans notre boulot, hein, y'a pas d'Maison d'Retraite...Tu les as déjà vues, les grand-mères de l'amour, accrocher lesclodos à la Place Maubert ?... Et après... Après... Ben, après,y'a l'hôpital, les P'tites Sœurs des Pauvres... et la boîte àdominos...

De retour chez Dessertine

BERNARD BLIER : Si ch'comprends bien, tu viens me demander l'autorisation d'épouserLa Fleur... Juliette... Excuse-moi... Tu m'aurais annoncé une vierge estampillée,une rosière de compétition, je t'aurais dit “ Goubi, attention ! ”...Mais là, connaissant l'sujet, je te dis “ Mon fils, marie-toi. ”... Découragéespar la vie chère... et dévalorisées par la pilule, la vertuet la fidélité ne se rencontrent plus que chez les transfuges du trottoir!... Ces femmes-là n'ambitionnent plus qu'une seule position sociale, ayantépuisé toutes les autres !... Marie-toi, tu n'seras jamais cocu !...

Conclusion

BERNARD BLIER : La Maison, Goubi, souviens-toi qu'il n'y'en a qu'une ! L'A.P. !...J'ai eu deux garçons... J'les ai mis tout bébés à l'AssistancePublique... C'est l'meilleur collège de France ! Notre Oxford ! Notre Harvard!... J'les ai récupérés à dix-huit ans, admirablementformés pour les luttes de la vie... Maintenant, c'est tout l'portrait d'leurpère, cent pour cent cannibale !... Ah, quel dommage que ta future ne soitpas d'chez nous... C'est la seule fausse note...

Digression de Patouilloux, le Maire du bled

ROBERT DALBAN : Je suis ancien combattant, militant socialiste et bistrot... C'estdire si, dans ma vie, j'en ai entendu, des conneries !


NE NOUS FACHONS PAS - GEORGES LAUTNER (1966)



Dans une pharmacie

SERGE SAUVION : Il n'en est pas moins vrai, Monsieur Beretto, que c'est la troisièmefois cette année... et la dernière, j'espère... que vous êtespoursuivi pour coups et blessures !
LINO VENTURA : À qui la faute, M'sieur l'Commissaire ? Hein ?!... Moi, j'roulaistranquillement, doucement, à ma droite... Et c'est monsieur qui brûleun stop et qui m'emplâtre !... Bon. Je souligne poliment l'infraction... Jesouris... Quand cet espèce de possédé commence à m'direun tas d'gros mots qu'j'ose même pas vous répéter, M'sieur l'Commissaire!... Bon, euh... j'ai p't-êt' eu tort de le tirer par la cravate à l'intérieurde ma décapotable... mais c'est tout, M'sieur l'Commissaire !
SERGE SAUVION : Et c'est ainsi que vous lui avez fendu le cuir chevelu et ouvertl'arcade sourcilière.
LINO VENTURA : Ah, ça, oui... J'avais changé de voiture et... j'aioublié qu'elle était pas décapotable... Voilà.
SERGE SAUVION : Voilà... Et, dites-moi, les deux autres ?... Les témoins?
LINO VENTURA : Mais y m'ont traité d'brute, M'sieur l'Commissaire !

Dans la boutique d'Antoine

LINO VENTURA : Y'a cinq ans, quand j'ai décroché, ch'croyais qu'onavait passé des accords !... J'devais p'us revoir personne !...
ANDRE POUSSE : On a les poulets dans les reins, Tonio !
LINO VENTURA : Pas Tonio ! Antoine !... Maintenant, on m'appelle Antoine !... Oubien M'sieur Beretto !
ANDRE POUSSE : Tu crois qu'ça change quelque chose au problème desPoulets ?
MICK BESSON : Faut qu'on s'trisse, Antoine... Et plutôt vite !
LINO VENTURA : On peut s'planquer à Gènes... Là-bas, on a desamis... Mais faut y aller !... Et sans faux-papiers, on a peu d'chance... Avec lemandat qu'on a aux miches, pas question d'passer la frontière ! Ou alors àcoups de flingues !... Et on s'en ressent pas !...
MICK BESSON : La Brigade Anti-Gangs, c'est pas des charlots !... Y tirent àvue... Des jeunots exaltés... Des sanguinaires...

Dans le burlingue de l'estanco

LINO VENTURA : Tu va sortir le “ Palermo ” et faire le plein. Tu emmènes cesdeux messieurs à Porto Fino.
UN EMPLOYE : J'les ramène quand ?
LINO VENTURA : Jamais !... Gisèle !... Saute dans la Fiat et file àla banque, tu vas m'tirer un chèque de quatre millions su'l'compte-société...
LA COMPTABLE : Qui c'est, ces types ?
LINO VENTURA : Des représentants...
LA COMPTABLE : En quoi ?
LINO VENTURA : En souvenirs !

De retour dans l'entrée

ANDRE POUSSE : Tu sais, Antoine, on voudrait pas t'berlurer. C'pognon-là,on pourra p't-êt' jamais t'le rendre !
LINO VENTURA : Sans blague ?
ANDRE POUSSE : Mais on a une créance à Cagnes !... Une certain Michalon...Un p'tit repasseur... Un malfaisant... Y nous a repassé de quatre briques...Un gagnant à quarante contre un qu'il a oublié d'nous cigler...
LINO VENTURA : Vous vieillissez les gars !
MICK BESSON : Tu penses bien qu'on s'est pointé ! “ Turf Hôtel ” àCagnes !... Il avait déménagé... À Cagnes, y'a cent cinquantehôtels... À Nice, six cents !... Alors, vu qu'on est un peu pressé...
LINO VENTURA : Tandis que moi, j'ai l'temps !... Hum !
ANDRE POUSSE : C'est drôle comme t'es devenu... À t'entendre, on croiraitqu't'as jamais eu la Poulaille au train !
LINO VENTURA : Oui, vous avez raison... Après-demain, ch'pars à Monacopour affaires... Éh ben, au retour, j'm'arrêterai à Cagnes...Comment y s'appelle, votre fléau-là ?

Au bar du caboulot de Jeff

LINO VENTURA : Avoue quand même qu'on est des cas, non !... Vivre sur le cavependant plus d'quinze piges et virer bannière d'un seul coup !... Enfin !...Ah, pour c'qui est d'm'agrandir, t'affole pas, hein... C'est pas encore fait... J'vaisaller voir le gars d'Monaco et puis, ben... on verra bien !... D'toute façon,ch'rais d'retour pour l'heure de la graine.
MICHEL CONSTANTIN : Qu'est-ce que ch'te prépare ?
LINO VENTURA : Què'qu'chose de gentil... Sur ta terrasse, tiens... Avec tesp'tites loupiotes...
MICHEL CONSTANTIN : Ah, j'vois ! Tu seras deux !
LINO VENTURA : Oui.
MICHEL CONSTANTIN : Toujours ta fausse blonde ?... Éh, tu deviens routinier!
LINO VENTURA : Pourquoi ?... Elle est pas mignonne, Vicky ?... Toujours bien sapée...Bonne pince... Ch'téléphone, elle radine !... T'en connais beaucoupdes frangines comme ça, toi ?
MICHEL CONSTANTIN : Qui rabattent sur un coup d'téléphone ?... Ch'connaisqu'ça !... À l'œil, évidemment, c'est autre chose... Tchin !
LINO VENTURA : À la tienne !
MICHEL CONSTANTIN : Tu l'veux pour quelle heure, ton p'tit tête-à-tête?
LINO VENTURA : J'ui ai dit vers dix heures.
MICHEL CONSTANTIN : Bien, monsieur... Les homards seront là... L'Champ' seraau frais... J'espère que tu nous fera pas un p'tit scandale comme l'autrefois !
LINO VENTURA : Quel scandale ?... Ch'uis pas l'client autoritaire, moi ! Quand c'estbon, j'dis jamais rien !
MICHEL CONSTANTIN : Oui, mais... avec toi... c'est jamais bon !
LINO VENTURA : Ah, ça !... Ah, dis donc... Toi qu'es du coin et qui connaistout... Tu peux pas m'refiler l'adresse d'un... Léonard Michalon ?
MICHEL CONSTANTIN : Y t'dois d'l'oseille ?
LINO VENTURA : Mais qu'est-ce qui t'fait dire ça ?
MICHEL CONSTANTIN : Il en doit à tout l'monde !... C'est l'Belphégordes Hippodromes, le Léonard !... V'là des années qu'y prenddu quarante contre un et qu'il étouffe la mise !

De retour au bistroquet pour la croque

MICHEL CONSTANTIN : Ah... On s'est occupé d'toi... On sait où il habite,ton p'tit turfiste... “ Pension Regency ”, une pouillerie au-dessus d'l'autoroute.
LINO VENTURA : Tu crois pas qu'j'ai l'temps d'y faire un saut maintenant ?
MICHEL CONSTANTIN : C'est pas qu't'as pas l'temps, c'est qu'tu vas t'dérangerpour rien !...
LINO VENTURA : Ah, parce que quatre briques, t'appelles ça rien, toi !...Éh ben !
MICHEL CONSTANTIN : T'aurais poussé quatre briques sur un gaille ? Toi ?
LINO VENTURA : Mais non... Pas moi... Des copains... Enfin, des amis à moi,quoi...
MICHEL CONSTANTIN : Oh, ben, dis-leur de p'us y penser !... Michalon, il a jamaisremboursé un raide à personne, c'est pas pour, tout d'un coup, s'affolerd'quatre briques !... J'vais t'dire autre chose, moi... Quand on a c'pognon-là,on crèche pas à la “ Pension Regency ” !... Enfin, si t'as décidéd'y aller, hein, vas-y !... Tiens. Prends ça.
(Il lui refile un flingue...)
LINO VENTURA : Non, mais, Jeff, ça va pas, dis ?!... Hein !... Mêmeles tirs forains, j'les évite !... Le dimanche, euch'fais un peu d'tir àl'arc et encore, crois-moi, c'est la limite, hein...
MICHEL CONSTANTIN : Ch'plaisante pas, Tonio... Michalon est un trembleur, une crêpe,un lavedu, comme tous les books... mais c'est un repasseur... Ch'connais la race,tu sais... On en a vu jouer les héros à l'idée d'rendre unethune !

Dans la Gordini

MICHEL CONSTANTIN : Cette question !... On les appelle les British parce qu'y sontbritish, c'est tout, quoi !... Y sont une douzaine de mecs... On sait pas c'qu'ymaquillent... Y z'ont loué une villa au Cap d'Antibes... Çui qu'a l'airdu taulier est venu becqueter deux-trois fois... Ses p'tits boy-friends l'appelait“ Colonel ”, genre... “ homme-du-monde ”... Mais en fait d'monde, ch'crois plutôtqu'y serait du notre !... J'veux dire l'ancien, quoi...
LINO VENTURA : L'ancien, l'ancien !... J'viens d'mettre un mec en l'air !... Maintenant,nous v'là en croque-morts !... Tu permets !... Y'aurait quand même commede la relance sur la gelée d'coing, non ?!... Mais aussi, s'tu m'avais pasfilé un flingue !!!
MICHEL CONSTANTIN : Éh ben, tu serais mort...
LINO VENTURA : Oui, t'as raison... En cinq ans, pas un mouvement d'humeur !... Pasune colère !... Même pas un mot plus haut qu'l'autre !... Et d'un seulcoup, crac !... La fausse note... La mouche dans l'lait... Ah, ch'te jure qu'çam'a secoué, hein !...

Conciliabule dans le salon de la gargote

LINO VENTURA : Non, écoutez, Colonel, vous allez rire... Hum-hum-hum... Enfin,j'veux dire, euh... vous allez comprendre... Votre petit jeune homme rentre par lafenêtre d'un seul coup ! Comme ça ! Avec son joujou dans les mains !...Ben, mettez-vous à ma place !... Éh ben, c'était lui ou moi,non !?... Ajoutez à ça la mauvaise humeur... Parce qu'attention, Colonel,hein, ch'uis pas meilleur qu'un autre, ça... j'vous l'accorde...
TOMMY DUGGAN : Effet de surprise... Instinct de conservation... Vous avez les statistiquespour vous... Je m'incline...
MICHEL CONSTANTIN : Éh ben, tu vois ! Dès qu'on parle plus àdes primaires... Tout devient lumineux...
JEAN LEFEBVRE : Et alors !!!... Est-ce que ça va finir ?!... Hein ?... Maisc'est Yalta qui recommence !... Vous arrangez vos bidons ! Vous épluchez vossalades !... Et les miennes ?... On dirait qu'elles n'existent pas, les miennes !...C'est pourtant moi qu'on voulait buter, non ?
TOMMY DUGGAN : On veut toujours.
JEAN LEFEBVRE : ... Quoi ?
TOMMY DUGGAN : C'est nécessaire.
LINO VENTURA : Colonel, euh... vous tirerez Monsieur tant qu'vous voudrez, mais pasavant seize mois... Ch'uis navré, mais M'sieur Michalon me doit d'l'argent...Et nous avons des paiements échelonnés...
MICHEL CONSTANTIN : Tu peux p't-êt' rapprocher les échéances!
JEAN LEFEBVRE : Mieux qu'ça !... J'rembourse d'un coup, pis on m'tue toutde suite !...
LINO VENTURA : Dis donc, c'est nouveau, ça !... Alors, comme ça, tupourrais casquer en une fois !
JEAN LEFEBVRE : Assassin !
LINO VENTURA : J'espère qu'le mot dépasse ta pensée, Léonard!... D'un autre côté... Faut bien dire que de l'flinguer comme ça,d'sang-froid... Sans être tout à fait d'l'assassinat, y'aurait quandmême comme un cousinage !... À moins !... J'dis bien à moinsqu'il ait fait des choses... Là...

Après le départ du Colonel

LINO VENTURA : Dis-moi, Léonard !... C'est quand même curieux, mais...on jurerait qu'y t'en veux !... Tu y'as fait quelque chose ?
JEAN LEFEBVRE : Mais j'en sais rien !... Il est fou !... Et c'est lui qu'vous croyez,bien sûr !... Moi, on n'me croit jamais, alors... J'ai toujours tort !... Moi,c't Anglais malade... j'l'ai jamais vu nulle part !... Jamais...
LINO VENTURA : Et mes deux potes que t'as repassé ? Tu les as jamais vus nonplus !?!
JEAN LEFEBVRE : Ah, ça !... Pour mon malheur... Au pesage à Cagnes...Oui, j'ai eu la faiblesse de leur donner un tuyau... Faudrait jamais s'occuper d'personne!... Jamais !... Seulement aujourd'hui, ma maman serait à Nanterre et ma p'titesœur en maison... Et à côté d'ça, Maman a son mandat tousles soirs et à ma p'tite sœur, j'y ai pris un commerce en Savoie... Àcause de ses bronches... Et j'vous parle pas d'mon frangin !
LINO VENTURA : C'est ça ! Parle pas d'ton frangin, ça vaut mieux, hein!
JEAN LEFEBVRE : Et pourtant, il existe, mon frangin !!!... Même qu'il a unemalformation... trois opérations en deux ans... Et qui est-ce qui casque ?!...C'est Léonard ! Léonard !... Maintenant c'pauvre Léonard, ilest entouré d'bandits !... On s'tue chez lui... On l'précipite sousles rafales anglaises... On vote sa mort au breakfeust... breakfast...

Accoudés à la paillote d'un camping

MICHEL CONSTANTIN : Quand même... Être obligés d'jouer les boy-scouts...Ch'parle pas pour l'autre nave... Mais des hommes de notre poids ?... T'avouerasquand même...
JEAN LEFEBVRE : L'autre nave sait parfaitement où aller dormir, lui... J'aiun p'tit palace personnel qui m'attend à vingt bornes d'ici... Ouais... ChezMadame Michalon !... Mon épouse légitime...
LINO VENTURA : Ah, parce qu'en plus, y'a... y'a une Madame Michalon ?
JEAN LEFEBVRE : Ouais... Et elle m'adore... Madame Michalon.
LINO VENTURA : Et où elle crèche, c'te Madame Michalon ?
JEAN LEFEBVRE : À Villeneuve-Loubet... Elle a une petit fermette, façonranch, avec des chevaux... Un cadeau que j'ui ai fait... Toujours princier avec lesdames... Michalon.
LINO VENTURA : Éh ben, on y va !
JEAN LEFEBVRE : Ouh-la, ouh-la, éh ! Pas si vite !... Ch'peux pas débarquercomme ça chez... chez Églantine...
LINO VENTURA : Églantine ?
JEAN LEFEBVRE : Oui. Églantine... Parce que... la dernière fois qu'ons'est vu, on a eu des p'tits mots...
LINO VENTURA : Ah, ben, elle t'adore ou elle t'adore pas ! Faudrait savoir !
JEAN LEFEBVRE : Oui, mais... ça n'empêche pas les p'tits mots... J'aip't-êt' été un... un p'tit peu dur avec elle... Faudrait que...que j'la r'mett' en condition... Pis si j'débarque comme ça, sans prévenir,en plus avec deux types douteux !... J'ai peur que...
LINO VENTURA : Léonard... Tu sais qu't'es vraiment une curiosité...Comment ! On vient d'y laisser notre commerce et notre santé, tu crois pasqu'tu pourrais quand même...
JEAN LEFEBVRE : Non ! Je peux pas m'abaisser devant une dame ! Ch'préfèrecamper ici !... Alors, campons... On campe, quoi...
LINO VENTURA : Moi, j'ai p'us d'force...

Dans le Palais d'Églantine

LINO VENTURA : Vous savez, on a toujours tendance à prendre les bruns trapuspour des gangsters mais... c'est un préjugé idiot, hein...
MIREILLE DARC : J'en connais un autre qui consiste à prendre les grandes blondespour des imbéciles !...

Plus avant, dans la canfouine

LINO VENTURA : Attention, hein !... J'dis pas qu'Michalon soit une conscience !...M'enfin... Les souvenirs, ça devrait compter... Vous avez quand mêmevécu avec lui, non ?
MIREILLE DARC : Trois jours... Et je n'tiens pas à c'qu'y'en ait un quatrième...
LINO VENTURA : Ouais... M'enfin, nous... Si on avait vingt-quatre heures de répit,ben... Ch'ais pas, moi, on pourrait essayer d'regrouper nos billes... De faire unplanning... Éh, c'est pas commode de méditer au milieu des coups d'flingues,croyez-moi ! Pis moi, ça m'disperse !... C'est pas beaucoup, vingt-quatreheures, hum ?
MIREILLE DARC : Avec Léonard, les heures comptent double !

Au matin, pour le p'tit déj'

MICHEL CONSTANTIN : Et tu voulais m'expliquer quoi ?... J'ai plutôt manquéd'blair, hein ?... J'venais à ta place... Mes hommages, Madame... Et ch'coupaisaux fourmis, au jus d'gland et à la conversation d'l'autre pomme !

Dans les champs

MIREILLE DARC : Vous l'connaissez depuis longtemps, Jeff ?
LINO VENTURA : Oui.
MIREILLE DARC : Je n'trouve pas qu'il ait une tête de restaurateur.
LINO VENTURA : C'est p't-êt' parce qu'il a p'us d'restaurant ?
MIREILLE DARC : Vous en avez tué beaucoup, des Anglais ?
LINO VENTURA : C'est Léonard qu'à cafter ?
MIREILLE DARC : Répondez-moi.
LINO VENTURA : Un seul... Et encore... Un tout p'tit !...
MIREILLE DARC : Vous n'avez pas honte ? Fort comme vous êtes ! Vous en prendreà des p'tits !

Sur le fairway, après l'explosion

LINO VENTURA : Ch'critique pas l'côté farce !... Mais pour le fair-play,y'aurait quand même à dire !...

Au grelot, à l'aéroport

LINO VENTURA : Qu'est-ce qu'y t'arrive ?... Et tu m'appelles d'où, d'abord!
JEAN LEFEBVRE : De l'aérodrome... Ch'uis en pleine béchamel !... Hierà Nice, euj'croyais avoir levé deux pécores siciliens... J'lesvoyais beaux comme des soleils... J'leur ai pris une brique à soixante contreun sur Patchouli !... Et c'boudin-là est arrivé !... J'vis un cauchemar...Y veulent m'empêcher d'prendre l'avion ! Y z'ont des rasoirs plein leurs poches!... Faut qu'vous veniez les raisonner... Vous m'devez bien ça... Pour unefois que j'vous demande un service... Vous allez pas m'laisser découper, M'sieurAntoine ?


LE PACHA - GEORGES LAUTNER (1968)



Dans l'Alpine, en rentrant de chez Boucheron

JEAN GABIN : C'est du cri d'se faire engueuler par un con pareil !... J'l'ai misen veilleuse parce que j'voulais pas envenimer les choses, mais tout d'même!... Ceci dit, les mecs capables de faire un coup comme ça, ch'te les comptesur les doigts d'la main !... Émile-le-Génois, Kodréanis, MarcelLurat, le Stéphanois, Vincent Angelotti... J'veux leurs emplois du temps,tu vas m'mettre tes gars là-dessus...
JEAN GAVEN : D'accord.
JEAN GABIN : Pis maintenant, parlons un peu d'Albert ! Qu'est-ce qu'y'a pris d'vousbalancer dans l'décor ?
JEAN GAVEN : Allez donc savoir...
JEAN GABIN : Hé, c'est qu'y faudra pourtant savoir !
JEAN GAVEN : Pour moi, il a eu la trouille.
JEAN GABIN : Meuh, la trouille, la trouille, la trouille ! J'aimerais mieux autrechose ! L'mauvais réflexe, peut-être, il a toujours conduit comme unbranque !... Mais l'traczir, de lui, ça m'surprend !
JEAN GAVEN : Ben, vous savez, euh... s'faire tirer au bazooka, ça surprendaussi !

Dans le burlingue du Commissaire Joss

ROBERT DALBAN : J'ai eu les jetons, c'est tout !
JEAN GABIN : T'as vu un hérisson sur la route ou quoi ?
ROBERT DALBAN : J'ai vu moi !... Moi et l'môme Marc !... Décapitéspar leur engin !... Parce que figure-toi que j'les connais, ces engins-là!... J'les ai dégustés en trente-neuf !... Et ch'peux même tedire où !
JEAN GABIN : Moi aussi, dans les Ardennes !... Ton char, tes Ardennes, ton replisur la Loire, ch'peux tout t'raconter !... Mais c'est pas la façon de conduireton char en trente-neuf que ch'critique, c'est ta façon de conduire ta charretteaujourd'hui !
ROBERT DALBAN : Ch'te dis qu'j'ai eu les jetons !... Peur !... J'ai eu peur, voilà!... C'est ça qu'tu voulais qu'je dise !... T'es content ?
JEAN GABIN : Oh, ch'pavoise pas !
ROBERT DALBAN : Oh, mais si ! Oh-la-la ! Y'a longtemps qu't'attendais ça !...Tous, d'ailleurs, vous attendiez ça, que j'me dégonfle un coup !...Depuis vingt ans qu'je fonce et qu'je prends du plomb dans la viande, on s'habituait!
JEAN GABIN : Allez, vas-y, va... Récite-moi tes vers d'intrépide, ch'connaispas !
ROBERT DALBAN : Quand on a cravaté Jo-les-Grands-Pieds, t'as fait un beaurapport, t'as toujours été fort en rédac' !... Mais tous lesdeux, on lui doit què'qu'chose, au Grands-Pieds ! Toi, d'l'avancement et moi,six mois d'hosto !... Mais c'matin, j'étais bon pour la médaille posthume,alors tu m'excuseras, j'ai quitté la piste...
JEAN GABIN : Ben, dis donc, ça t'a drôlement secoué, c't'obus!... Moi, jusqu'alors, ch't'avais vu t'dérober qu'une fois, dans la cour duPatronage... Tu t'souviens ? Quand le p'tit rouquin t'a demandé d'sortir etqu't'es pas sorti...
ROBERT DALBAN : C'te bonne blague, ch'sautais sa frangine !
JEAN GABIN : Ah, ben, tu vois, t'avais une raison... Alors t'en avais p't-êt'une autre, c'matin !
ROBERT DALBAN : Dis donc, Louis, tu crois pas qu'tu pousses un peu ?... Oùon va ?
JEAN GABIN : Ben, ch'te l'demande !
ROBERT DALBAN : Ah, ben, si c'est un interrogatoire, qu'est-ce que t'attends pourfaire monter des sandwiches et d'la bière ?!... À quoi tu penses ?
JEAN GABIN : Ch'pense que quand on mettra les cons sur orbite, t'as pas fini d'tourner!

Après l'interro, au Môme Marc

JEAN GABIN : Peuh !... Lancez sur qui, sur quoi ? On va encore draguer tout l'mitan,interroger dix ou vingt Peaux-Rouges qui nous fournirons des alibis d'première,confirmés par tous les charlots d'Pigalle, alors, heu... Mais tu vois, monp'tit gars, c'coup-ci, y z'ont tiré une balle de trop... Et pourtant, c'étaitun drôle de colis, Albert, crois-moi !... Comme copain d'enfance, c'étaitpas l'Grand Meaulnes, fallait s'le faire !... Il a jamais arrêté d'm'emmerder!... Il a pris son élan à la Communale !... Comme il avait honte deses galoches, fallait que j'lui prête mes pompes, y pétait une chaînede vélo, fallait que j'lui répare, pis après, ça étél'algèbre !... “ C'est du 'krit, j'y comprends rien ! ” qu'y disait... Alors,j'ai été obligé d'me farcir ses problèmes... Parce qu'ila toujours eu des problèmes, ce cave, t'entends ? Mais toujours, toujours!... Et d'pire en pire... Mais qu'est-ce que tu veux, c'tait mon pote...

Sentencieux, à un de ses adjoints

JEAN GABIN : Quand on tue un poulet, c'est fou c'qu'y'a comme parties d'poker quis'organisent chez les voyous !

Dans l'arrière-salle du rade du Coréen

JEAN GABIN : Alors ? Y'avait qui à c'poker ?
LE COREEN : Ben, moi... Le P'tit Jo-de-Nanterre... Euh...
JEAN GABIN : Dédé-le-Bol et Frédo-le-Mexicain ! Ça va,j'ai compris, arrête ton tir... Et maintenat, j'vais t'dire quelque chose...L'un d'nous deux bute l'autre... Toi, on t'raccourcit, moi, on m'félicite...Ch'ais bien qu'c'est injuste parce que c'est injuste... mais c'est comme ça...T'as contre toi quarante ans de bons et loyaux services et une vie exemplaire...Alors, choisis... (Mornifle...) Alors ? Y'avait qui à c'poker ?

Dans le bureau des Inspecteurs

JEAN GABIN : Bonsoir, Ernest.
FELIX MARTEN : Bonsoir, M'sieur l'Divisionnaire.
JEAN GABIN : Ben, dis donc, ça a pas l'air d'aller... Moi non plus, d'ailleurs...J'viens d'regarder ton dossier, c'est déprimant... Cinq piges pour l'affairede la Rue d'Douai, cinq piges pour l'encaisseur d'la Prévoyance, et cinq pigesde mieux pour la fusillade de Rungis... Et pis maintenant, v'là qu'tu cabossesun vigile pour piquer des fringues qu'appartiennent à l'État !... C'estpas raisonnable... Y'a qu'un truc que ch'comprends pas... Qu'est-ce qu'y vient faire,Brunet, là-dedans ?
FELIX MARTEN : Brunet ?
JEAN GABIN : Oui... Ben, t'as bien parlé d'lui !
FELIX MARTEN : J'l'ai p't-êt' mentionné, pour l'anecdote, euh... j'mesouviens... je ne me souviens pas...
JEAN GABIN : Oh, prends ton temps, réfléchis... À çaet à autre chose ! Parce qu'avec ton palmarès, t'es bon pour la Relég'!... Ben, pis, en sortant, mon gros père, ça sera Bicêtre...Note bien qu'tu pourras toujours raconter ta vie l'soir, sur un banc, aux p'titsvieux, m'enfin, tout d'même... Non, tu vois, moi, j'la vois pas jojo, ta find'vie...
FELIX MARTEN : Oh, merde ! Arrêtez un peu...
JEAN GABIN : Remarque que l'essentiel, c'est d'se conduire comme un homme... Partirla tête haute aux Assises, parce que après, on sait pas c'qui peut luiarriver...
FELIX MARTEN : J'voudrais vous parler, moi.
JEAN GABIN : Ben, on est là pour ça.
FELIX MARTEN : Oui, mais... d'homme à homme.
JEAN GABIN : Messieurs, si vous voulez nous laisser, Ernest a des pudeurs...

Au baltringue de la frangine

DANY CARREL : Le crétin chimiquement pur... Je m'demande où tu vasl'chercher ?
MAURICE GARREL : Trente-six Quai des Orfèvres. Je suis fidèle àmes fournisseurs.

Dans la piaule de Nathalie

JEAN GABIN : Éh ben, puisqu'on en est aux confidences de jeunesse, j'vaist'en faire une, de confidence... Le Albert, il a toujours eu la galipette maudite!... Dix fois, j'l'ai arraché à des volailles infernales !... Maisch'croyais tout d'même qu'à soixante carats, il avait écrasé,éh ben, j'm'étais gouré !... Et il a fallu qu'y rencontre unepetite salope comme toi pour lui mettre la tête dans l'sac !

Dans le gourbi psychédélique

DANY CARREL : Mais alors, pourquoi tu m'as monté cette singerie ?...
ANDRE POUSSE : Pour être sûr que tu viennes... J'ai des envies d'voyages...L'Océanie, Bora-Bora, les vahinés... Tu connais ?
DANY CARREL : Pourquoi ? Tu veux m'emmener ?
ANDRE POUSSE : On n'emmène pas des saucisses quand on va à Francfort.
DANY CARREL : Tu pourrais dire “ Une rose quand on va sur la Loire ”... Questiond'termes...
ANDRE POUSSE : Toujours z'est-il que j'lève l'ancre !... Mais j'ai pas l'habitudede partir avec la caisse... J'ai quatre-vingt briques de trop. Qu'est-ce que j'enfait ?...
DANY CARREL : Tu les as sur toi ?
ANDRE POUSSE : Dis donc pas d'conneries !... J'ai loué un pavillon àSaint-Germain. On y fait un saut. Ch'te casque et ch'file au soleil la consciencetranquille...
DANY CARREL : C'est la semaine de bonté, dis donc... Tu m'proposes quatre-vingtbriques... ben, moi, ch't'en propose vingt fois plus...
ANDRE POUSSE : C'est dommage de grandir. Quand j'étais p'tit, j'aimais bienles contes de fées...
DANY CARREL : C'est tout c'qu'y'a d'plus sérieux, Marcel... Avant votre affairede quincaillerie, Léon était sur coup... Un vrai, celui-là...Si ch'te proposais une affaire en or... Tout est réglé... Sauf queLéon est en cavale... Et moi, tu sais, hein... pour l'attaque de la diligence,j'ai pas l'poignet très résistant. Pour m'épauler, j'avais bienpensé à Émile...
ANDRE POUSSE : Quel Émile ? J'en connais des chiées, d'Émiles...
DANY CARREL : Le Génois.
ANDRE POUSSE : Le Génois, c'est que dalle.
DANY CARREL : Oui, c'est bien c'que j'me suis dit.
ANDRE POUSSE : T'es gentille d'avoir pensé à moi. Mais, vois-tu, j'vaisau charbon seulement quand ch'uis raide... Et pour l'instant, ch'cherche pas d'embauche...Avant qu'on reparle de choses sérieuses, comme ça, par curiosité...ça s'montait à combien ta p'tite folie ?

Rancard dans un parking obscur

JEAN GABIN : T'aurais pu au moins m'indiquer l'étage, j'viens d'm'en farcirtrois. Alors, j'espère qu'eul'prochain rancard, tu m'le fileras pas àla Tour Eiffel...
FELIX MARTEN : J'm'attendais pas des remerciements, mais tout d'même...
JEAN GABIN : Alors, ton Olympiade du hold-up, où t'en es ?...
FELIX MARTEN : J'vous l'ai déjà dit. Un fourgon postal. L'influenceanglaise, comme dans tout, quoi...
JEAN GABIN : D'ici qu'vous achetiez vos cagoules chez Old England, y'a pas loin...Et c'est pour quand ?
FELIX MARTEN : Le lundi dix-neuf... Le fric sera chargé en gare de Bâle...Le train s'arrête trois minutes en gare de Chaumont... Émile et sesboys, déguisés en postiers, montent dans l'fourgon... Le train redémarre...Et là, y mettent les vrais postiers en l'air, dont ch'fais partie, d'ailleurs...Deuxième arrêt, deux minutes en gare de Troyes... Le pognon déménage...Le train redémarre, mais Émile poursuit seul son voyage en voiture...et apporte le pognon à Brunet qui l'attend en Père Peinard àla sucrerie d'Boullay...C'que ch'fais pour vous, hein... J'eul'ferais pour personned'autre, hein !
JEAN GABIN : Dis donc, Ernest, entendons-nous bien, hein... T'as besoin d'moi, j'aibesoin d'toi, on traite... Mais un casseur doublé d'une donneuse, tu voudraistout d'même pas que ch't'embrasse... Hein ?

Dans le bureau du Dirlo de la PJ

JEAN GABIN : Oh, écoute, Paul, moi, l'mitan, j'en ai jusque-là !...Ça fait quarante ans que l'truand m'charrie... J'l'ai digéréà toutes les sauces et à toutes les modes... En costard bien tailléet en blouson noir... Ça tue, ça viole, mais ça fait rêverl'bourgeois et reluire les bonnes femmes, elles trouvent peut-être çaromantique, mais moi pas !... Alors, j'ai pris une décision... Moi, les Peaux-Rouges,j'vais p'us les envoyer devant les jurés d'la Seine, comme ça, y'aurap'us d'non-lieux, ni d'remise de peine... J'vais organiser la Saint-Barthélémydu mitan... Tu m'as compris ?
LOUIS SEIGNER : Bravo... Et tu comptes sur moi pour te couvrir ?
JEAN GABIN : Sur personne... Pis, tu sais, hein, j'm'en fous, dans six mois, j'décroche...Ch'ais qu'vous avez préparé les allocutions et commandé lesp'tits-fours, alors qu'est-ce qu'y peut m'arriver ? D'être privé d'gâteau?!... Et après ?


FAUT PAS PRENDRE LES ENFANTS DU BON DIEU
POUR DES CANARDS SAUVAGES - MICHEL AUDIARD (1968)




Descriptif champêtre

MARIO DAVID : Jacky, c'est moi.
MARLENE JOBERT : Avant d'être opérée, Jacky s'appelait Rosemonde.
MARIO DAVID : Mais attention, déjà dangereuse... Cheftaine de bandeet tout... Genre égérie, si vous voyez c'que j'veux dire...

Suite du descriptif

ANDRE POUSSE : Pour moi, la Rosemonde et sa bande de gouines, c'est rien qu'des grossesprétentieuses... Des insolentes... J'dirais même des personnes malsaines...

Au beau milieu d'un champs

ANDRE POUSSE : Un pigeon, c'est plus con qu'un dauphin, d'accord... mais çavole...

Dans le bocal de Rita

BERNARD BLIER : Debout, face au mur et les paluches en l'air, que j'les vois bien!... On est chargés à la magnum !... Si vous bougez seulement les oreilles,on vous coupe par le milieu, ça fera dix morceaux...
ANDRE POUSSE : T'es pas en train d'me hold-upper, Charles ?!... Dis-moi qu'j'm'hallucine...Que ch'cauchemarde...
BERNARD BLIER : Allez ! Ficelez les paquets et emballez la jonquaille !...
ANDRE POUSSE : C'est pas ta voix, Charles ?!... C'est pas possible... J'ai des bourdonnements...

Vindicatif, dans le sofa

ANDRE POUSSE : Quand ch'pense qu'on devait s'marier à la Saint-Médard,oh-la-la... J'lui aurais donné mon nom... Madame Fred... Reçue partout...First Lady... Que ch'sorte de là et j'la marque au fer rouge... J'l'empalesur un cactus...

Sociologue, au moment de partir

BERNARD BLIER : C'est pas inhumain d'entendre ça ! Mais qu'est-ce que tu veuxque je fasse avec cinq cents briques, hein ! Surtout d'nos jours... Le SMIC est enplein chancelique, la TVA nous suce le sang, la Bourse se fait la malle... J'ai calculé,j'en aurais à peine pour cinq piges... J'aurais cinquante berges... Tu voudraistout d'même pas que j'retourne au charbon à c't âge-là,non ? Tu serais pas vache avec les vieux, des fois ?

Dans la casbah de Charles

BERNARD BLIER : Tiburce !!!... Tu vas m'convoquer toutes les épéespour ce soir, minuit... Tout le Who's Who !... Le Moko, Trois-Doigts, le P'tit Cheval,la Tirelire, l'Espingo, pis Jambe-de-Laine !... Oh-la-la...
(Meeting...)
... Messieurs !... Messieurs, si j'vous ai arraché à vos pokers età vos télés, c'est qu'on est au bord de l'abîme... Lamaladie revient sur les poules... Et si j'étais pas sûr de renverserla vapeur, j'vous dirais d'sauter dans vos autos et de foncer sur les routes commeen quarante !... Le tocsin va sonner dans Montmartre... Y'a l'choléra qu'estd'retour... La peste qui revient sur le monde... Carabosse a quitté ses zoziaux...Bref, Léontine se repointe... (Décomposition de l'audience...) Ben,quoi, c'vieux fourbi, c'est quand même pas du plutonium !... Jusqu'ici on aeu la poisse, c'est tout... Et la poisse, j'en veux plus... (On ressort les gri-gris...)Bon, c'est fini les momeries, non... Bon... J'récapitule dans l'calme... Onla débusque, on la passe à l'acide, on la découpe au laser,on la dissout, et on balance c'qui reste dans l'Lac Daumesnil...
(La troupe quitte la scène après les condoléances d'usage...)
Tiburce !!! Tiburce, mon p'tit, j'viens d'assister à la démission desélites... Dieu merci, je t'ai...

Abandonné, dans son salon

BERNARD BLIER : À l'école, il avait toujours le prix d'exactitude...Et l'prix d'bonne camaraderie... Ah, les institutions, la notoriété,le prestige... Tout est bafoué, tout... Le Roi s'endort, on dessoude le Dauphin...Jolies manières... Mais attention, hein !... J'ai bon caractère, maisj'ai l'glaive vengeur et le bras séculier !... L'aigle va fondre sur la vieillebuse !...

Hargneux

BERNARD BLIER : Elle me prend pour un pélican !... Pour Saint-Vincent-de-Paul,pour l'UNESCO !... La vieille bourrique !... Attends un peu !

Déguisée en Pope Joseph

FRANÇOISE ROSAY : Bolivar !... Bolivar !... Tu m'offrirais de la sterling,du mark, de la couronne, je dirais banco... Même du yen, je dirais banco...Mais le bolivar, c'est jamais qu'du bolivar, Alfred Alfredovitch !... C'est-à-dire“ petite monnaie nègre ”...
ANDRE POUSSE : “ Petite monnaie nègre ” !... Ch'te préviens, Joseph,que ch'uis agacé comme tout !... Ch'pourrais t'foutre des tartes !... Alors,laisse quimper ton sabir et parlons affaires !
FRANÇOISE ROSAY : Comme tu voudras !... Tu m'proposes du papier à culcontre du dollar US !... Et tu voudrais qu'on traite au cours officiel !... Est-ceque tu m'prends pour un enfant d'chœur ?
ANDRE POUSSE : Tu refuserais d'me changer ma monnaie ?
FRANÇOISE ROSAY : Tes biffetons d'carnaval, tu peux aller jouer au Monopolyavec !... Ch'pourrais, à la rigueur, te les prendre en consigne... Et encore!... À la condition d'en connaître la provenance...
ANDRE POUSSE : Rita... Une personne avec qui j'étais...
FRANÇOISE ROSAY : Bonne famille ?
ANDRE POUSSE : Ça dépend comment t'entends ça !... La niècede Léontine...
FRANÇOISE ROSAY : Léontine ?!... Sauve-toi vite, Fred !... Tu m'asrien dit, on s'est jamais vu... Ah ! La monnaie, ch'uis née dedans, mais j'veuxpas y mourir !... Tes sous, enterre-les ! Au plus profond qu'tu peux !...

Dans la foulée, avec le vrai-faux Pope Joseph

LE POPE JOSEPH : Mademoiselle pourrait peut-être ajouter un don à notrefonds de soutien pour le pèlerinage de Nijni-Novgorod.
FRANÇOISE ROSAY : Mon ami, entendons-nous bien... Les affaires sont les affaires,mais j'ai été baptisée et confirmée dans le sein de l'ÉgliseCatholique et Romaine, c'est pas pour me faire caver à soixante-quinze pigesdans vos singeries byzantines !

Pan-pan cul-cul, Rita

FRANÇOISE ROSAY : Tu m'as vue ?... Est-ce que j'ai une tête àm'farcir quinze cent bornes de route, une escalope Monteverdi et le fléchagecomplet du grand collecteur pour me faire raquetter par un petit boudin !

Dans la guitoune de Léontine, pour la noce

BERNARD BLIER : Je veux les sous !
FRANÇOISE ROSAY : Vous vous êtes donné l'mot !
BERNARD BLIER : Je sais tout !... Tu sors de sous la terre !... T'as donnéFred à manger aux rats !... Mais moi, y m'mangeront pas ! Parce que moi, jesors mes griffes, moi ! Miaou ! Siamois ! Pfff ! Pfff ! Crrr ! Crrr ! Crrr !...
FRANÇOISE ROSAY : Mais Charles, je te donnerais cet argent avec le plus grandplaisir, mais nous sommes samedi... et les banques sont fermées...
BERNARD BLIER : Mais chaque fois qu't'es rentrée dans une banque, elle étaitfermée !... La Chase Bank de Dallas ! Et la BNP d'Levallois ! Ça t'ditrien, non ?!
FRANÇOISE ROSAY : Oooh... Tu cancanes, maintenant ? Tu ragotes ?
BERNARD BLIER : Ch'te préviens, c'est un trente-huit !... Je tire, pis t'asp'us d'tête !


LE CRI DU CORMORAN, LE SOIR, AU-DESSUS DES JONQUES- MICHEL AUDIARD (1970)



Au ballon, dans le Commissariat

YVES ROBERT : Très-très curieux !
ROMAIN BOUTEILLE : Sa tête ?
YVES ROBERT : Sa chemise !... Dirait-on pas la Grande Palmeraie d'Tizi-Ouzou ?
MICHEL SERRAULT : Mais c'est la Grande Palmeraie de Tizi-Ouzou !
YVES ROBERT : Embarquez-moi ça au Quai des Orfèvres !... Son consulou son sorcier viendra l'chercher !... Pas d'histoire avec l'Afrique !... Remember!...
BERNARD BLIER : Quoi ?
YVES ROBERT : Ben, le Coup d'l'Éventail... Abd el-Kader !

Dans la canfouine de son amazone

MICHEL SERRAULT : J'devais faire fortune en six mois, j'aurais mis une semaine, voilàtout... Tu trouves ça naturel ?... Sans vouloir diminuer tes mérites,je m'interroge parfois... Je m'interroge... Sauras-tu tenir le rang de femme comblée?... Sauras-tu porter des bijoux ?... Sauras-tu recevoir ?...

À l'Hippodrome

GERARD DEPARDIEU : Ha-ha ! Le Sept, éh !
STEPHANE BOUY : Ha !... Ha, ce paumé, il a joué Mandibule, éh!
GERARD DEPARDIEU : Faut vraiment être la Reine des bites, hein ?!
STEPHANE BOUY : Ben, oui ! C'est un saucisson, Mandibule !... Un fer à repasser!
MICHEL SERRAULT : Rendez-moi ça ! Rendez !
GERARD DEPARDIEU : Qu'est-ce qui nous obligerait ?
MARION GAME : Moi !... J'ai tout c'qui faut dans mon p'tit sac !...
MICHEL SERRAULT : Merci.
MARION GAME : Y'a des tas d'choses où il est pas fortiche, Alfred, mais lescanassons, ça, c'est son truc...
MICHEL SERRAULT : La planche à billets est en marche... Faites tomber !
GERARD DEPARDIEU : Éh ! È' rame déjà à trois longueurs,votre patte-folle, là !
MICHEL SERRAULT : Patte-folle ? Pauvre con !
STEPHANE BOUY : On dirait qu'è' cherche l'écurie !
MICHEL SERRAULT : L'écurie ? Pauvre con !... Attends l'arrivée !
MARION GAME : Vas-y, Mandibule !... Oh, dis donc, t'as pas l'impression que...
MICHEL SERRAULT : Hum !... Elle se réserve...
GERARD DEPARDIEU : Une toque blanche qui s'fait la paire, une !
MARION GAME : Qui c'est, la toque blanche ?
UN TURFISTE : Mona Girl, c'est l'affaire du jour, tout l'monde était dessus!
MARION GAME : Alfred !!!... Tu seras toujours un paumé !...

Sur le toit d'un immeuble

MICHEL SERRAULT : Merde !... Pardon, mesdames.
BERNARD BLIER : T'as pas honte, Alfred, de rouler les bobs avec les mômes ?
MICHEL SERRAULT : J'voulais pas jouer à ça, moi, j'voulais jouer àla marelle !
1ERE CHIPIE : Tu dis ça parce que t'as paumé !
BERNARD BLIER : Toi, l'Engelure, passe-moi l'veston !... Non, pas çui-là! Çui-là !
2EME CHIPIE : Çui-là, il est à moi !
1ERE CHIPIE : Elle l'a gagné !
BERNARD BLIER : C'que vous allez gagner, toutes les deux, c'est une paire de tartes!... Ch'compte jusqu'à trois, pis après, j'avoine !... Un !... Deux!...
MICHEL SERRAULT : Donne-lui ! Je l'connais, y bat...
2EME CHIPIE : C'est d'l'arnaque pure et simple !
BERNARD BLIER : Allez, passe devant, mec, faut y aller...
MICHEL SERRAULT : Où ça, encore ?
BERNARD BLIER : Ben, à Istanbul, c't'idée !

Autour du cercueil

BERNARD BLIER : Dites donc, euh... Voudriez-vous dire à ce hotu de n'pas servirdes réflexions comme ça ?

Cheminant sur le terrain vague

PAUL MEURISSE : Allons, allons, Freddy... Le récif de corail, la maison d'Gauguin,les p'tites fleurs, le chant du Ukulélé, le soir, sous les manguiers...Hum !
BERNARD BLIER : Ha !... Ah, ben, puisque vous en êtes à l'audiovisuel,alors permettez !... Le Bosphore, hein !... Éh ben, l'Bosphore, c'est pasd'la merde non plus !... Tiens ! Matez les couleurs !... La Corne d'Or, la Mer Noire,la Mosquée Bleue... Et les minarets ? Mordez les minarets ! Vous avez jamaisentendu, ch'uis sûr, l'appel du muezzin !... Waaalllaaa-waaalllaaa-waaalllaa!... La fascination d'l'Orient, quoi !
PAUL MEURISSE : J'ai connu... Devant la Mosquée de Soliman le Magnifique...Je portais un taupé lilas... Elle s'appelait Gertrude... Elle avait dans leshanches, ce balancement gracieux qu'ont les femmes qui ont beaucoup marché...On a failli se fixer, là-bas, acheter du terrain... On pensait mêmeà une maison... Et puis, les intermittences du cœur... Finalement, la maison,c'est elle qui l'a ouverte à Caracas...
BERNARD BLIER : Ah, oui ! “ La Mano en la Mano ” !
PAUL MEURISSE : Vous avez connu ?
BERNARD BLIER : Œuf corse !
PAUL MEURISSE : Le terrain, c'est moi qui l'ai acheté sur la Plata del Sol,trois cents francs l'mètre... Aujourd'hui, avec le goût des congéspayés pour le flamenco et la paella, ça pèse un milliard !
BERNARD BLIER : Et encore...
PAUL MEURISSE : Et encore ?
BERNARD BLIER : Avec des bungalows dessus, hé...
PAUL MEURISSE : Oh, ben, évidemment, l'immobilier... La finalité marloupine...Vous voyez grand !
BERNARD BLIER : J'vois moderne... J'ai pas cru aux terrains au lendemain d'la guerre,alors ça m'ronge...
PAUL MEURISSE : Est-il trop tard ?...
BERNARD BLIER : ... Car elles démarrent, Monsieur, les affaires, je l'sens!
PAUL MEURISSE : Voilà.
BERNARD BLIER : Vous fournissez l'bord de mer, je fournis l'béton ! On promoteà tout va, dans l'goût du jour ! Moitié hacienda, moitiéclapier !
PAUL MEURISSE : On fourgue avant qu'ça s'lézarde !
BERNARD BLIER : Et on fait la culbute !
PAUL MEURISSE : On repromote en Sardaigne !
BERNARD BLIER : Belote et rebelote !
PAUL MEURISSE : Et on attaque l'Afrique ! Car c'est ça, l'avenir, Monsieur,l'Afrique !
BERNARD BLIER : Vingt mille kilomètres de plage !
PAUL MEURISSE : Pour les pousseurs de filets à crevettes, quelle promenade! Y avez-vous songé ?
BERNARD BLIER : Oh-la-la !
PAUL MEURISSE : Nous serons les pionniers des grandes transhumances ! Tous les prolosen charter le vendredi soir, retour le lundi matin, Quai d'Javel ou au Creusot...avec des sourires de pêcheurs de requins...
BERNARD BLIER : Ou de pêcheurs de perles...
PAUL MEURISSE : Sans vouloir vous contrarier, la perle se pêche plutôtaux Îles de la Sonde...
BERNARD BLIER : Mais nous iront !
PAUL MEURISSE : Vous avez raison, nous irons partout ! À Zanzibar !
BERNARD BLIER : Aux Galápagos !
PAUL MEURISSE : Dans la Baie d'Along ! Aaah, le cri du cormoran, le soir, sur lesjonques... Crôa-crôa-crôa...
BERNARD BLIER : Sans vouloir vous contrarier, ça, c'est plutôt le cridu Perroquet Bleu du Mato Grosso... Le cri du cormoran, c'est... Creuaaa-creuaaa-creuaaa-creuaaa!
PAUL MEURISSE : Refaites-moi ça, s'il vous plaît.
BERNARD BLIER : Oh, très volontiers... Creuaaa-creuaaa-creuaaa-creuaaa !
PAUL MEURISSE : En effet, oui...
BERNARD BLIER : Le SMIC sur la trace des Conquistadores... Y'a des dizaines de milliardsà gagner...
PAUL MEURISSE : Des centaines !... Vous disiez ?
BERNARD BLIER : Alors, je disais... Oh, je n'sais plus...
PAUL MEURISSE : Le vertige des grands bâtisseurs !... Il faudra que la rivegauche reste un peu snob... Je parle, bien entendu, de la rive gauche du Mékong...
BERNARD BLIER : Ah, parce que vous avez déjà refourgué l'Afrique?!
PAUL MEURISSE : Vous n'aviez pas compris que l'Afrique, c'n'était qu'un tremplin!
BERNARD BLIER : Excusez-moi !
PAUL MEURISSE : Pour un bol de riz par jour, la main d'œuvre asiate nous grimperades trois-pièces-cuisine avec vue sur l'Éverest... Et nous investironsles bénéfices sur la rive droite !
BERNARD BLIER : Du Fleuve Jaune !?!
PAUL MEURISSE : Non, de la Seine... Nous finirons Avenue Matignon, comme tant d'autres...


ELLE CAUSE PLUS, ELLE FLINGUE - MICHEL AUDIARD (1972)



À la morgue

DANIEL PREVOST : Votre charme a joué à plein, Chef...
DARRY COWL : Oui, je crois, oui... C'était pas dans la poche au départ,j'ai été obligé de forcer... un peu... mais à la fin,la pauvre chérie... une véritable boucherie... Malheureusement, vafalloir changer d'monde ! Maintenant, on va chez les horribles... les cœlacanthes,les méduses, les bestiaux des grandes profondeurs !...

Au Tennis-club

ANNIE GIRARDOT : Dites donc. C'est pas qu'je sois friante de nouveauté, mais...si vous allez sous les cocotiers... on va vous remplacer...
DARRY COWL : Oh-la-la ! C'est... c'est prévu...
ANNIE GIRARDOT : On peut savoir qui ?
DARRY COWL : Un épouvantable !... Une bête !... Dans sa brigade, onl'appelle “ Le Terroriste ”... Champion d'la baignoire et d'la lampe à souder...'Fin, moi... j'avais des manières...

Le pavillon sans dessus-dessous de la Princesse

BERNARD BLIER : Sondez les murs, le parquet et l'plafond !!!... Y'a sûrementdes morts et des lingots partout !!!...
ANDRE POUSSE : Hooo... la-la-la-la-la-la-la-la...
(La fouille se poursuit ardemment, émaillée de coups de pétards...Rosemonde pénètre...)
BERNARD BLIER : Commissaire Bistingo, d'la Brigade Criminelle...
ANNIE GIRARDOT : Ch'pensais qu'vous étiez d'la Mondaine, excusez-moi...
ANDRE POUSSE : (Face contre terre, les mains sur la nuque...) Hum, l'excite pas !...
BERNARD BLIER : Sortez, vous autres !!!... Sortez, les p'tites natures !... J'vaisprocéder à l'interrogatoire et j'réponds pas d'moi... Ch'peuxtirer en rafales et qu'ça ricoche... Heu-heu... Ben, qu'est-ce qui y'a !?!!
ANNIE GIRARDOT : Éh ben, dis donc. Tu t'es pas arrangé...
ANDRE POUSSE : Oh, non !
BERNARD BLIER : On t'a dit d'bouger !?!!... Les mains sur la tête quand ch'teparle !!!... Et toi, t'avise pas d'ouvrir ton sac, hein ?! Parce que j'ai des dessouvenirs... Ça m'a coûté cinq mois d'hosto...
ANNIE GIRARDOT : Mais tu sais très bien qu'la balle est partie toute seule!... Un révolver que ch'connaissais pas !...
BERNARD BLIER : Depuis l'épieu mérovingien jusqu'aux roquettes àtête fouineuse, y'a pas une arme que tu connaisses pas !
ANDRE POUSSE : Ch'peux m'relever ?
BERNARD BLIER : Non !!! La dernière fois qu'ch't'ai fait une fleur, j'me suisretrouvé dans un sac en plastique !...Vous n'êtes pas des gens d'confiance...
ANNIE GIRARDOT : Si on peut dire ça...
(Coup de flingue au plafond...)
BERNARD BLIER : Coup d'semonce... J'entre en piste... Tu réponds àmes questions, tout va bien, t'y réponds pas, ch't'attache au radiateur, euch'tefile un projecteur dans la tronche...
ANNIE GIRARDOT : Toi qui n'aimais qu'les feux d'bois... Les éclairages tamisés...
BERNARD BLIER : Y'a eu un cave passé à la moulinette... L'enquêtea d'abord été confiée à un con, maintenant, c'est moiqui drive... Pardon, ça change tout... Et hop, c'est parti... Comment tu t'appellespar les temps qui courent ?

Debrief chez la Princesse

ANNIE GIRARDOT : Qui était-ce ?
ANDRE POUSSE : Monsieur l'Chanoine... Y'a l'Cardinal qui veut t'voir... Et fissa...Après les singeries d'hier, le Chanoine a du cafter... On pourrait bien avoirun rendu...

Traversant le “ domaine ”

ANNIE GIRARDOT : Un d'ces jours, j'vais ressortir la chevrotine... et on va ramasserles connards dans l'mâchefer...
ANDRE POUSSE : T'énerve pas, ma grande !
ANNIE GIRARDOT : Oh, ch'peux flinguer sans m'énerver !
ANDRE POUSSE : Si on s'est servi d'la Machine, c'est pour rester sélectif...Dans la fournée qu'les gars nous ont ramené, y'avait des lascars qu'allaientvraiment pas... Alors, on t'a mis d'côté ceux qui vont !

Irruption violente dans le Palais de la Princesse

BERNARD BLIER : Les mains en l'air !!!... T'as vu ta porte !?!!... C't'un début,ch'casserai tout...
ANNIE GIRARDOT : En attendant, tu salopes mon parquet... Patins...
BERNARD BLIER : J'ai dit les mains en l'air !!!
(Rosemonde désarme Camille d'une bastos...)
ANNIE GIRARDOT : J'ai dit “ patins ” !!!
DANIEL PREVOST : Vous avez tiré, Chef ?
BERNARD BLIER : J'vous ai appelé, vous ?... Non !? Alors !!!... (ÀRosemonde...) C'que tu peux être pétardière !... On peut p'usrien t'dire... Tu t'rends pas compte que t'aurais pu m'blesser ?... On tire pas surles gens comm' ça...
ANNIE GIRARDOT : J'veux bien qu'on cause, j'aime pas qu'on casse...
BERNARD BLIER : (En reluquant une icône...) Tu fais dans l'Saint-Sulpice, maintenant?... Ben, pisque t'aimes les portraits, tu vas être contente... Ch't'en aiamené...

Conversation apéritive chez Rosemonde

BERNARD BLIER : Ça doit pas être toc ?
ANDRE POUSSE : C'est amusant.
ANNIE GIRARDOT : Ouais... Éh ben, moi, j'ai pas envie d'm'amuser... Je suisnouée par tes horreurs !... À chaque fois qu'y s'pointe, c'est l'RoiLyre... Hécatombe en tout genre... Ah, pour une jeune femme, c'est d'un gai!... Nous mangerons froid...
ANDRE POUSSE : Bien, Mademoiselle.
BERNARD BLIER : T'as dit nous !... Qui ça, nous ?... Ton espiègle ettoi, vous espérez quand même pas m'refaire le coup d'Barbizon, hein!?
ANNIE GIRARDOT : Oh, c'que tu peux être raclette !
BERNARD BLIER : Ah, excuse-moi, mais c'est des repas dont on s'souvient !... Hein?... Déjeuner en tête-à-tête et j'me suis retrouvéà Cochin... aux urgences... trois lavages d'estomac... Qu'est-ce qu'on a retrouvédans mes viscères ? De l'acide prussique ! Un beurre !
ANNIE GIRARDOT : Tu fabules, tu romances.
BERNARD BLIER : J'me suis jamais fait baiser deux fois de suite.
ANNIE GIRARDOT : Éh ben, tu sais pas ce que tu perds !...

Aparté à Rosemonde

BERNARD BLIER : J'ai p't-êt' pas votre expérience sur l'oreiller, Madame,mais question boulot, ch'crains personne ! Y'en a pas deux comme moi à laBrigade ! Même au F.B.I., si j'me dérange, y font pas l'poids !...

Digestif musical dans le récamier de Madame

BERNARD BLIER : Ch'savais pas qu'tu jouais d'la harpe !?...
ANNIE GIRARDOT : C'était à un ami.
BERNARD BLIER : Pourquoi tu dis “ c'était ” ? Tu l'as buté ?
ANNIE GIRARDOT : Ah, mais c'est une obsession !... Non, mais vois-tu... certainssoirs... avec ton prédécesseur... nous Mozardions... nous Ravelisions...
BERNARD BLIER : Ha-haaa-ha !!!... Ha, ch'te vois d'ici le... le séduire auxarpèges, hein ?!... Le liquéfier aux double croches... Le mystifieraux bémols... Ça m'étonne pas d'ce p'tit con...

Réveil délicat après fiesta

ANNIE GIRARDOT : Hooo !!! Qu'est-ce que c'est c'ramdam !?!!
ANDRE POUSSE : C'est Jambe-de-Laine qui remplace la porte.
ANNIE GIRARDOT : Ben, va lui dire qu'y fasse moins d'foin !... Hooo !
ANDRE POUSSE : Faites moins d'foin, Mademoiselle a sa migraine !

Sur le perron du “ Palais ”

BERNARD BLIER : Hop !!!... Arrimage et camouflage !...
ANDRE POUSSE : Qu'est-ce qu'on fait ?
ANNIE GIRARDOT : Va m'chercher un fusil...
JEAN CARMET : Dessouder un lardu en plein jour... ça va jaser dans les gazettes...
ANNIE GIRARDOT : Ben, la liberté d'la Presse, c'est une belle connerie !...

Traquenard dans le nid d'amour

DOMINIQUE ZARDI : Laisse donc ça tranquille... J'm'appelle Riton... Riton-la-Teigne...
ANNIE GIRARDOT : Maaax !!!
ANDRE POUSSE : Max. Quoi, Max ?
JEAN CARMET : On est tombé sur des sournois...
DOMINIQUE ZARDI : Faut qu'ch't'emmène, on t'attend... Le loufiat et l'pilon,on les attend pas...

Dans l'antre des vilains

ANNIE GIRARDOT : Vous, vous z'êtes un p'tit mal élevé ! Voilàc'que vous êtes !...
DOMINIQUE ZARDI : T'avances ou tu cherches un coup d'latte dans l'fion !?!!...
ANNIE GIRARDOT : Ooooh... On s'croirait vraiment à la Cour d'Espagne... Lemitan part en brioche... Autrefois, quand on conviait une dame...
1ER CAÏD : T'es pas une dame !
2EME CAÏD : T'es un fléau !
3EME CAÏD : Une malédiction !
4EME CAÏD : Si on a décidé de te faire comparaître, Clara...
ANNIE GIRARDOT : Pas Clara... Rosemonde...
1ER CAÏD : Dis donc, elle va nous charrier longtemps, comme ça !?
2EME CAÏD : Elle se conduit comme une gonzesse !
ANNIE GIRARDOT : Ah, ben, quand même !
4EME CAÏD : La Fantasia de l'autre nuit a mis la poulaille en transe... Descentesdans les Cercles, rafles dans les taules... L'Enfer... Même Fernand, qui depuisMarthe Richard n'avait pas fermé un seul jour, s'est fait lourdé sansexplication... C'est dire le climat...
3EME CAÏD : Des vrais fous !
2EME CAÏD : Va surtout pas croire qu'on oublie le passé. Tout ce qu'onte doit...
ANNIE GIRARDOT : Avec des mythos, va donc savoir !...
4EME CAÏD : Des ingrats t'auraient déjà butée, reconnais!... Et bien, nous, on te donne une chance... Tu fermes ton camp de la mort et tuvoyages... Alors, où tu veux !... Aux Galapagos, aux Aléoutiennes...Où tu veux !... Sauf aux US, où on se souvient trop de toi !...

Monologuant en peaufinant son feu d'artifice, seule dans sa carrée

ANNIE GIRARDOT : Les Galapagos... Les Aléoutiennes... J'vais leur en foutre,moi, des voyages !... Attendez un peu... Attaquer une pauvre femme qu'est toute seuledans la vie... Quelle bande de fumiers !... Moi, avec les prétentieux, ch'connaisqu'une tactique... Souffler dessus... Mais alors, souffler fort... Comme ça,quand les comiques le recevront sur la tronche... y n'auront plus qu'à allerse faire lifter...

Devant le poulailler qui renferment les méchants

1ER CAÏD : On n'pensait pas qu't'avais tourné acariâtre !
2EME CAÏD : Vous êtes drôlement répressive !
ANNIE GIRARDOT : Parle à mon colt... ma tête est malade !...

Dans la caisse, de retour dans la zone

BERNARD BLIER : Les Apaches regagnent leur réserve, ils n'en sortiront plus!... Gaston, tu notes. J'veux mille mètres de fil de fer barbelé pourdemain matin... Allez, envoyez la féérie !...
ANNIE GIRARDOT : (Braquée par les projos de Camille...) Oooh !...
ANDRE POUSSE : Il a l'droit d'faire ça ?!
ANNIE GIRARDOT : Hé !... C'qui fausse les rapports entre la Police et la bonnesociété, mon bon Max, c'est qu'y'en a qu'ont tous les droits... etles autres aucun !

En planque sur leur perchoir

BERNARD BLIER : Rien à signaler !?!!...
DANIEL PREVOST : Rien de rien... Il a retrouvé sa moto, sa chaussette, ila bécoté tout son p'tit monde, et puis il est allé porter l'jusà la Princesse...
BERNARD BLIER : Le mauvais café ! Le bouillon d'onze heures ! La Brinvilliersdu Val de Marne !... Descendez l'Docteur !!!...

Filature en déguisement autour des lieux de culte

DANIEL PREVOST : Elle va pas nous emmener à Lisieux et à Lourdes, cetteconne !
BERNARD BLIER : Le rodéo bigotteux, l'tour des paroisses, c'est clair !...Elle flingue plus, elle épouse !... À la maison !!!... (Retour àla cambuse...) Emballer la Rosemonde sous mes téléobjectifs... il estgonflé, l'Minet !!!... Vingt ans que ch'uis sur l'affaire et j'me fais carbonisédans la dernière ligne droite ?!... Opposition, votre Honneur... Camille passeà l'attaque... La riposte imparable... La botte de Nevers...

Déclaration brûlante de Camille à Rosemonde dans sa tanière

BERNARD BLIER : Clara !!!... Rosemonde !!!...
ANNIE GIRARDOT : Patins !...
BERNARD BLIER : Je viens t'empêcher d'faire une connerie... Je gagne quatremille francs par mois... J'ai un livret d'Caisse d'Épargne, une carte bleue,cinquante pour cent d'réduction sur les Chemins d'Fer, bref... c'qu'on appelleun parti... Pas d'attendrissement, pas d'larme... du sourire... et tu dis “ oui ”...
ANNIE GIRARDOT : Euj'dis “ oui ” à quoi ?
BERNARD BLIER : Clara Trompette... alias Rosemonde du Bois d'la Faisanderie... aliasBrigitte Vissembert... alias Paloma Rodriguez... accepte-tu de prendre pour époux...Camille Bistingo ?
ANNIE GIRARDOT : Non.
BERNARD BLIER : Stooop !!!... Tout compris ! Pas besoin d'dessin !... Madame a prisl'coup d'soleil pour le dégénéré !... Pan !... On remballe!!!... C'est plus l'amour, c'est la guerre !!!... Ça tombe bien, j'ai toutc'qui faut !... Les CRS, les hélicos, les gaz, les bombes à billes! Ça va être sympa !!!...


COMMENT REUSSIR QUAND ON EST CON ET PLEURNICHARD
- MICHEL AUDIARD (1974)




Au bistrot

JEAN CARMET : Présence mystérieuse, le volcan, jadis maléfique,a été domestiqué pour devenir l'ami d'l'homme... Le bienfaiteurde l'organisme... En dehors de ses fabuleuses propriétés, telles queréchauffer en hiver, rafraîchir en été, stimuler les lymphatiqueset calmer les névropathes, c'est une explosion d'art et de rêve quele Roi des Vermouths offre à la méditation des poètes !... Le“ Vulcani ” ne fait pas d'réclame... Arrière, la bête hideuse!... Il fait entrer l'génie d'l'Humanité dans l'foyer du consommateur...Je m'explique. Pour tout achat d'une douzaine de bouteilles de... du précieuxnectar, “ Vulcani ” vous offre non seulement la Pléiade des cendriers coulésdans la lave des Îles Éoliennes, mais encore... ça !... L'aristocratiede Westminster... La robustesse de Besançon... La finition suisse... Le chicparisien...
ROBERT DALBAN : Dis donc, Antoine... T'as pas honte de vendre du poison ?
JEAN CARMET : Ah, mais c'est... pas vraiment du poison... Ch'te l'concède,ça ressemble.... C'est... c'est trompeur, mais... c'en est pas vraiment...
ROBERT DALBAN : Ah, y'a quand même des gens à qui on a passéla camisole !
JEAN CARMET : Y'en a qu'ont gonflé... Les mains... Què'qu'fois lespieds... Mais la tête, jamais !

Dans le dancing miteux

DANIEL PREVOST : De quoi tu t'plains ?! T'es jamais content !... Tu travailles dansune taule qui marche et t'as des intérêts dans l'affaire !... Alors!
JEAN ROCHEFORT : Se promener dans la salle avec une sébile à la main,vous appelez ça des intérêts dans l'affaire ?!... J'veux pasfaire la manche... Ch'uis un artiste...
DANIEL PREVOST : Euh !... Des artistes comme toi, ch'fous un coup d'pompe dans l'piano,il en dégringole une douzaine !
JANE BIRKIN : Confidence pour confidence, des connards comme vous, ch'fous un coupd'pompe dans la télé, il en dégringole cinquante !
DANIEL PREVOST : De quoi tu t'mêles, toi ? Ch't'ai rien demandé !
JANE BIRKIN : Foinard et moi, c'est pareil... Vous le virez, je me trisse... J'iraimontrer mon cul ailleurs...
DANIEL PREVOST : Oui, mais p't-êt' pas à Foinard !... Pour c'que çal'intéresse...
JEAN ROCHEFORT : Oui, bon, euh, bon, ben, ça va, hein... Monsieur s'est emporté,ch'uis sûr qu'y regrette déjà...
DANIEL PREVOST : M'enfin, écoute... Douée comme t'es !... Quand ch'penseque tu gâches ta carrière avec un minable pareil !... S'tu voulais m'écouter...
JANE BIRKIN : Ch'pourrais changer d'minable !... Prendre un prétentieux...Foinard est toc, mais il le sait... Je les aime comme ça... Pas, mon coco?
DANIEL PREVOST : Ben, alors-là, excuse-moi ! Mais, dans la connerie, c'estpas pour m'vanter... entre Foinard et moi !... Ha-ha !
JANE BIRKIN : Y'a des aristocrates et des parvenus, dans la connerie comme dans lereste...

À l'hosto

ÉVELYNE BUYLE : Y faut bien qu'y rentre chez lui d'temps en temps pour s'occuperd'la Méduse !
JEAN CARMET : Il élève une méduse ?
ÉVELYNE BUYLE : Une pieuvre... Un monstre... Sa femme... Elle est horrible...Faut vraiment avoir pitié d'elle...
JEAN CARMET : Et y s'est marié contre son gré... Y font chambre àpart depuis dix ans...
ÉVELYNE BUYLE : Ben, ça alors ! C'est d'la voyance !
JEAN CARMET : Pourquoi y divorcent pas ?
ÉVELYNE BUYLE : Ben, faut bien qu'y mange, le pauvre amour !... L'hôtelest à sa femme, la maison est à sa femme, tout est à sa femme!... Elle nous tient, la garce... Et en plus, dis donc, Madame est jalouse !... Oh! Non mais, tu t'rends compte ?... Ça porte une musette en guise de soutien-gorge,ça a des yeux d'langouste et ça s'permet d'être jalouse !...Hum... Hum... Oh, éh ! Elle s'imagine que Gégé la trompe !...(Gégé bondit dans la chambre...) Oooh... Gégé !
JEAN-PIERRE MARIELLE : Mais pourquoi as-tu fait ça, p'tite folle !... Quandj'ai appris qu'tu n'avais pas repris ton service, j'ai couru chez toi !... Plus d'immeuble!... La concierge est en observation, elle croit qu'elle a trois ans, qu'on est enmille neuf cent seize et qu'la Grosse Bertha vient d'bombarder Paris !

En sortant de la carrée

JEAN-PIERRE MARIELLE : Ah, quelle emmerdeuse !
JEAN CARMET : Madame votre femme ?
JEAN-PIERRE MARIELLE : Mais non ! Elle !... C'est le troisième fois qu'ellese suicide !... La première fois, la Seine, la deuxième fois, l'électrocutionet pis c'coup-ci, baoum !
JEAN CARMET : L'eau, le gaz et l'électricité !...

Sur leurs lits d'hôpital

JEAN-PIERRE MARIELLE : Avez-vous déjà aplati une pompe à essence,emplafonné un garagiste... et défoncé vingt-huit voitures d'uncoup ?... Hein ?
JEAN CARMET : Éh ben, puisqu'on en est aux exemples amusants, tenez... Voussonnez à une porte... Qu'est-ce qu'y s'passe ?
JEAN-PIERRE MARIELLE : On vous ouvre ?
JEAN CARMET : Non... Ça, c'était hier... Aujourd'hui, vous dégringoleztout droit dans une ambulance... Ah...
JEAN-PIERRE MARIELLE : Nous entrons dans le temps de la fureur et du tumulte... Dansles prédictions de Nostradamus...

Dans le pageot

JANE BIRKIN : J'étais sûre que t'étais formidable... Ch'uis pasdéçue... Tu m'as loupée comme un chef... T'as pas arrêtéd'dire des conneries... T'as failli mettre le feu au paddock avec ta cigarette...Tu portes un maillot d'corps... Tu gardes tes chaussettes...
GINETTE GARCIN : Antoine !
JEAN CARMET : Oui, Maman !... Qu'est-ce qu'y'a ?
GINETTE GARCIN : Quand t'auras fini d'tringler, tu viendras ranger ta voiture qu'estdans l'passage !
JEAN CARMET : J'arrive tout d'suite, Maman !
JANE BIRKIN : Y'a même ta maman ?... Y'a tout... T'es une synthèse...Tu les bats tous !... Tous !... Même Foinard !...
JEAN CARMET : On m'a dit qu'y baisait jamais, Foinard.
JANE BIRKIN : Jamais !
JEAN CARMET : Ben, alors, comment veux-tu qu'je l'batte !... Un mec qui baise jamais,c'est imbattable !
JANE BIRKIN : J'vais t'dire, on s'en fatigue !... Un minable qui vit sur sa réputation,ben, c'est comme un champion qui ne mettrait jamais son titre en jeu... Avec toi,on nage dans l'imprévu... Un jour, ben... t'es capable de réussir untruc... Tu remets tout en question à chaque fois...
JEAN CARMET : C'est vrai, ça... Ch'prends des risques...

En aparté à Antoine Robineau

JEAN-PIERRE MARIELLE : Chaque fois que nous faisons l'amour, c'est-à-direpratiquement vingt-quatre heures sur vingt-quatre, elle m'oblige à lui raconterma vie, ma guerre, ma réussite... Mes succès féminins... Oh,si j'vous disais qu'hier, alors que j'venais d'assouvir ses sens, elle, inerte, surle lit dévasté... Moi, lui racontant comment j'avais satisfait auxexigences de huit femmes dans un boxon de Mostaganem, elle m'a regardé droitdans les yeux et elle m'a dit... que j'étais une synthèse...

Sur le pas de la porte

JEAN CARMET : Seulement d'ici-là, j'aimerais bien qu'tu fréquentespas trop “ La Vaillance ”...
GINETTE GARCIN : Tu vas pas m'défendre de voir Madame Bérange !
JEAN CARMET : Ch'te défends rien, Maman... Mais elle habite dans la verdure,la dame... Et j'voudrais pas que l'grand air t'énerve, comme la dernièrefois... Tu t'souviens, Nogent ?... Tiens, puisqu'on en parle... Mon déjeunerd'fiançailles... L'orchestre jouait “ Les lilas blancs ”... Éloïsedécoupait l'Paris-Brest... Quand t'as sauté sur la table en relevanttes jupes !... Puis qu'Papa a plongé dans la Marne !...
GINETTE GARCIN : Ben, on avait vu passer un troupeau d'rats ! Alors...
JEAN CARMET : Pis t'aurais pu t'dispenser de chanter “ Bien l'bonjour, Madame Bertrand” !... Devant une jeune fille, c'est pas un répertoire !... Et Papa, qu'laFluviale a ramené au bout d'une gaffe !... Les riverains en parlent encore,d'la journée Robineau !... Ah, tu peux rire, oui !

Illumination en canfouine

JEAN CARMET : Le casse-pattes, on l'vend plus, on l'donne !
JEAN-PIERRE MARIELLE : Ah, ça... y serait temps !... Quand un bistrot voitles étiquettes, on dirait qu'il aperçoit Belphégor !
JEAN CARMET : C'est pourquoi l'époque est au recyclage !... Pour tout achatd'un carillon, le Maître-Horloger Robineau vous offre une caisse de “ Vulcani”, le Vermouth des Intrépides !


POISSON D'AVRIL - GILLES GRANGIER (1954)



Denise Grey - Pierre Dux :

- Une fiancée avec un enfant de sept ans ?!...
- La guerre !
- Tu m'avais dit qu'elle “ résistait ”.
- La résistance a des limites. On ne peut pas être de jour et de nuit.


GAS-OIL - GILLES GRANGIER (1955)



Aux toilettes

UNE SERVEUSE : Bonjour, M'sieur Chappe.
JEAN GABIN : Tiens, dis donc, Lucienne, dis donc à ta patronne de m'préparerun sandwich.
UNE SERVEUSE : Toujours bon appétit, hein, M'sieur Jean !... Il est vrai qu'laroute, ça creuse, c'est comme l'amour... Si j'vous disais qu'à moi,ça m'donne de vrais fringales, l'amour... Y'en a, sitôt fini, c'estune cigarette, moi, faut qu'je mange...
JEAN GABIN : Ça t'pousse à combien d'repas par jour, c'te p'tite réaction-là?
UNE SERVEUSE : Ah, ben, z'êtes un peu curieux !
JEAN GABIN : Ben...


COURTE-TETE- NORBERT CARBONNAUX (1956)



Max Revol :

- Mon vieux lapin, ça y est. Votre nomination est sur la table du Ministre...Et un peu appuyée par les amis de l'État-Major ! Avant huit jours,vous passez Général. J'y tiens... La charnière de Sedan vousa claqué dans les mains, vous avez reculé sur la Somme, vous avez reculésur la Loire et vous avez perdu plus que votre part d'Indochine. Si nous devons garderle peu qui nous reste, je ne dis rien, mais si on doit le perdre, je n'admettraispas qu'un autre que vous remplace ce pauvre Manfrin... Manfrin, le père dupliant de campagne et de la selle à dossier... Fauché... On a justeretrouvé ses bottes et sa jugulaire. Un 77 qu'il n'a pas vu venir. Un 77 ouun 52... Enfin, un autobus qu'il ne prenait jamais... Un homme si prudent... En pleinpassage clouté... Le troisième de sa promotion en moins de trente ans...Enfin, on va toujours lui offrir sa petite minute de silence... Il en étaitfriand.


LES YEUX DE L'AMOUR - DENYS DE LA PATELLIERE ( 1959)




Bernard Blier :

- Vieille fille ! Et allez donc ! Pourquoi pas ! Faut dire que tu fais tout ce qu'ilfaut pour t'en donner le genre... Ta robe, ta coiffure... Tu frisottes dans le gris,toi... Tu faufiles dans le triste.

Françoise Rosay - Danielle Darieux :

- Mais enfin qu'est-ce qui se passe ?! Denise oublie mon plateau, toi, mes pastilles...Qu'est-ce que vous avez toutes les deux ce soir !... Oh, pour l'autre, je sais, ellea le feu au cul.
- Je t'en prie maman.
- Quoi ? L'image te gène ?
- L'expression.
- Tu voudrais tout de même pas que je parle du postérieur de ma camériste,non ! Il est vrai que ce serait assez dans ton style ça... Le genre bigotecongelée. Et bien moi, j'appelle un chat un chat, et ma bonne est une sacréegarce !


LE BARON DE L'ECLUSE - JEAN DELANNOY (1959)



Micheline Presle à Jean Gabin :

- Je parlais du retour Toni... Le retour... Avec toi, on prend toujours des allerssimples et des retours compliqués.


LES LIONS SONT LACHES - HENRI VERNEUIL (1961)



Danielle Darrieux :

- Vingt ans de sacrifices ! Lait Nestlé, nurse anglaise, un mois àla neige, un mois dans le Midi... Latin, anglais, cheval... Tout !... Chez les parentsqui ont de la chance, ça donne Karim Aga-Khan ou Farah Diba... Chez nous,ça donne un voleur et une fille-mère !

LES AMOURS CELEBRES (LES COMEDIENNES) - MICHEL BOISROND(1961)



Annie Girardot à Edwige Feuillère :

- Je m'étonne, Madame, qu'après bientôt cent ans de théâtre,vous soyez restée aussi naïve !... Quand on m'applaudit, on applauditune manière de jouer... Chez vous, on applaudit la longévité,le miracle physique, l'aïeule intrépide, le sarcophage qui parle !...


PAR UN BEAU MATIN D'ETE - JACQUES DERAY (1964)



Akim Tamiroff - Georges Géret :

- J'ai besoin d'un type qui sache conduire et qui puisse balancer une pêcheen cas d'urgence.
- J'ai connu un gars au ballon. Il était à la division trois, moi,à la cinq. Avant, il tenait un garage à Nice. Il maquillait un peules charrettes qu'il expédiait ensuite à San Remo.
- La carambouille, c'est une branche à part, comme les faux-talbins. C'estle refuge des lymphatiques.
- Sois pas sectaire. T'as des violents partout.


FLEUR D'OSEILLE - GEORGES LAUTNER (1967)



Mireille Darc :

- Mes parents sont des proxénètes de l'honnêteté... J'aiété bourrée de morale comme d'autres sont gavés de Blédine...Une morale à eux, bien sûr.
- Je n'ai jamais entendu dire, Mademoiselle, qu'il y en eût plusieurs... Ily a, évidemment, la morale des loups et celle des moutons...
- Chez nous, ça moutonnait... À bloc... Le trio Mérinos... Ettoujours avec citations à l'appui, “ Mon verre est petit, mais je bois dansmon verre ”... “ Chi va piano va sano ”... “ Santé passe richesse ”... “ Lavie... ”... Ch'ais plus c'qu'était la vie selon Pépère, maisça devait être bien !... Et puis, j'ai rencontré un homme qui,lui aussi, parlait de la vie. Seulement c'était pas la même. Lui, c'étaitplutôt “ Mon verre est petit, mais je bois dans c'lui des autres ”...
- Je vois.
- Moi aussi. C'est pourquoi je ne prendrai pas la suite de Madame Mère. Jene ferai pas de petits trous à la station “ Arts et métiers ” ! Jeconnais les raccourcis ! J'ai choisi le caviar !
- Malheureusement, le caviar n'est pas une solution.
- La merde non plus !


LA GRANDE SAUTERELLE - GEORGES LAUTNER (1967)



Georges Géret :

- C'que tu peux être con ! T'es même pas con, t'es bête. Tu vasjamais au cinoche, tu lis pas, tu sais rien. Si ça s'trouve, t'as mêmepas d'cerveau. Quand on t'regarde par en-dessus, on doit voir tes dents...


L'INCORRIGIBLE - PHILIPPE DE BROCA (1976)

Jean-Paul Belmondo - Geneviève Bujold :

- Salope ! Chienne ! Endive !
- Je vous demande pardon ?
- Je disais... “ chienne ”... comme ça...
- Ah... J'avais cru comprendre “ endive ”...


LE GUIGNOLO - GEORGES LAUTNER (1979)




Georges Géret - Jean-Paul Belmondo :

- Vous savez de nos jours, un microfilm est une chose pas plus grosse que ça...Ça peut très bien se cacher dans une dent...
- Ah, ben, ça, c'est une idée... Vous pourriez me faire limer les dents!... Vous m'avez déjà fait curer les ongles, inspecter les oreilleset... si je vous avais laissé faire, vous seriez même devenu familier!...

Jean-Paul Belmondo - Georges Géret :

- Vous savez quelle différence il y a entre un con et un voleur ?
- Non.
- Un voleur, de temps en temps, ça se repose...


LES MORFALOUS - HENRI VERNEUIL (1983)



Jacques Villeret - Michel Constantin - Marie Laforêt :

- Mais qu'est-ce qu'il s'est passé ?
- Ben... Il a dû pisser sur la ligne à haute tension... Point final...
- Vous savez, Madame, ça s'est passé tellement vite... Il a pas dûsouffrir du tout... Du tout.
- C'est bien la première fois qu'il fait des étincelles avec sa bite!